— Par Selim Lander —
Comment caractériser les quatre pièces présentant directement la condition féminine – dont trois écrites par des hommes, et ces trois-là les plus pessimistes des trois ? la femme en pays dominé peut-être. Toujours est-il que cette programmation en dit long sur l’état de notre société. Car les spectateurs, et les spectatrices en premier, loin de se plaindre de l’omniprésence du thème, se sont montrés passionnément intéressés lors du « bord de scène » de la dernière soirée consacrée à Bon anniversaire Marta de José Jernidier. Comme si la peinture la plus cruelle de l’aliénation féminine répondait à une aspiration profonde des gens de ce pays. Catharsis, exorcisme ? On ne sait, en tout cas la conviction fut exprimée à plusieurs reprises que ce genre de pièce était absolument nécessaire pour faire évoluer la situation des femmes antillaises (A Parté, Bon anniversaire Marta), caribéennes (Moi, fardeau inhérent), africaines (Dernier rivage), les libérer de l’emprise ravageuse des mâles.
Femme à la fois victime et coupable. Victime du mari brutal et volage ; coupable comme mère car en élevant son fils dans sa dévotion et le mépris des autres femmes, elle le pousse inconsciemment à devenir lui-même brutal et volage. Une pièce d’Ahmed El Attar, Mama, présentée en Avignon l’été dernier, illustrait cette problématique dans le cas des familles de la bourgeoisie égyptienne : les femmes opprimées par leurs pères et maris se rattrapent, en quelque sorte, sur leurs fils qu’elles enferment dans un amour possessif, si bien que le fils se rattrapera à son tour en maltraitant son épouse et ses propres filles et ainsi de suite… Précisément la problématique exposée dans Bon anniversaire Marta. Comme dans les pièces précitées, à l’exception d’A Parté, il s’agit d’un seul en scène, d’une femme qui se raconte plutôt que d’une pièce de théâtre à proprement parler. Ce qui ne signifie pas qu’il faille déprécier ce genre lorsque la qualité de l’écriture et celle de l’interprétation sont au rendez-vous… même si l’on est en droit de regretter que les contraintes économiques qui pèsent sur le théâtre vivant conduisent à multiplier les pièces-monologues au détriment du théâtre tel qu’on l’entend habituellement, celui qui fait se rencontrer plusieurs comédiens/plusieurs personnages sur le plateau. Si l’on admet que l’essence du théâtre est le conflit, force est de reconnaître en effet qu’il est plus difficile d’instaurer un conflit entre soi et soi (hors situation de dilemme) qu’entre deux ou plusieurs personnages.
A entendre les membres (nombreux et surtout féminins) du public qui se sont exprimés lors du bord de scène à l’issue de Bon anniversaire Marta, José Jernidier a parfaitement rempli son rôle d’auteur en mettant clairement en lumière la situation de certaines femmes antillaises prises dans les filets d’une belle-mère et d’un homme (rarement un mari) qui ne leur veulent pas du bien. Il faut d’ailleurs lui reconnaître qu’il a su instaurer un certain suspense (l’homme, René, viendra-t-il ou ne viendra-t-il pas pour l’anniversaire de Marta ?) et qu’il a ménagé une séquence onirique (le mariage de René et Marta rêvé par cette dernière) qui apporte une respiration indispensable à la litanie des malheurs de Marta.
Il faut reconnaître également la qualité de l’interprétation d’Esther Myrtil, bien servie par la mise en scène de Dominik Bernard et un décor décalé (meubles, revêtement de sol, accessoires design) qui déstabilise le spectateur (comment admettre qu’une femme vivant dans un tel environnement puisse se comporter en victime consentante ?). Surtout, ce décor qui représente une pièce ceinte de cloisons et recouverte d’un toit est – ainsi que cela a été soulignée par une spectatrice – l’illustration tangible de la case/cage dans laquelle certaines femmes antillaises se sentent prisonnière. Enfin, on a le plaisir d’écouter une pièce en créole de Guadeloupe (avec surtitrage en français pour les spectateurs insuffisamment diglossiques).
Alors, si certains estiment que cette peinture d’une certaine condition féminine a déjà été beaucoup traitée, qu’en outre le personnage de Marta est à la limite de la crédibilité en raison de son aveuglement, sa passivité, il reste que la pièce a rencontré son public, que les spectateurs (nombreux) qui se sont prononcés in fine n’avaient que des compliments à adresser à l’auteur.
Festival des Petites Formes, Fort-de-France, 26 janvier 2019.