—Par Selim Lander —
Swamp Club de Philippe Quesne est passé par Vienne et Berlin avant Avignon. Une grande tournée internationale suivra. Ce metteur en scène a donc une solide réputation et des soutiens dans le monde du théâtre contemporain. Aussi était-on particulièrement curieux de le voir à l’œuvre. Il a lui-même comparé ses spectacles à « des études entomologiques, dans lesquelles on pourrait observer des êtres humains évoluer comme au microscope » – une remarque citée par Marion Siefert dans le programme du festival. Elle ajoute que Philippe Quesne « sculpte ses thématiques plus qu’il ne les écrit, trouvant son inspiration aussi bien dans la peinture et les arts graphiques que dans les aléas du réel et de la création collective ».
En pénétrant dans la salle de Vedène, grande et moderne, où Swamp Club est programmé, on est tout de suite séduit par le décor qui occupe tout le plateau. À jardin, une salle cubique, toute vitrée, sur pilotis, au-dessus de la marre qui donne son titre à la pièce. À cour, en haut d’une pente, une sorte d’entrée de mine ou de souterrain, légèrement surélevée, étayée de billots de bois et, devant, écrits avec des morceaux de bois les deux mots swamp et club. La mare est entourée de végétation et l’on aperçoit quelques animaux empaillés. Les dialogues sont quasiment inexistants mais des indications s’inscrivent sur deux rails lumineux. L’action se déroule dans un lieu qui sert de résidence d’artiste : le programme des résidents pour la journée s’affiche en rouge sur le rail situé au-dessus de l’entrée supposée de la mine. Dans la salle vitrée qui semble servir de foyer aux résidents, l’autre rail fait défiler l’histoire légendaire du roi des nains, roi d’un peuple souterrain, qui sera métamorphosé en taupe. Justement, la voici, cette taupe, qui sort du sous-terrain ; elle semble bien mal en point et on s’affaire pour l’aider. Il y a du monde sur scène car la petite colonie d’artistes s’est enrichie de trois nouvelles recrues. Après cette arrivée, tout le monde est parti au sauna, et les comédiens seront revêtus de peignoirs blancs pendant la plus grande partie de la pièce.
Tout cela est fort bon mais que va-t-il se passer dans ce beau décor, avec tous ces comédiens en blanc immaculé ? Quatre d’entre eux sont membres d’un quatuor à corde, ce qui nous vaut d’entendre de la très belle musique. Mais que va-t-il se passer, quand la pièce commencera-t-elle vraiment ? Notre insistance à poser la question laisse entendre, bien sûr, qu’il ne se passera rien ou si peu. La première partie, nous en avons déjà rendu compte. Il y en a une seconde, tout-à-fait différente, sans qu’on voie sa nécessité. Le ou les concepteurs de ce spectacle (puisque Quesne déclare faire un travail d’équipe) ont décidé de faire planer sur la petite colonie d’artistes la menace d’une guerre. Des roulements de basse se substituent à la musique de chambre. Un personnage vêtu comme un milicien ou un chasseur semble vouloir diriger l’évacuation. Tous les pensionnaires s’activent à transporter à l’intérieur du foyer (pour les mettre à l’abri ?) les plantes et les animaux qui peuplaient le marais. Cette tâche une fois achevée, ils enfilent en rang d’ognons l’entrée du sous-terrain et c’est la fin de la pièce.
Ladite pièce ne nous ayant rien donné à penser, nous faisons appel à un critique quesnephile, à savoir René Solis du journal Libération. Il n’a que des éloges pour le début : « la musique, la légende, le lent ballet des comédiens explorant un univers dont tous les usages semblent à réinventer : la première moitié de la pièce est impeccable, hors de tout calcul utilitaire ». Il se montre nettement moins enthousiaste à propos de la suite : « Même si la surenchère spectaculaire est désamorcée de l’intérieur, le signifiant qui s’échappe du marécage ramène bizarrement le projet du côté de l’explicite » (Libération, 20-21 juillet, 2013, p. 22). Une critique de théâtre plutôt absconse, on le voit, mais il ne faut sans doute pas moins pour commenter une pièce éminemment absconse, elle aussi.