— Par DEGE —
Des mystères du Moyen-âge en passant par les spectacles grandioses et lucratifs de R. Hossein, les biographies religieuses ou politiques ont vu le jour : Jésus, Thomas More, Luther…quelques scientifiques comme Galilée, ou des personnages tirés de faits divers… (A ne pas confondre avec les pures fictions sur un type humain que sont par exemple l’Avare ou le Faiseur). Les auteurs de ces biographies en font le prétexte à l’exposition de leurs réflexions philosophiques, à leur analyse de l’âme humaine, à la critique d’un système, etc.
Les biographies dramaturgiques dont il est question ici, appelons-les « biogâtres », s’intéressent à la vie et l’œuvre d’un…écrivain ! Un être dont on peut traiter de l’imaginaire mais et puisqu’il a réellement existé, écrit, créé : il s’agit, pour l’auteur d’un biogâtre, de faire l’éloge posthume d’une œuvre et d’une pensée qui résonnent insuffisamment.
Curieusement, même quand des écrivains se sont imposé la lourde tâche de guides, il n’y a pas ou prou de reconnaissance théâtrale de leur vie et œuvre sous forme biographique. Ainsi de V. Hugo, Lamartine pour les anciens par exemple, ou pour les nôtres et la francophonie, Fanon, Césaire…ils mériteraient un biogâtre.
Au Théâtre de Fort-de-France, deux auteurs, romanciers, poètes, militants ont reçu la reconnaissance des planches de l’Atrium Tropiques scène nationale : Sony LabouTansi, Congolais et, une Martiniquaise, Suzanne Roussi Césaire.
Hassane Kassi Kouyaté, assisté de Guillaume Malasné, a mis en scène de façon classique donc plaisante Sony Congo ou la chouette petite vie bien osée de Sony Labou Tansi : une bibliothèque agréablement éclairée, sur un de ses murs, sont projetés cartes et films documentaires, inscrivant la pièce dans la géographie et l’histoire précises de l’époque où se sont déroulées la vie et l’action de Sony Labou Tansi. Le texte de Bernard Magnier est servi avec ferveur et grande sincérité par Marcel Mankita et Criss Niangouna : la ressemblance presque gémellaire à Sony de l’un, la fougue et la bonhommie de l’autre contaminent le spectateur du désir de lire ou relire au plus tôt Sony Labou Tansi.
Plus déroutante est la mise en scène du même Hassane Kassi Kouyaté de Suzanne Césaire, fontaine solaire. Même si ne se justifie pas avec évidence le fait d’avoir fait porter par trois comédiennes la voix, la parole de Suzanne, on apprécie que leur performance soit récompensée par une standing ovation et trois bouquets de fleurs.
A la vérité ce que l’on applaudit le plus c’est le plaisir d’avoir entendu, là, des textes que l’on aime. C’est le plaisir que enfin, enfin, une certaine injustice soit réparée, tant l’ombre immense du grand homme obscurcissait la luminescence de son épouse dont on savait pourtant l’originalité, la combativité, la sensibilité, l’intelligence…! Pourquoi, si longtemps, cette obstination à les nier ?
Or un certain malaise reste : que la reconnaissance ne dure pas grâce à cette pièce qui me semble être dans un « quant à soi » stérilisant. Certes projeter des diapositives eût été trop facile. Mais imaginons, un spectateur ignorant la littérature outre-mer, l’importance des sœurs Nardal, la colonisation et son rejet…Il lui faudra une très vive intelligence pour suivre et pour créer les liens entre tous les extraits de textes énumérés dont l’ordre et le choix sont peut-être à revoir. La poésie lui échappera en partie dans ses efforts à construire une ambiance, une époque. Lui ne pourra pas ronronner du plaisir familier ! Daniel Maximin connaît trop bien son écrivaine, au point d’oublier qu’au-delà de nos rivages on a besoin de contexte, de liens, de référents…car ce sous-genre, le biogâtre, exige de la pédagogie s’il veut faire découvrir un auteur. Il exige une véritable écriture des transitions, un véritable charpentage de la pièce…
Un dernier regret : est-il nécessaire de donner tant de place aux mauvais poètes, ces aliénés ridicules ? Suzanne n’en est pas grandie d’autant : son talent ne suffirait-il pas ?!
A mi chemin de la lecture théâtrale et du jeu pleinement théâtral, mais aussi de l’information, de l’enseignement voire de la promotion ou de la réhabilitation, la biographie d’écrivain comme genre au théâtre est amenée à se développer. Le biogâtre est pour le théâtre un moment de pause narcissique, de ressourcement, de ruminement, avant peut-être une renaissance nécessaire.
*Biogâtre : s. m. néologisme. Construit à l’image du terme biopic utilisé au cinéma pour un film racontant la biographie romancée d’un individu. C’est la biographie au théâtre d’un(e) auteur(e), qui s’appuie sur sa vie et la lecture de ses textes.