— par Selim Lander —>
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J.-S. Bach en 1715 |
La Disgrâce de Jean-Sébastien Bach
de Sophie Deschamps et Jean-François Robin
Le comédien Serge Barbuscia, après s’être mis en scène lui-même devant les spectateurs de l’Atrium dans J’ai soif, a proposé au même public une production de sa compagnie, le Théâtre du Balcon, conçue à partir d’un épisode réel de la vie du compositeur Jean-Sébastien Bach (1685-1750). L’anecdote se situe en novembre 1716. Notre héros, encore jeune mais déjà célèbre compositeur, est au service du prince de Weimar. Davantage préoccupé de suivre son génie que les desiderata de son maître, il finit par s’attirer les foudres de ce dernier qui l’enferme dans un coin de son palais. Il ne sortira pas de sa prison tant qu’il n’aura pas livré une cantate pour le 1er dimanche de l’Avent.
Une note des auteurs nous renseigne sur leurs intentions. Leur texte, écrivent-ils « traite du combat de Bach contre l’obscurantisme et sa lutte pour une création sans contrainte ». Une autre note, du metteur en scène cette fois, précise sa lecture du personnage. Il évoque un Bach envouté par « quelque chose de mystérieux et grandiose, de dangereux et d’exaltant,… une substance qui drogue l’esprit,… un génie qui s’exprime dans les lisières de la folie ».
Cependant le Bach qui s’exhibe sur la scène est bien loin de correspondre aux intentions des premiers comme à celles du second. On ne saurait incriminer Fabrice Lebert, le comédien qui incarne le compositeur : son jeu est vivant, varié et comme il est présent sur la scène du début à la fin, il contribue sans nul doute pour une part essentielle à faire de ce spectacle un divertissement agréable. Le problème tient plutôt au texte qui ne fait pas vraiment ressortir le problème pourtant toujours d’actualité des rapports entre les artistes et le pouvoir. On voit bien Bach s’opposer au prince, et ce avec une belle obstination. Mais c’est justement là que le bât blesse. L’entêtement n’est pas une attitude raisonnable et d’ailleurs Bach finira par écrire la cantate demandée. On a plutôt l’impression d’avoir en face de soi un gamin qui fait un caprice au lieu d’un artiste en proie à son génie créateur.
La pièce manque par ailleurs d’un véritable ressort dramatique. Bach finit par céder aux exigences du prince, essentiellement, semble-t-il, parce que son épouse agite devant lui le spectre (peu probable) de leurs enfants menacés par la misère. Or il n’y a pas non plus de progression dans l’argumentation : dès le début nous connaissons le point de vue des deux parties. Bach refuse de se reconnaître d’autre maître que son inspiration ; le prince considère Bach comme son employé et s’estime donc en droit de lui passer des commandes. Nous apprenons par ailleurs que Bach n’aurait aucun mal à « torcher » une cantate, qu’il retrouverait alors aussitôt sa liberté et pourrait ainsi laisser son génie s’exprimer dans des conditions plus propices et moins angoissantes pour les siens. Partant de là, les auteurs devraient nous aider à comprendre pourquoi leur héros choisit de s’obstiner. Or aucun argument digne de ce nom n’est avancé à l’appui de la position affichée dès le début. Il serait pourtant sûrement possible de plaider en faveur d’une totale liberté de création pour les artistes (accompagnée, cela va de soi, des moyens nécessaires pour qu’ils puissent s’exprimer !), mais ce n’est malheureusement pas ce que fait le texte.
Il n’y a rien à reprocher à la distribution. Fabrice Lebert (au centre sur la photo), on l’a dit, incarne le jeune Bach avec un enthousiasme qui fait plaisir à voir. Il est gardé par un soldat admiratif et benêt, interprété par un Fabien Audusseau (à gauche) plutôt en retrait mais néanmoins convaincant. Le représentant du prince est joué par Nicolas Allwright (à droite), comédien confirmé qui tire son personnage vers le comique. Enfin Floriane Jourdain apporte dans le rôle de Maria-Barbara, la première épouse de Johann-Sebastian, la grâce de la musique de Bach dont elle chante quelques trop brefs morceaux.
Compte tenu des faiblesses du texte, sans doute aurait-il fallu imaginer une autre mise en scène, moins respectueuse des intentions des auteurs et faisant une plus large place à la musique du Cantor.
En tournée et à l’Atrium de Fort-de-France les 4 et 5 mars 2010.