— Par Jean Samblé —
Après des semaines de tractations intenses, Michel Barnier a dévoilé la composition de son nouveau gouvernement le 21 septembre, marqué par une nette inflexion à droite. Réunis autour de 39 ministres, ministres délégués et secrétaires d’État, ce cabinet reflète une alliance stratégique entre Les Républicains (LR) et les anciens alliés du président Emmanuel Macron. Malgré des appels à l’ouverture, notamment vers la gauche, la formation de ce gouvernement montre un choix résolu : un recentrage vers la droite conservatrice, tranchant ainsi avec les premières années du quinquennat macroniste, où la logique du « en même temps » semblait encore d’actualité.
Une orientation à droite toute
Le poids des Républicains dans cette nouvelle équipe est évident. Bruno Retailleau, chef des sénateurs LR, hérite du ministère de l’Intérieur, un poste de premier plan, confirmant le recentrage à droite des priorités sécuritaires et migratoires. D’autres figures importantes du parti, comme Annie Genevard à l’Agriculture ou Laurence Garnier à la Consommation, traduisent ce retour en force des conservateurs dans l’appareil d’État. Garnier, par exemple, dont les positions polémiques sur le mariage pour tous et l’IVG ont fait couler beaucoup d’encre, incarne cette droite idéologiquement ancrée dans des valeurs traditionnelles.
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Pour autant, la présence de personnalités de l’ex-majorité présidentielle, notamment des macronistes comme Sébastien Lecornu qui conserve son portefeuille aux Armées, ou encore Anne Genetet à l’Éducation, témoigne de la volonté de maintenir un certain équilibre. Ce compromis entre LR et les macronistes a été difficile à atteindre, les discussions ayant failli échouer à plusieurs reprises, mais il aboutit à un attelage politique plus marqué idéologiquement que sous les gouvernements précédents. Emmanuel Macron, bien que toujours influent en coulisse, semble avoir accepté cette inflexion à droite comme une nécessité pour conserver une forme de stabilité politique.
Les Républicains, pièce maîtresse de l’exécutif
Le parti Les Républicains, qui avait initialement exclu toute alliance avec Emmanuel Macron, a finalement accepté de rejoindre le gouvernement en obtenant des postes stratégiques. Bruno Retailleau à l’Intérieur symbolise cette victoire de la droite dure, lui qui s’est opposé au mariage pour tous et qui est perçu comme un conservateur rigide. Ce retour en grâce des Républicains au sein de l’exécutif marque un tournant, faisant écho à l’ère Sarkozy-Fillon, douze ans après. En effet, l’exécutif Barnier semble constituer une forme de retour de la droite classique au pouvoir, mais dans un contexte de fragilité institutionnelle et de rejet populaire grandissant.
Cette présence forte de la droite conservatrice est également visible à travers d’autres nominations : Annie Genevard à l’Agriculture et Gil Avérous aux Sports. Ces personnalités, qui ont souvent soutenu des positions très traditionalistes, sont désormais en charge de ministères clés. Ce gouvernement Barnier peut ainsi être vu comme une alliance entre le macronisme et la droite la plus conservatrice, rendant le programme plus réactionnaire que sous les gouvernements précédents.
Macronistes en position de force mais contestés
Malgré ce basculement idéologique, les fidèles de Macron conservent des positions influentes. Rachida Dati reste à la tête du ministère de la Culture, Sébastien Lecornu aux Armées, tandis que Catherine Vautrin et Guillaume Kasbarian sont respectivement à la tête des ministères des Territoires et de la Fonction publique. Cependant, leur présence ne suffit pas à masquer les tensions au sein même de la majorité. L’aile gauche du camp macroniste est particulièrement mécontente de cette évolution droitière. La députée Sophie Errante, par exemple, a claqué la porte du groupe Ensemble, dénonçant ce qu’elle considère comme un « mépris » envers la diversité politique promise par Macron.
La fracture semble désormais consommée entre les macronistes de gauche et la droite conservatrice. Cette rupture au sein même de la majorité présidentielle traduit une forme de décomposition de l’idéal politique d’Emmanuel Macron, qui avait promis de réconcilier les camps politiques opposés. Ce « nouveau » gouvernement, qualifié par certains de « retour du macronisme par la porte dérobée », ne satisfait pleinement ni la droite ni la gauche de la majorité.
Un gouvernement en sursis
L’un des plus grands défis auxquels ce gouvernement devra faire face est sa fragilité institutionnelle. Avec seulement 212 députés, loin de la majorité absolue à l’Assemblée nationale (289 sièges), Michel Barnier doit naviguer dans des eaux politiques incertaines. Sans une majorité stable, il devra composer avec des alliances de circonstances, notamment avec certains groupes parlementaires, pour faire passer ses réformes, notamment sur le budget, qui sera l’un des premiers grands chantiers de son mandat.
Michel Barnier a esquissé quelques priorités dans un communiqué à la presse, telles que la sécurité, l’immigration, le pouvoir d’achat ou la maîtrise des finances publiques. Cependant, aucune ligne claire n’a été définie, et les premières épreuves politiques à venir, comme le budget de l’État et la gestion de la dette écologique, pourraient rapidement mettre en péril cet exécutif. En effet, Barnier devra clarifier sa position sur la question des hausses d’impôts, sujet sensible pour les macronistes, mais aussi pour une partie de la droite.
Un paysage politique fracturé et en tension
Au-delà des nominations, la mise en place de ce gouvernement illustre la crise de représentativité qui frappe la Ve République. Jamais un gouvernement n’a été formé dans de telles conditions de faiblesse institutionnelle. Le manque de légitimité démocratique et l’incapacité à obtenir une majorité absolue traduisent la fin d’un modèle politique bipolaire stable. Dans un contexte de montée en puissance des extrêmes, notamment du Rassemblement National, certains craignent que le gouvernement Barnier ne serve qu’à repousser l’inévitable : une recomposition politique totale où les forces traditionnelles de droite et de gauche seront marginalisées.
Si le Rassemblement National, qui n’a pas promis de censurer ce gouvernement par principe, devient un partenaire tacite, cela pourrait traduire un basculement définitif de l’échiquier politique vers une normalisation des idées d’extrême droite. Le RN se prépare déjà à tirer profit de l’incapacité de la majorité à s’accorder, tout en prônant une forme de gouvernance autoritaire en réponse aux crises.
En somme, le gouvernement Barnier, avec ses airs de continuité sarkozyste et son parfum de macronisme fatigué, reflète une France en plein bouleversement politique, où les institutions vacillent et où le socle populaire qui soutenait jadis les gouvernements traditionnels semble se désintégrer. Le Premier ministre devra rapidement prouver sa capacité à gouverner dans ce contexte explosif, sous peine de voir son gouvernement s’effondrer face à la pression d’une opposition de plus en plus radicalisée et d’une majorité relative instable.