L’artiste française la plus écoutée dans le monde a publié « Aya », son troisième album, vendredi. Dans son sillage, des artistes comme Lyna Mahyem et Wejdene cherchent à se faire une place.
— Par Stéphanie Binet —
Depuis 2018, Aya Nakamura est l’artiste française la plus écoutée dans le monde sur les plates-formes en ligne. Son troisième album, Aya, publié vendredi 13 novembre, ne devrait pas infléchir ce phénomène. Nakamura, son précédent disque, sorti en 2018, porté par les deux hits Djadja et Pookie, s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires avec une certification disque de diamant en France (plus de 500 000 copies écoulées), mais aussi d’or ou de platine dans dix-neuf autres pays (Allemagne, Pays-Bas, Canada, Suède, Espagne, Russie, Pérou, Colombie, Venezuela…).
La vidéo du titre Djadja, qui raconte ses déboires avec un menteur, dans un argot propre à sa banlieue d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), a été vue près de 700 millions de fois sur YouTube
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Le magazine américain The Fader écrivait alors que « le monde est désormais son terrain de jeu », tandis que, pour le New York Times, Aya Nakamura est, en 2019, l’« un des plus importants événements en Europe, musicalement et socialement ». Même engouement pour le quotidien japonais Yomiuri Shimbun, qui s’enorgueillit : « Incroyable : l’ascension d’une chanteuse française avec un nom japonais. » L’artiste a emprunté son nom à un personnage de la série télévisée américaine Heroes (2006-2010), Hiro Nakamura, qui avait le don de pouvoir se téléporter.
Aura internationale
Alors à l’aube de sortir son disque, déjà porté par ses deux premiers singles, Jolie Nana et Doudou, Aya Nakamura, de son vrai nom, Aya Danioko, 25 ans, a donné beaucoup d’entretiens à la presse étrangère. A tel point que, cette semaine, alors qu’elle devait s’entretenir entre autres avec Le Monde, la chanteuse, épuisée, a annulé plusieurs interviews avec des médias francophones.
Malgré cette récente aura internationale, son nouvel album reste chanté en français, dans cette langue élastique qu’elle aime enrichir de ses expressions, de son argot. Après « djadja » (« mec »), il faudra s’habituer à « tchop » (« voiture »), par exemple. Mais pour bien marquer son ancrage international, elle ouvre son disque par un duo avec l’icône de la communauté noire britannique, Stormzy, pour Plus jamais, et le termine avec la rappeuse britannique, Ms Banks, pour Mon Lossa. L’autre invité du disque, Oboy, est le rappeur français que produit son petit ami et producteur, Vladimir Boudnikoff, relation qu’elle a officialisée cet été sur Instagram.
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Dans ses quinze morceaux, elle se livre en effet un peu plus, tout en faisant la part belle à des textes assez légers, avec pour thème les relations amoureuses, sur des rythmes dansants. Tchop pourrait être un Djadja bis. Dans Biff, elle réaffirme son identité de jeune femme indépendante avec un mental d’athlète. Sur une rythmique propre à ses tubes de pop urbaine, elle prétend : « J’me débrouille toute seule, ce que j’ai, je l’ai gagné toute seule. »
En plus de séduire un public étranger, la jeune chanteuse a ouvert la voie à une toute nouvelle génération de chanteuses R’n’B et de pop urbaine, qui revendiquent son héritage. Pour la Martiniquaise Meryl, qui s’apprête à sortir un premier album en 2021 après avoir travaillé notamment pour Soprano, SCH ou Niska, « Aya, c’est la reine. C’est la plus forte dans son registre. Elle mélange la “vibe” hollandaise, le zouk, l’Afrique. C’est une vraie diva ».
Lire le portrait (2017) : Aya Nakamura s’invite dans l’arène des musiques urbaines
Lyna Mahyem, qui a grandi entre Argenteuil, dans le Val-d’Oise, et le 20e arrondissement de Paris, et qui a sorti fin octobre son premier album, Femme forte, le reconnaît : « Aya a traversé des choses auxquelles je m’identifie, bloquée par des directeurs artistiques de maisons de disques, abandonnée au milieu de projets. Notre point commun avec elle, c’est que nous sommes toutes des battantes et que nous sommes des petites meufs qui prenons soin de nous. »
Même pour la Suissesse d’origine burundaise Ocevne (prononcé « Océane »), produite par Barack Adama, le rappeur de Sexion d’Assaut, et par le chanteur Dadju, dont les références sont exclusivement américaines, Aya Nakamura est un modèle : « Elle a apporté à la pop et au R’n’B français de la fraîcheur, de la prestance, du charisme. C’est une femme de couleur qui a mis en avant son côté africain. »
Autonomes très jeunes
Il n’y a que la jeune Wejdene, 16 ans, qui s’est fait connaître avec le tube Anissa et ses fautes de français, « Tu hors de ma vue », pour nuancer : « Son côté fort en gueule, ça ne correspond pas à mon âge. Si je montre trop d’attitudes comme elle, que je fais la riche, les filles de mon âge ne pourront pas s’identifier à moi. » Dans le morceau introductif de son album 16, publié fin septembre, cette fille d’un chanteur tunisien et d’une infirmière se vante toutefois de gagner 3 000 à 4 000 euros par mois avec sa musique, « qu’elle ne dépense pas, précise-t-elle en entretien, pour assurer son avenir ».
C’est le point commun de cette nouvelle génération : ces chanteuses se sont rendues autonomes très jeunes. Fille d’une « patronne » de bar et de restaurant parisiens d’origine algérienne, bercée par les chansons d’Edith Piaf, Lyna Mahyem a tenu « à ne pas être une charge » pour sa famille dès ses 16 ans en enchaînant des petits boulots : caissière dans un magasin de jouets, dans un fast-food, agente à la SNCF, le tout en poursuivant des études pour être agente d’escale. Ocevne, elle, a abandonné ses études d’infirmière à 17 ans pour se rendre à Paris et devenir vendeuse de prêt-à-porter. De retour en Suisse, elle se lance dans la musique tout en entrant dans une formation en alternance qui la fait actuellement travailler à la Croix-Rouge.
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Toutes, aussi, s’appuient sur leurs fans et les réseaux sociaux pour créer et continuer à exister. Wejdene s’est fait connaître grâce à une vidéo TikTok et continue à répondre en direct à ses followers ; Ocevne entretient le lien en diffusant un lundi sur deux une nouvelle chanson, les « Music Monday ».
Quant à Lyna Mahyem, elle a fait appel à ses abonnés lors du confinement du printemps pour écrire une chanson à partir de leurs témoignages, qui s’intitule Juste, dans l’album. Dans une autre, Purple, elle raconte l’histoire d’un viol, sujet rare dans le R’n’B français : « Chanter, on le fait pour nous, certes, explique-t-elle, mais on doit aussi parler à une communauté. Et si on ne pense qu’à nous, à un moment, on tourne en rond. » Ces chanteuses ont toutes appris du parcours d’Aya Nakamura, cultivent leurs particularités tout en visant déjà plus loin : « Mon ambition, résume Lyna Mahyem, c’est de faire encore mieux, d’être aussi populaire que Stromae. »
Aya, d’Aya Nakamura, 1 CD (Rec. 118/Warner).
Femme forte, de Lyna Mahyem, 1 CD (Universal).
16, de Wejdene, 1 CD (Caroline Records).
Stéphanie Binet
Source : LeMonde.fr