— Par Roland Sabra,
Un talent prometteur !
Virilisme « Réaction virile exacerbée face à l’évolution des rapports hommes-femmes, le virilisme, surtout dans les banlieues, est aussi l’indicateur d’un malaise social plus large. » Telle est la définition du sociologue Daniel Welzer-Lang qui semble s’appliquer à la lettre à la thématique déclinée par Koffi Kwahulé dans « Bintou » mis en scène par Laetitia Guédon et jouée le 09 octobre2009 à Fort-de-France. Une jeune fille de treize ans, qui n’est plus une enfant, exceptée pour les contempteurs de Polansky, issue de l’immigration africaine refuse les codes machistes d’une acculturation batârde. Ou plutôt, Bintou, puisque c’est d’elle dont il s’agit, va se jouer des acquis d’une socialisation apparemment conflictuelle, entre Europe et Afrique mais fondamentalement convergente quand à perpétuation de la domination masculine. Noyée dans le sang sous le couteau de l’exciseuse, avec la complicité des femmes plus âgées, elle paiera de sa vie de n’avoir pas voulu rester à la place que l’ordre des hommes lui avait assignée. Le thème développé n’est pas tant l’excision que celui des ravages de socialisations différentielles et conflictuelles dans un contexte d’acculturation postcoloniale et de virilisme mortifère.
Bintou est donc une chef de gang, les Lycaons, du nom de ces loups africains au corps brun, taché de noir, de blanc et de jaune, qu’elle domine par sa capacité à les révéler à eux-mêmes comme une maïeuticienne violente et subtile. Leur identité et leur masculinité ne procèdent que de cette reconnaissance qu’elle leur consent. On regrettera que Laetitia Guédon n’ait pu demander aux comédiens qui incarnent les Lycaons d’individualiser leur rôle, de spécifier par là le type d’attachement qui les lie à Bintou. Le lien social de la bande n’est pas constitué d’un amour égal que la chef aurait pour chacun des membres. Non, il repose sur un contrat personnel que chaque lycaon à noué avec la meneuse du groupe. La lecture de Laetitia Guédon fait l’impasse sur cette spécificité du lien en arasant par la diction qu’elle impose à ces comédiens, toute différence. A-t-elle voulu produire là un indice de réalisme en imitant les modes expressifs des « sauvageons » de banlieue? Elle se trouverait en décalage avec l’incroyable force poétique, la beauté brute du texte de Koffi Kwahulé. Car un des points fort de ce spectacle réside dans la somptuosité du verbe du dramaturge, tant il est vrai que les propos qu’il place dans la bouche de ces petites frappes sont totalement improbables et pourtant porteurs de vérité.
Petit-Jean est un môme à peine plus vieux que le reste de la bande. Il sollicite son admission parmi les Lycaons. Refus de la chef, dépit du prétendant, bascule dans l’amour-haine et la trahison. Petit-Jean va devenir le bras armé de la vengeance orchestrée par l’oncle maternel dont Bintou a révélé les comportements, les attouchements incestueux. Les codes de la tragédie classique sont respectés. C’est au cours d’un bal que Bintou sera enlevée et livrée à l’oncle par les soins de Petit-Jean après une bataille dont la chorégraphie jusque là sans reproche de Yano Latridès semble être en dessous des enjeux dramaturgiques. Et la fin de la pièce, l’excision et la mort de Bintou, sont restituées en deçà de ce que laissaient entrevoir les premières scènes plastiquement très réussies. Le spectacle démarre d’ailleurs très fort avec un chœur en syncope joliment éclairé par Malthilde Foltier-Gueydan. Les intermèdes chantés d’un griot sont des textes originaux de Dawa Litaaba-Kagnita. S’ils sont parfois un peu longs et brisent le rythme de la pièce, le dernier qui ponctue la mort de l’héroïne est particulièrement émouvant.
Cela étant, le travail de Laetitia Guédon est un travail de qualité, surtout quand on songe que la jeune femme à 25 ans en est est seulement à sa deuxième mise en scène. Elle fait preuve d’un culot peu commun, en se lançant dans une entreprise qui mobilise sur scène 16 comédiens qu’elle a su choisir et dont elle exige un travail corporel, un placement des corps, des qualités de danseurs et de chanteurs qui sont la marque du théâtre contemporain. Aliou Cissé est un oncle libidineux tout à fait crédible et presque touchant dans l’affolement où le plongent les provocations de la sculpturale Bintou. Annabelle Lengronne incarne cette antique sauvageonne de nos cités. Si elle use d’un registre monocorde, un peu « nivellateur » pendant presque toute la tragédie, elle montre sur la fin qu’elle est capable d’autre chose. Mata Gabin, en femme de l’oncle maternel, Olivier Berhault en Petit-Jean, petite boule pulsionnelle, tirent plutôt bien leur épingle du jeu.
Laetitia Guédon est une jeune femme de talent, elle fait preuve d’une maitrise bien au-delà de son âge. Il lui reste peut-être à affiner la force brute qui l’anime et à peaufiner la lecture des textes dont elle s’empare.
Roland Sabra,
Décembre 2009 ?
Laetitia Guédon