Sorte de fédérations de courants issus du protestantisme, l’Eglise noire américaine s’est construite sur le lien social que les esclaves pouvaient y trouver. Elle est ainsi le fruit des divers héritages culturels et spirituels des Africains déportés.
–— Par Séverine Kodjo-Grandvaux —
Livre. Directeur du Hutchins Center for African & African-American Research de l’université Harvard, Henry Louis Gates Jr. est l’auteur d’une enquête passionnante, extrêmement documentée, qui revient sur l’histoire de la communauté africaine-américaine à travers son rapport à la religion. L’essai Black Church, paru initialement aux Etats-Unis en 2021, n’est pas seulement consacré à l’Eglise noire. Il retrace comment les Africains déportés en tant qu’esclaves aux Etats-Unis – et leurs descendants – sont parvenus à faire communauté à travers elle.
C’est que cette Eglise noire, qui regroupe différents courants chrétiens issus du protestantisme, n’est pas seulement une institution religieuse. Elle est aussi le lieu social et politique où les Africains-Américains ont fait peuple. C’est là la grande force de la démonstration d’Henry Louis Gates Jr. En remontant à la période esclavagiste, il explique comment l’Eglise est devenue un refuge. Alors que les regroupements étaient interdits, l’office était l’un des rares moments où les esclaves pouvaient se réunir, prendre des nouvelles des leurs, fraterniser.
Elle est ainsi devenue « un lieu d’affirmation de soi, d’enseignement et d’éducation, de soutien psychologique et spirituel, de foi prophétique, en offrant un espace symbolique où les Noirs, esclaves ou libres, pouvaient nourrir l’espoir d’un quotidien et d’un avenir meilleurs. Son rôle fut donc à la fois séculier et spirituel ». Cette idée de refuge est fondamentale. C’est la raison pour laquelle les attentats contre les églises africaines-américaines par des suprémacistes blancs sont si nombreux depuis le XIXe siècle. Ils visent à terroriser les Noirs avec ce message : « Vous n’êtes nulle part en sécurité. »
C’est pourtant là que sont nés bien des mouvements de libération et d’émancipation. Très tôt, les esclaves ont vu dans le christianisme la religion des opprimés, tandis que les colons l’interprétaient comme celle des maîtres ; au point que les Britanniques voyaient d’un très mauvais œil la christianisation opérée par les Hispaniques. Ces derniers pensaient que la conversion rendrait les esclaves « dociles », alors que les premiers n’ont pas hésité à expurger certains passages de l’Evangile qui auraient pu encourager la rébellion….
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« Black Church. De l’esclavage à Black Lives Matter », d’Henry Louis Gates Jr., traduit de l’anglais par Serge Molla, Labor et Fides, 304 p., 22 €