L’éco pour les nuls ?
— Par Jack Dion —
Coup dur pour les candidats libres lors de l’épreuve de sciences économiques et sociales du bac. On leur a proposé un sujet qu’on aurait cru rédigé par un ponte du patronat.
Les élèves qui ont passé l’épreuve de sciences économiques et sociales (SES) en candidats libres, le 7 juin dernier, ont eu droit à deux sujets. L’un était formulé de la manière suivante : « À l’aide de vos connaissances et du dossier documentaire, vous montrerez que des politiques de flexibilisation du marché du travail permettent de lutter contre le chômage structurel. » Tel que.
On appréciera l’absence totale de parti pris idéologique de la problématique, la neutralité absolue du propos, dénué de toute velléité partisane, ainsi que la volonté affichée de ne pas pousser le candidat dans un a priori manichéen. C’est digne d’un éditorial non engagé de Dominique Seux dans la matinale de France Inter, d’une foucade de Nicolas Beytout dans L’Opinion, ou d’une analyse de Jean Tirole, prix Nobel d’économie et modèle de prêt-à-penser néolibéral.
On en a une preuve supplémentaire avec le dossier documentaire fourni aux candidats, aussi caricatural que la question soumise à leur cogitation. On y trouve : 1) un graphique montrant « une corrélation douteuse » (sic) entre le taux de chômage et ce que l’on appelle la « rigidité du marché du travail » (autrement dit des règles sociales protectrices). 2) un texte du Fonds monétaire international (FMI) prouvant que la perte d’emplois est due au niveau trop élevé du salaire minimum. 3) un sondage commandé par le Medef, confirmant que, pour les employeurs, le coût du travail est le problème numéro 1.
La charrette des innocents
Roulez jeunesse ! Avec de tels outils de réflexion, les candidats ont le choix : ils peuvent montrer que le chômage est dû aux insupportables exigences des salariés, ou aux chômeurs eux-mêmes, inaptes à la nécessaire fluidité de la précarité.
En tout cas, on exonérera de toute responsabilité les rentiers qui se paient sur la bête ; les financiers qui jouent l’argent fou plutôt que l’investissement ; les adeptes de la mondialisation qui préfèrent délocaliser plutôt que créer des entreprises sur le territoire national ; les banquiers qui jouent les intermédiaires de luxe ; les gouvernants qui laissent faire ou qui encouragent un tel jeu de massacre. Somme toute, ça fait du (beau) monde pour jouer des coudes dans la charrette des innocents.
Emprise du marxisme à l’école
En tout cas, une chose est sûre : avec un minimum de jugeote, les candidats au bac SES auront pu montrer qu’ils ne se laissent pas piéger par le danger régulièrement dénoncé par les tenants du néolibéralisme : l’emprise du marxisme à l’école. Cette fois, le risque a été évité, la brèche idéologique colmatée, et l’ennemi de l’intérieur endigué.
En l’espèce, on peut même dire que le problème a été évacué à la manière d’une entreprise vidée de ses employés pour cause de délocalisation. Les bacheliers qui auront obtenu les meilleures notes seront invités à l’université d’été du Medef de la rentrée de septembre pour parfaire leurs connaissances et compléter leur CV. Ils devraient être accueillis avec les vivats enthousiastes d’un public qui sait reconnaître les siens.
Source : Marianne