—Par Selim Lander —
Langue des signes. On a beau aller et re-aller au théâtre, assister à quelques dizaines de pièces chaque année, une surprise est toujours possible. On ne pense pas seulement aux grosses machines comme le festival d’Avignon les affectionne, qui jouent sur une esthétique parfaite (The Great Tamer de Dimitris Papaioannou, en 2017) ou vous frappent comme un coup de poing (Bestie di scena d’Emma Dante, la même année). On pense plutôt ici à des productions plus modestes, qui relèvent d’un théâtre expérimental. L’originalité de Billes de verre, éclats de plomb réside dans la présence sur la scène d’un interprète de la langue des signes à côté d’un conteur. Interprète et non pas simple traducteur : Carlos Carreras est un comédien à part entière, un mime à la gestuelle aussi précise qu’éloquente, qui rend le texte accessible aux malentendants tout en fascinant le public ordinaire (celui dont l’ouïe fonctionne encore à peu près).
Si C. Carrera semble le principal atout de cette pièce hors norme, il est au service du beau texte de Thérèse Bonnétat, une réminiscence poétique de Marseille, de son Vieux-Port, devenu le lieu d’une rencontre imaginaire entre deux figures capitales, néanmoins en marge, du XXe siècle français, le psychiatre Fanon et Arthaud l’insensé qui se rejoignent pourtant dans la conception d’un engagement sans concession et dont quelques citations bien choisies viennent émailler la partition écrite par Th. Bonnétat.
Gribouillis. Billes de verre, éclats de plomb a déjà été présenté dans un format plus étoffé avec, en plus du conteur et de l’interprète du langage des signes, un musicien et un plasticien, lequel peignait au cours de la représentation une œuvre d’où surgissaient peu à peu les portraits d’Arthaud et Fanon (voir photo). À la Martinique ils n’étaient que deux, ce qui – même si nous n’avons pas pu comparer – apparaît davantage a priori comme une simplification qu’un appauvrissement, le spectacle reposant avant tout sur un texte et sur la performance de C. Carreras. Néanmoins un grand tableau blanc posé sur un chevalet était bien présent sur le plateau, à côté de quelques éléments de décor (nasse, filet) évocateurs d’un port de pêche. Quant à la musique, elle se résumait à un simple caisson amplifié frappé de temps à autre par C. Carreras. Mais que faire de la toile blanche en l’absence du plasticien ? On aurait pu abandonner cette idée. Si Th. Bonnétat, qui assure également la M.E.S., a voulu la conserver, c’est sûrement pour ménager des pauses, assurément bienvenues, dans un flot de paroles qui réclame une attention soutenue. Alors que faire d’une toile blanche en l’absence du peintre qui devrait la remplir ? C’est évidemment les deux personnes présentes sur scène qui s’en sont chargées. On a vu ainsi émerger progressivement, au gré des pauses, une peinture abstraite, et l’on pouvait remarquer, à certaines étapes, que le gribouillis improvisé à quatre mains aurait tout à fait pu trouver sa place dans un musée d’art contemporain (!)… ce qui conduit à s’interroger soit sur le talent méconnu des deux peintres improvisés, soit sur le sérieux des Artistes patentés…
Lire ou ne pas lire. Si l’on a une critique à formuler – quel spectacle en serait totalement indemne ? – elle concerne le conteur qui lit le texte. Antonio Rodriguez Yuste a certes une belle prestance et une diction convaincante mais tout cela disparaît chaque fois qu’il doit baisser les yeux sur sa feuille pour retrouver le fil de son discours. Aussi ne saurait-on trop l’encourager à apprendre intégralement son texte !
Fort-de-France, Théâtre municipal, 3 mars 2018.