— Par Roland Tell —
Selon le mot de Victor Hugo, le genre humain a deux livres, deux registres, deux testaments : la maçonnerie et l’imprimerie. S’agissant de cette dernière, la Bible de Papier , l’édifice est colossal à la Martinique, par les oeuvres de nos écrivains, poètes, essayistes, linguistes, historiens, scientifiques, et autres économistes. A cet égard, la Martinique s’est révélée, telle la fourmilière des vérités utiles, des valeurs nouvelles, des mots neufs, depuis Zobel, Fanon , Césaire, Glissant, pour le droit à la pleine humanité, pour la naissance d’une réalité historique authentique, née comme le phénix mythique des cendres de l’histoire. A leur suite, debout sur les épaules de ces géants de l’esprit, qui sont leurs devanciers, Chamoiseau, Confiant, Bernabé, et bien d’autres, cherchent à articuler cette espérance de réalité historique, à la fois pour leurs ressources poétiques, romanesques, linguistiques, tout en cherchant à ouvrir un chemin nouveau, proclamant notre propre historicité. Toutes les oeuvres concernées sont les tranchées et les places fortes de notre culture, qui, non seulement, consiste à savoir, avec une passion intellectuelle ardente, et un amour de la vérité, mais qui consiste aussi à avoir su, notamment toutes ces horreurs de l’histoire, passées de notre mémoire, dans la moelle même de nos os ! Ce sont tous là des écrivains de grande pluralité, et de grand renom, dans le monde entier. Oui, une lumière s’est levée pour toute une génération, à la parution du Cahier d’un Retour au Pays Natal, et du Discours sur le Colonialisme, d’Aimé Césaire. L’oeuvre immense, accomplie par lui, comporte des aspects très variées. L’un des plus caractéristiques, l’un des plus essentiels, concerne l’idée de négritude. Il l’a mise en lumière à travers ses oeuvres, notamment théâtrales, il en a précisé sa signification historique, et sa portée immense dans l’histoire de l’humanité.
Jour après jour, la bible de papier crée des valeurs nouvelles, et la fierté nouvelle d’être Martiniquais. Son but est de maintenir et d’accroître, dans les esprits, le sens de la dignité humaine. Plus question maintenant de chercher à sortir de sa peau, de porter masque d’autrui ! Que de vacarmes nouveaux, poètes, écrivains, artistes, cinéastes, ont provoqué depuis, dans leurs productions, pour faire en sorte que le temps en arrière ne revienne, car derrière chaque Martiniquais s’étend une éternité d’existence niée. Métamorphosé, transfiguré, à travers les chefs-d’oeuvre de la bible de papier, le Martiniquais se tient debout face à son destin d’avenir. Oui, celle-ci le rend bienheureux chez lui, autour de lui, car, avec les mots, les discours, les poèmes, les récits, les spectacles, il a appris l’art de changer les évènements, de se remettre sur ses pieds, en toute circonstance. La bible de papier, qui a libéré tout sens captif en lui, lui permet, chaque jour, d’aller sereinement vers sa destination citoyenne, au sein de la pluralité humaine. Ainsi va sa migration historique, vers ce qui est plus haut, selon son espérance.
S’agissant maintenant de la Bible de pierre, il n’est plus permis de garder le silence, face aux rares réalisations de maçonnerie – bâtiments, monuments, édifices, routes, où s’impriment la gloire des bâtisseurs du passé, et où s’attachent la mémoire des dirigeants politiques des années 1960-1980, tels Jean-Joseph, Duval, Gratiant, Césaire. Il ne restera bientôt à visiter que les ruines de Saint-Pierre, après celles du lycée Schoelcher ! Bien des édifices disparaissent dans l’indifférence générale, par exemple le Centre de Tri Postal à Fort-de-France. Ailleurs chancellent bien des constructions, réputées devenir, si l’on n’y prend pas garde, des sortes de carrières de pierres pour voleurs et spéculateurs. Le peuple martiniquais doit s’élever contre ces dégradations et ces profanations, qui mutilent l’aspect de nos villes. Il est grand temps, en effet, de mettre un terme à ces désordres, aux démolitions, qui voient s’en aller, jour après jour, le vénérable livre de la tradition, avec la ruine organisée de toutes les ruines du pays. Il faut désormais changer d’optique, et mettre l’accent sur une vaste politique de grands travaux, susceptible d’illustrer enfin notre bible de pierre, en donnant aux édifices à construire trois impératifs : l’usage, la beauté, du travail pour la jeunesse.
Roland Tell