— par Serge HARPIN —
DICTIONNAIRE ÉLEMENTAIRE FRANCAIS/CRÉOLE
de Pierre Pinalie, Éditions L’harmattan, 2009
Il n’y a rien de plus humain que la tendance à « naturaliser » les acquis des luttes passées, à les appréhender comme s’ils allaient de soi, comme s’ils avaient toujours été. La « naturalisation » se fait le plus souvent par oubli ou ignorance. Elle est aussi quelquefois produite à dessein par la substitution du mythe à l’histoire : on raconte alors des histoires, ses désirs. On instrumentalise le passé. Il en est ainsi du combat pour la reconnaissance des Créoles en tant que langues comme pour tout le reste. D’où un devoir d’histoire qui commence toujours par un rappel des faits :
–1970. Création de l’AMEP. Le créole est expérimenté comme langue d’enseignement, langue de transmission des savoirs.
– 1976. Option créole à l’UAG. Le créole entre dans l’enseignement supérieur. Proposition d’un système orthographique par le GEREC.
– 1977. Parution du journal GRIF AN TÈ. Le créole fait ses premiers pas comme langue de média écrit.
– 1982 Fondal-natal. Grammaire approchée des créoles guadeloupéen et martiniquais, Jean BERNABE
– 1983. Enseignement optionnel du Créole au collège de Basse Pointe. Le créole est introduit dans l’enseignement public comme langue enseignée.
1984. Eléments de grammaire du Créole martiniquais, Rober DAMOISEAU
–1985. Enseignement optionnel du créole, niveau élémentaire public, à l’école Rivière Roche de Macouba.
– 1987. Grammaire créole, Fondas Kréyol-a, Jean BERNABE.
– 1988. Enseignement des LCR en classe de seconde, AMEP. Elaboration à cette occasion d’un programme pour les classes de seconde, première et terminale
– 1992. Dictionnaire Elémentaire Français-Créole, Pierre PINALIE
– 1994. Dictionnaire des Proverbes Créoles, Pierre PINALIE
– 1995. Dictionnaire Encyclopédique des technologies créoles : la pêche à la Martinique, Serge HARPIN
– 1999. Grammaire du Créole Martiniquais en 50 leçons, Pierre PINALIE, Jean BERNABE
– 1999. Eléments de grammaire comparée Français-Créole, Robert DAMOISEAU
– 2001. CAPES de créole
Il y a là résumées quelques-unes des étapes décisives du parcours intellectuel et expérimental qui ont permis, sur une trentaine d’années, la transformation de l’image et des jugements sur les créoles. Pierre PINALIE, le « petit blanc », comme l’a qualifié avec mépris un des chantres de la créolité, a pleinement participé, on peut le constater, à ce combat. Il fallait d’abord le dire.
Revenons maintenant à notre sujet, la récente réédition du Dictionnaire élémentaire Français-Créole de PINALIE par l’Harmattan. Il convient d’emblée de préciser qu’il s’agit de la huitième édition de cet ouvrage. Ce n’est pas rien. Et la question qui vient logiquement est celle de la raison d’un tel succès. Un succès d’autant plus méritoire que le Créole reste encore une langue minorée, malgré une évolution très nette des consciences. D’autre part, ceci expliquant cela, c’est une langue à structure orale, à faible tradition littéraire, peu outillée à ce jour pour la prise en charge des discours scientifiques ou référant aux technologies modernes.
Les dictionnaires sont les ouvrages qui se vendent le mieux quel que soit le pays. On sait aussi l’attachement de chaque communauté pour sa langue. Pour autant ces explications restent insuffisantes puisque tous les dictionnaires n’ont pas la même audience auprès du public. Il faut pour comprendre l’intérêt de ce public analyser les choix de l’auteur sans jamais oublier que la fabrication de dictionnaire (la lexicographie) a toujours relevé plus de l’empirisme que de la science des mots (la lexicologie).
Tous les choix de PINALIE sont résumés dans l’intitulé de son livre : « Dictionnaire Elémentaire Français-Créole ». Il s’agit donc d’abord d’un « dictionnaire ». Un « dictionnaire » qui s’intéresse toutefois uniquement aux mots et pas aux choses. C’est donc un « dictionnaire de langue » pas un « dictionnaire encyclopédique » comme Le Petit Larousse Illustré. Son caractère bilingue le prédisposait à ce choix. On fait correspondre en effet dans les dictionnaires bilingues à chaque mot d’une langue source un ou plusieurs mots sémantiquement et grammaticalement équivalents de la langue d’arrivée. La langue source dans le dictionnaire de PINALIE est le Français et la langue d’arrivée le Créole. La diversité des équivalents créoles pour chaque mot français suggère l’existence de différences de registres ou d’usage socialement ou géographiquement déterminé (exemple 1). Et lorsqu’on sait, particulièrement à l’écrit, l’importance qu’il y a, à varier son vocabulaire, on ne peut qu’acquiescer. On le fera avec d’autant plus d’entrain que PINALIE nous renseigne utilement, grâce à des exemples de phrase, d’expression figées ou par des indications, sur l’emploi et par conséquent sur la catégorie grammaticale indispensable pour faire fonctionner les mots (exemple 2)
Exemple 1
Chétif : piannm pianm, blèblè, chéti
Mentir : manti, palémanti, badinen
Poulailler : poulayé, kaloj poul, pak poul
Exemple 2
De : a) appartenance :
Joujou timanmay-la : le jouet de l’enfant
b) avec valeur partitive :
I bwè dlo : il a bu de l’eau
c) avec une valeur indéfinie, au pluriel
I vann bel loto : il a vendu de belles voitures
d)…
Le parti pris du bilinguisme et du mot d’entrée ou mot vedette en français est confortable à la fois pour les créolophones ayant la double compétence du français et du créole et pour les francophones d’origine européenne, antillaise ou autre, n’ayant que la compétence du français. Il élargit le marché de l’ouvrage en faisant de la langue créole un bien à la portée de tous et pas seulement réservé aux seuls créolophones natifs. Sur le plan plus didactique, l’outil est précieux pour l’apprentissage du créole comme deuxième langue mais aussi pour une pédagogie contrastive des langues, particulièrement en classe élémentaire. Un dictionnaire bilingue « Français-Créole » c’est enfin une référence précieuse pour les traducteurs dont les productions littéraires sont de plus en plus nombreuses depuis quelques années en Martinique.
À l’option « dictionnaire bilingue» PINALIE ajoute dans son intitulé celui de « Dictionnaire Elémentaire ». Le terme « élémentaire » n’est pas sans conséquence sur la nomenclature – ou l’ensemble des mots répertoriés dans son dictionnaire bilingue comme entrées ( français) et comme équivalents (créole) – et sur le choix de l’état de langue, c’est-à-dire de la période d’usage des unités retenues dans cette nomenclature. Un dictionnaire élémentaire s’intéresse, en effet, aux mots les plus usuels, c’est-à-dire les plus utiles pour communiquer dans le quotidien. Le choix de l’état de langue est, en conséquence, généralement celui d’un parler contemporain. Le caractère usuel et contemporain des mots est ce qui distingue un dictionnaire élémentaire d’un dictionnaire « classique » de langue comme Le petit Robert qui prend pour modèle le lexique d’un locuteur idéal avec une compétence moyenne, au sens de non exhaustive et de pas simplement commune ou fondamentale. C’est aussi ce qui le différencie d’un dictionnaire du type Trésor de la Langue Française qui vise à décrire le plus grand nombre de mots et d’état de langue pour donner l’image la plus complète possible de la richesse et de la vitalité lexicales de la langue décrite. C’est de manière relativement empirique que PINALIE va décider des mots élémentaires ; avec une difficulté supplémentaire, celle de la correspondance terme à terme entre deux langues différentes quoi qu’apparentées. Il y réussit plutôt bien, voire très bien du point de vue de la fonctionnalité de son dictionnaire.
En définitive donc PINALIE est un auteur qui a toutes les raisons d’être heureux pour cette belle contribution au travail d’instrumentalisation du créole de la Martinique, son pays d’adoption.
Serge HARPIN