— Par Barbara Théate —
Aux côtés de Willem Dafoe, l’ex-star de la danse joue l’absurde dans une farce surréaliste du metteur en scène américain.
On les croirait sortis d’un film de Buster Keaton ou échappés d’un cirque. Le visage blanc, serrés dans des costumes noirs aux pantalons trop courts, une mèche de cheveux dressée sur le côté de la tête, deux Zébulon sautillants se livrent à un drôle de numéro entre danse, théâtre et mime, né de l’imagination débridée du metteur en scène Bob Wilson. Tels des jumeaux infernaux, Willem Dafoe et Mikhaïl Baryshnikov s’affrontent à coups d’onomatopées hilarantes en équilibre sur un trapèze, se baladant au milieu d’une forêt d’arbres en carton, valsant parmi des installations lumineuses.
Dans The Old Woman, tiré d’une nouvelle de l’écrivain satiriste Daniil Harms, les répliques en anglais et en russe (surtitrées en français) fusent et l’humour fait des étincelles. Les deux acteurs réussissent, mission délicate, à donner un peu de sens et beaucoup de poésie à cet univers que Bob Wilson a voulu complètement absurde et cartoonesque. Leur complicité est évidente : Willem Dafoe, acteur fétiche de Lars Von Trier, joue formidablement avec son corps et Mikhaïl Baryshnikov, ancien danseur de légende, révèle ici un vrai talent comique.
Pourtant, l’ex-star du ballet n’a pas toujours ri au début de « l’expérience Bob Wilson ». C’est plutôt un sentiment de vertige qui l’a submergé en collaborant avec le metteur en scène de l’extrême. « On se croisait souvent au théâtre, et on se disait toujours qu’il faudrait qu’un jour on travaille ensemble. J’ai toujours admiré ce que Bob réussissait à tirer de ses comédiens. Il a pensé à moi, j’ai tout de suite accepté. » L’exilé politique Baryshnikov y voit l’occasion de rendre hommage à son compatriote, écrivain fondateur du modernisme russe dans les années 1930, dont les écrits furent interdits durant le régime stalinien et qu’on redécouvre depuis peu. « Mais aussi l’opportunité de jouer en russe. J’ai beau vivre aux États-Unis depuis quarante ans, l’anglais reste pour moi une langue étrangère. »
« Bob est totalement schizophrène! »
Si Willem Dafoe, fondateur de la troupe de théâtre expérimental Wooster Group, s’est déjà frotté à la méthode de travail hors norme de Bob Wilson, Baryshnikov s’est senti d’abord un peu dérouté de se retrouver à chanter et à imiter des bruits de vomissement sous les hurlements d’un metteur en scène qui assure en même temps les effets visuels, le son et les décors. « Bob est totalement schizophrène! On était sous pression constante, physiquement, psychologiquement. Mais j’ai fait des choses dont je ne me serais jamais cru capable. C’est ma performance la plus audacieuse et la plus folle. Mais aujourd’hui, je ne veux plus écouter que mes envies. » Et elles sont nombreuses.
En plus de The Old Woman, le comédien jouera sur scène aux États-Unis et en Angleterre des nouvelles de Tchekhov. Sans pour autant oublier la danse. À 65 ans, Baryshnikov fait sa barre tous les jours, prend sa classe avec les danseurs de l’Opéra quand il est de passage à Paris, et s’occupe de son Art Center de New York, destiné à promouvoir de jeunes chorégraphes. « Je me sens très en forme et j’ai interprété récemment des ballets de Mark Morris. Je voudrais me diriger vers une expression du corps moins dans la performance et plus dans la théâtralité. Rien ne remplacera jamais la danse : elle fait partie de mon ADN. »
The Old Woman**, Théâtre de la Ville, Paris (75001). Du 6 au 23 novembre à 20 h 30. Réservation : 01 53 45 17 17 et www.festival-automne.com
Barbara Théate – Le Journal du Dimanche
samedi 02 novembre 2013
The Old Woman
The Old Woman au Théâtre de la Ville du 6 au 23 novembre. (DR Lucie Jansch INBOX)
http://www.lejdd.fr/Culture/Theatre/Baryshnikov-clown-blanc-pour-Bob-Wilson-636784