Baisse de motivation des étudiants, interactions « au point mort » avec les enseignants : le ras-le-bol des cours en ligne

Avant une rentrée universitaire qui s’annonce hybride, les enseignants s’alarment de la perte du « lien » pédagogique.

Par Alice Raybaud —

Chaque semaine depuis la mi-mars, Alexandre Mayol, maître de conférences en sciences économiques à l’université de Lorraine, allumait son ordinateur, se branchait sur Zoom et saluait ses étudiants. Ou plutôt, des dizaines d’écrans noirs : autant de petits carrés sombres que d’étudiants, invisibles. Les micros étaient fermés, les caméras éteintes afin d’éviter de saturer le réseau, et pour respecter l’intimité d’un chez-soi devenu brusquement lieu d’études. Puis, dans un « silence d’outre-tombe », Alexandre Mayol commençait son cours. « Mon monologue », rectifie l’enseignant, saisi par la désagréable impression de « parler dans le vide ».

Une situation inédite

Ces mots sont dans toutes les bouches : interaction « au point mort »« frustration », voire « tensions » manifestes… Lorsque, en mars, les universités et grandes écoles ont basculé vers des cours en ligne à cause de l’épidémie de Covid-19, la relation pédagogique entre enseignants et étudiants a en effet dû s’adapter, tant bien que mal et sans préparation, à cette situation inédite.

Un modèle qui pourrait se poursuivre en septembre, si la situation sanitaire ne permet pas un retour normal dans les établissements. Non sans difficulté, ces derniers préparent déjà une « rentrée hybride », mêlant enseignement en ligne et en présentiel. Dans cette formule défendue par le ministère de l’enseignement supérieur, les cours à distance pourraient rester majoritaires, jusqu’à 80 % de la formation selon les décisions de chaque établissement. Dans les rangs professoraux, cette perspective génère de l’inquiétude. D’autant qu’il s’agira alors d’accueillir de nouveaux étudiants, qu’ils n’auront même pas rencontrés quelques semaines en présentiel.

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Comment l’université pourra-t-elle alors les suivre et les former ? Beaucoup le constatent : avec l’absence de la présence physique, certains éléments essentiels au processus d’apprentissage passent à la trappe. « Une partie de notre travail de transmission s’appuie sur les sens, sur le non-verbal, insiste Alexandre Mayol. En classe, on peut marcher entre les rangs, jeter un œil sur chaque travail individuellement, repérer l’étudiant qui ne dit rien et qui est un peu perdu. C’est impossible à distance. »

Besoin de proximité

Privés des ressorts habituels de captation de l’attention, de nombreux professeurs ont senti le lien avec leurs classes s’effriter, tandis que la motivation des étudiants s’érodait. « Les deux sont intimement connectés », abonde Mael Virat, chercheur en psychologie de l’éducation et auteur de Quand les profs aiment les élèves (Odile Jacob, 2019). Selon lui, l’engagement scolaire et l’apprentissage dépendent directement du lien développé avec l’enseignant, figure d’attachement pour le jeune. A l’instar des élèves plus jeunes, les étudiants expriment un besoin d’attentions particulières et de proximité avec leurs enseignants. « Ils attendent d’eux qu’ils les portent en tant qu’individus, et pas seulement comme apprenants », précise Mael Virat.

Sauf qu’en ligne les sourires, les traits d’humour, les digressions et anecdotes personnelles tendent à disparaître. « Or, loin d’être accessoires, ces éléments contribuent à construire du lien et de l’implication scolaire », souligne le chercheur, qui y voit une des raisons du taux de décrochage important au sein des formations proposées en ligne. Ainsi, les MOOC, ces cours gratuits en ligne, sont suivis jusqu’au bout en moyenne par seulement 10 % des personnes inscrites.

Avec la distance, c’est la « partie humaine » de la profession d’enseignant qui s’évapore, juge Frédéric Brossard, professeur de maths à Intégrale, prépa privée parisienne. Il avait pris l’habitude d’arriver plus tôt dans la salle de classe et de rester quelques minutes à la fin, pour « discuter de tout et de rien » avec les élèves qui en ressentiraient le besoin. Mais depuis le confinement, le cours a perdu de sa saveur. « Il dure pile poil le temps imparti, autour d’un tableau virtuel, sans visages sur l’écran », raconte l’enseignant, pour qui cela n’a rien d’une solution viable.

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