Avignon 2023 vu par Michèle Bigot et Dominique Daeschler pour Madinin’Art

Le Festival d’Avignon est la plus importante manifestation de théâtre et de spectacle vivant du monde, par le nombre de créations et de spectateurs réunis.

Fondé en septembre 1947 par Jean Vilar avec l’aide de Jean Rouvet, sur la suggestion des marchands de tableaux Yvonne et Christian Zervos, ce festival des arts du spectacle est considéré comme le plus ancien et le plus célèbre de France. À l’origine simple Semaine d’art dramatique offrant alors trois créations dans trois lieux scéniques différents, cet événement devient en juillet 1948 le Festival d’Avignon.

La Cour d’honneur du Palais des papes est le berceau du festival, qui investit plus de 30 lieux de la ville, classée au patrimoine mondial de l’Unesco, et sa région, dans des ouvrages d’art mais aussi des gymnases, cloîtres, chapelles, jardins, carrières, églises.

Le 5 juillet 2021, le metteur en scène et dramaturge portugais Tiago Rodrigues (alors directeur artistique du théâtre national Dona Maria II de Lisbonne) est nommé directeur du Festival d’Avignon pour succéder — à partir de 2023 — à Olivier Py à l’issue de la 76e édition du Festival qui se déroule du 7 au 26 juillet 2022. Il prend ses fonctions le 1er septembre 2022 pour un mandat de 4 ans, éventuellement renouvelable une fois. Pierre Gendronneau est nommé directeur délégué (il est, notamment directeur de production au Centre dramatique national de Montreuil et directeur adjoint au festival d’automne de Paris) et entre en fonction à partir du 9 février 2023. Le 1er festival dont Tiago Rodrigues est le directeur se déroule du 5 au 25 juillet 2023.

 

« Carte noire nommé désir », texte & m.e.s. de Rébecca Chaillon, au gymnase du lycée Aubanel

— Par Michèle Bigot —

Ce n’est pas le tramway, mais le café que l’on nomme désir, slogan publicitaire oblige. Le titre annonce la couleur, littéralement. A la fois ironique, satirique et corrosif. L’ensemble du spectacle est à l’avenant, mordant, caustique, agressif, dérangeant. Le festival n’est pas dans sa zone de confort!

Dès l’entrée, vous êtes prévenus. Les femmes « noires et métisses afro-descendantes, trans ou non binaires ayant un vécu de femme » sont invitées à s’asseoir à l’arrière du plateau, sur des sofas moelleux, où elles seront servies en rafraîchissements. Le reste c’est le tout-venant du public, bonne bête à bétaillère, qui va se faire houspiller, provoquer, agresser. L’homme cis-genre noir égale l’homme blanc, même combat! Dans les gradins, bien serrés, pas de cadeau! Même faute, même punition.

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« Antigone in the Amazon », conception & m.e.s. Milo Rau

— Par Michèle Bigot —

Milo Rau et sa troupe du NT Gent een compagnie de l’atelier des activistes du MST revient en Avignon, aprè avoir présenté en 2018 La Reprise- Histoire(s) du théâtre (I). Si le festival d’Avignon n’a pas accueilli comme il l’aurait dû Augusto Boal, avec son Théâtre de l’Opprimé dont Milo Rau est le meilleur héritier, en revanche il a accueilli Christiane Jatahy par deux fois en 2019 et 2021. Or les points communs entre ces deux dramaturges sont légion. Outre le fait de travailler la vidéo de façon originale et de puiser aux sources grecques ( Notre Odyssée 1 &2 pour Jatahy, Antigone et Oreste à Mossoul pour Milo Rau) les deux se nourrissent de l’histoire et de l’actualité du Brésil, depuis la dictature (1964 à 1885) jusqu’à la lutte contre l’extrême droite de Bolsonaro et le soutien au MST (Mouvement des sans-terre). Dans Antigone in the Amazon, l’action se situe dans l’État de Parà, où la forêt amazonienne est en grand danger, victime du pillage organisé par l’agro-industrie. Le coeur du drame est constitué par le massacre de 1996.

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Avignon 2022 & Almada 2023 : « Ulysse de Taourirt », texte & m.e.s. Abdelwaheb Sefsaf

— Par Michèle Bigot —

« O Muse, conte-moi l’homme aux mille tours qui erra longtemps sans répit… » Cet inventif des temps modernes, c’est Areski le père, autant qu’Abdelwaheb, le fils. Le premier est né à Taourirt en 1948, le second à Saint-Etienne. Le premier découvre la France, le second découvre le théâtre. Deux adolescences racontées en parallèle, sur le mode de l’épopée. Aventure, guerre, périls, souffrances et joies jalonnent les deux odyssées. Chacun incarne un héros contemporain, héros du travail et de la libération pour le père, héros du théâtre pour le fils. Et comme dans toute épopée, la poésie le dispute au drame, grandeur et misère s’y cotoient, l’humour et le pittoresque nourrissent le texte.

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« Je ne suis pas d’ici je suis ici », texte, m.e.s. & jeu Véronique Kanor

Festival d’Avignon off 2023— Michèle Bigot —
Troisième édition de ce spectacle à la Chapelle du verbe incarné. En l’occurrence le lieu n’a jamais si bien porté son nom car Véronique Kanor en est à la fois l’autrice et l’interprète. Ce seule-en-scène est une performance poétique, rythmée de danse, de mélopée et ponctuée d’images vidéo qui soulignent le propos. Incarné au plus haut point, ce spectacle l’est en vertu de la présence physique de l’interprète, de sa voix, de son regard. Le lieu est intime, presque confidentiel et rien n’est perdu de l’émotion de la poétesse, de sa colère, de son espoir, de son amour du langage.
C’est son histoire qu’elle raconte, une histoire vécue dans sa chair, on ne peut s’y tromper. Mais c’est aussi un questionnement sur l’altérité, sur la couleur de la peau comme différence. « Je suis seule en scène…mais il y a mille regards, mille présences, mille paroles qui surgissent derrière moi sur l’écran qui m’accompagne » dit-elle.

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« A Noiva e o Boa Noite Cinderela ». Texte, conception, m.e.s., dramaturgie Carolina Bianchi

— Par Dominique Daeschler—

— Festival d’Avignon — Carolina Bianchi, metteuse en scène, autrice et interprète travaille à Amsterdam avec le collectif artistique Cara de Cavalo. Elle aime mêler performance, danse, théâtre pour entrer dans un univers syncrétique qui crée volontairement ou non une confusion entre réel et imaginaire, entre passé et présent.

Elle entre seule en scène (première partie) et livre en conférencière de l’histoire de l’art, son interprétation de « la chasse infernale » de Botticelli où une femme est dépecée par des chiens et passe vite aux violences sexuelles. Sont évoqués le meurtre et le viol de l’artiste Pippa Bacca qui, dans une performance itinérante avec une partenaire, avait fait le pari de traverser en stop l’Europe habillées en robes de mariée, symbolisant l’union entre les peuples. Une double interrogation est menée sur la place difficile des femmes dans le milieu artistique et les agressions sexuelles qui vont jusqu’au féminicide. Double négation.

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« Maison close, ( Chez Léonie) », texte, m.e.s. & jeu Agnès Chamak et Odile Huleux

— Par Dominique Daeschler —

— Festival d’Avignon —

Une fois n’est pas coutume et la curiosité piquée par une présentation enjouée m’a conduite à aller voir ce que je ne vois jamais : du théâtre de boulevard. Tout y est : la jeune provinciale sans expérience, l’ultra-lucide, la maîtresse femme qui s’illusionne sur sa possibilité de mariage, la tenancière près de ses sous, le commissaire qui a ses habitudes, le rabatteur aux abois, l’inspecteur tatillon et intègre, le fils de préfet maladroit. Ça tourbillonne, un incessant ballet d’entrées et de sorties avec froufrous et retournements de situation va-il pouvoir pallier l’homicide involontaire du jeune homme de bonne famille ? De la dissimilation au fiasco il n’y a qu’un pas. Pas de scrupules et pas de psychologie : le temps d’entrapercevoir une solidarité féminine , le pragmatisme prend le dessus et la maison brûle effaçant toute preuve.

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« Vivarium », d’après Roamin Gary, m.e.s. & jeu Fred Cacheux

—Par Dominique Daeschler —
— Festival Avignon —Fred Cacheux s’empare de Gros Câlin, un des romans que Romain Gary publia sous le pseudonyme d’Emile Ajar et en fait un petit bijou : finesse de l’adaptation, bonheur du jeu . Le comédien passé par la Comédie Française, longtemps permanent du Théâtre National de Strasbourg, est sur scène ,seul, comme un poisson dans l’eau faisant de la durée du spectacle (1h30) un argument au service de la connaissance de son personnage Monsieur Cousin, sans redondance. Dans son costume étriqué d’employé de bureau effacé, ce dernier fait consciencieusement son travail et rentre en solitaire dans son petit appartement retrouver son …python surnommé Gros Câlin. Ceci intrigue ses collègues de bureau, suscite des problèmes avec les voisins quand Gros Câlin explorant les tuyauteries pointe sa tête dans les toilettes de l’appartement du dessous. Comment Monsieur Cousin amoureux mais ne souhaitant pas se séparer de son python va-t-il sans sortir ? Le texte de Gary reprend des thèmes qui lui sont chers : la solitude, le spleen, l’ambiguïté, la difficulté du regard de l’autre. Ce n’est pas mièvre mais enveloppé d’humour comme une politesse extrême.

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EXIT ABOVE, after the tempest, d’Anne Teresa De Keersmaeker, Jean-Marie Aerts, Meskerem Mees, Carlos Garbin.

— Par Dominique Daeschler —

Dans cette nouvelle création, la chorégraphe Anne Teresa de Keersmaeker associe d’emblée à la construction du spectacle Jean Marie Aerts architecte sonore du groupe fondé par Arno, Meskerem Mees autrice-compositrice-interprète- qui est proche du songwriting et danse aussi sur scène en compagnie du danseur guitariste Carlos Garbin. Plus que jamais, le rapport à la musique qui s’est développé au fil du temps dans ses chorégraphies, est présent : rapport à la pop, à la chanson, au blues, références à la dance et aux beats, amplification des instruments…Les chemins musique et danse sont d’abord tracés de façon parallèle avant une mise en commun qui dessine le corps du spectacle et son âme

Le point de départ est un hommage au bluesman Robert Johnson mâtiné d’une référence à la Tempête de Shakespeare, cœur de cyclone qui déchire l’espace (une grande toile en fond de plateau) et interroge l’humanité dans son devenir.

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« Iphigénie à Splott », de Gary Owen, m.e.s. de Geroges Lini

— Par Michèle Bigot —

Iphigénie habite à Splott, un quartier déshérité de Cardiff. elle s’appelle Effie, Iphigénie, c’est le nom de son destin. Du père, il ne sera pas question. On ne parlera que de sa grand-mère. Famille même pas mono-parentale. Effie est livrée à elle-même et à son présent désespérant. Devant no future! La friche industrielle, la cité, les ordures, les pubs pleins à craquer, les parcs abandonnés, et la rue pour tout horizon, les merdes de chien sur le trottoir. alors l’alcool, la baise, et encore l’alcool. Rien d’autre n’existe, de toute façon. Effie, c’est la marginale, la paumée, celle qu’on évite dans la rue, celle qu’on ignore et que beaucoup insultent. Mais elle esquive, drôle, combative, pleine de vie. Elle a pour elle sa clairvoyance et son franc-parler. Elle ne recule devant rien , ne baisse les yeux devant personne. C’est une guerrière, pas comme son blaireau de petit copain qui la suit comme un toutou. Et puis voilà qu’un jour elle rencontre l’amour, le vrai, celui qui change tout

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« La joie ! », texte et m.e.s. Louise Wailly & « J’aime », texte Nane Beauregard m.e.s et jeu Laure Werckmann

— Par Dominique Daeschler—

FESTIVAL D’AVIGNON OFF.

Sur une échelle un personnage dans une carapace d’insecte (clin d’œil à Kafka ?) vite délaissée s’empare de la joie comme d’un problème à résoudre, convoquant tour à tour Spinoza et Montaigne, avec des plumes , en femme. Il y a comme un acharnement à jouer entre pression et dépression, à toute allure. Avec un sens certain du verbe, le comédien très jeune homme de bonne famille gentiment déluré essaie de nous faire adhérer au parti de la joie, en décidant comme lui d’y croire même s’il pencherait plutôt du côté des sceptiques tristounets. Quentin Barbosa se démène sur scène comme un beau diable, tourne en cage, envisage divers plans, invente la carte avec un seul œil pour voir la vie. Ce temps morose et violent de guerre et de pandémie ne pourrait-il pas être bouleversé par un changement radical et collectif qui appellerait le « care » à la rescousse. Le texte est intelligent même si ses nombreuses pirouettes ne facilite pas la tâche d’un comédien doué qu’on a plaisir à suivre sur le plateau.

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« Les femmes de la maison ». Écriture, m.e.s. Pauline Sales.

— Par Dominique Daeschler —

Pauline Sales empoigne le féminisme, son aura et « ses mauvaises fréquentations ». Un état des lieux en trois étapes : époques différentes, personnages différents dans un seul lieu, dans une même situation.

Un cinéaste documentariste ( spécialisé dans le tournage de « révolutions ») rachète à sa femme la maison dont il lui avait fait cadeau pour servir de lieu de résidence et de création à des artistes femmes. Il s’autorise régulièrement de petites incursions qui ne manquent pas de le remettre en question. Au fil des ans, la résidence d’artistes vire à une communauté de femmes qui passera d’un mode baba ( Ah! les coussins roses échancrés en leur milieu d’une grande fente rouge !) à un mode plus people avant d’entrer dans l’espace de la sororité, d’évoquer l’homosexualité, d’interroger le genre et les assignations et appellations contrôlées homme- femme, le racialisme…et l’écriture, les écritures. Pauline Sales a le verbe haut, malicieux, secoué de rires : celui qui se retourne comme un gant et fait théâtre avec un sens aigu de la dramaturgie et de la politique.

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« Welfare », m.e.s. Julie Deliquet.

— Par Dominique Daeschler –Julie Deliquet, directrice du TGP, avec une expérience certaine d’adaptation de scénarios, s’attaque à l’adaptation théâtrale du film de Frederick Wiseman, Welfare, qui décrit la vie d’un centre social de New York dans les années 70, en dressant le portrait des usagers et des travailleurs sociaux. Dans une sorte de gymnase réaménagé en urgence vont être livrées aux exigences terre à terre de l’administration – le fameux « remplir les papiers « pour avoir droit à postuler à une aide, des demandes d’urgence qui implique un regard humain sur la situation et un soutien loin de toute rigidité administrative. Réunis par la douleur de vivre au quotidien, défileront, le blessé du Vietnam, la petite vieille un peu juste du caboulot, la femme délaissée avec ses gosses , la grande gueule, le cacou, celui qui n’a jamais travaillé, la femme mytho, l’apatride, le sans abri …. Autant d’abîmés par la vie qui connaissent l’usure, la faim et se heurtent à l’absurdité de règles auxquelles ils ne peuvent répondre, faute le plus souvent de critères concordants.

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« Iphigénie à Splott », de Gary Owen, m.e.s. Geroges Lini

— Par Michèle Bigot —
Iphigénie habite à Splott, un quartier déshérité de Cardiff. elle s’appelle Effie, Iphigénie, c’est le nom de son destin. Du père, il ne sera pas question. On ne parlera que de sa grand-mère. Famille même pas mono-parentale. Effie est livrée à elle-même et à son présent désespérant. Devant no future! La friche industrielle, la cité, les ordures, les pubs pleins à craquer, les parcs abandonnés, et la rue pour tout horizon, les merdes de chien sur le trottoir. alors l’alcool, la baise, et encore l’alcool. Rien d’autre n’existe, de toute façon. Effie, c’est la marginale, la paumée, celle qu’on évite dans la rue, celle qu’on ignore et que beaucoup insultent. Mais elle festive, drôle, combative, pleine de vie. Elle a pour elle sa clairvoyance et son franc-parler. Elle ne recule devant rien, ne baisse les yeux devant personne. C’est une guerrière, pas comme son blaireau de petit copain qui la suit comme un toutou. Et puis voilà qu’un jour elle rencontre l’amour, le vrai, celui qui change tout. Elle y croit ferme, pour la première fois elle ne se sent plus seule.→   Lire Plus

 

« An oak tree » texte, m.e.s. & interprétation Tim Crouch

— Par Michèle Bigot — La foire aux illusions, tel est ce spectacle de Tim Crouch créé en 2005 et tournant largement de par le monde aujourd’hui. Il répond parfaitement à l’ambition affichée par Tiago Rodrigues, faire de cette 77ème édition un focus sur le théâtre britannique. Britannique jusqu’au bout du plateau, cette pièce l’est bien. Digne fils de Vanity fair, émule du baroque shakespearien, Tim crouch fait de la scène théâtrale une foire au boniment, du metteur en scène un hypnotiseur et/ou un thérapeute, un « entertainer » de bas étage. Comment?

Deux personnages occupent le plateau: Tim Crouch et un acteur prélevé dans le public, hier AdamaDiop) qui ignore tout du scénario et à qui il va souffler ses répliques. Première entorse délibérée au fonctionnement ordinaire de l’illusion théâtrale. Le motif est pourtant tragique; il s’agit d’un père confronté au chauffard qui vient de tuer sa fille dans un accident de la circulation. L’idée est que le père va consulter un hypnotiseur pour conjurer son chagrin.

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Du côté des créateurs d’outremer

—  Par Dominique Daeschler —

Si Pina m’avait demandé de Marion Schrotzenberger

Il y a de la fraîcheur et du culot dans ce « prenez-moi comme je suis ». Une danseuse qui élève seule ses enfants, change d’appartement, manque d’argent et de contrats nous fait entrer dans sa vie : l’école, le coup de fil qui annule un contrat, les jeux des enfants qui déconcentrent, le fouillis de l’appartement. Pour sublimer tout cela, les répétitions à la maison, avec Pina Bausch comme ange tutélaire et modèle. Tonique. De Marion Schrotzenberger on retiendra plus le travail de comédienne que celui de la danseuse. La gestuelle épurée de Pina Bausch est étouffée par un va et vient incessant de changements de costumes qui paraît gratuit, une évocation de diverses formes de danse qui donne un côté catalogue même si on y décèle une énergie pleine d’humour. De même, la présence sporadique du personnage masculin paraît anecdotique. Il reste que Marion Schrotzenberger a choisi la difficulté en nous embarquant dans son univers, quitte à s’y perdre parfois.

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« Neandertal », texte & m.e.s. David Geselson

— Par Michèle Bigot —

Cette création de David Geselson repose sur une synthèse des recherches sur Néandertal, auxquelles la lecture de l’ADN a donné un nouveau souffle.La question qui hante tous les esprits est de savoir s’il existe une filiation directe entre Néandertal et Homo sapiens. Les résultats de ces programmes montreront que l’on a affaire à deux espèces humaines différentes et qu’il y a eu du métissage entre les deux espèces sur quoi débouche l’homme moderne.

Pourtant ce qui intéresse David Geselson c’est la série d’interférences et de croisements qui se sont opérés entre l’histoire de la recherche et l’histoire politique d’une part , et de l’autre entre la vie des chercheurs et leur recherche. Ces interférences, il en trouve témoignage grace à la biographie du prix Nobel Svante Pääbo, et des vies de Rosalind Franklin, Gregor Mendel Craig Venter et Maja Paunovic. Voilà une démarche d’écriture que le metteur en scène avait déjà éprouvée avec Doreen , adapté à la scène d’après la « Lettre à D. » d’andré Gorz (2017).

Ces croisements sont un matériau parfaitement idoine pour la dramaturgie.

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« K. », texte, m.e.s. Alexis Armengol & « On n’est pas là pour disparaître », adaptation, m.e.s. Mathieu Touzé, d’après le texte d’Olivia Rosenthal

— Par Michèle Bigot —

K., Alexis Armengol

Alexis Armengol, acteur, scénographe et metteur en scène avec toute sa troupe, Théâtre à cru, créée en 1999, est désormais un habitué des plateaux. Son projet artistique se déploie autour de l’accessibilité des nouvelles formes théâtrales. Sa particularité est de croiser les disciplines, créant ainsi un véritable renouveau formel, une aventure théâtrale dans laquelle l’objet scénique est investi d’un rôle important. Sur le plateau se rencontrent les images vidéo, les dessins sur écran, les formes découpées dans des planches, l’image animée, le son, la musique et une prodigieuse gestuelle des personnages, autant comédiens que danseurs, jongleurs et acrobates. Une sorte de théâtral total où tous les sens sont sollicités pour stimuler l’imagination. Le texte fait partie intégrante de cette circulation de vie, il est pris dans la dynamique du drame, jamais isolé. Il y a là un langage scénique vraiment original et renouvelé autant que l’exige le sujet.

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« Les Femmes de la maison », écriture et m.e.s. de Pauline Sales

— Par Michèle Bigot —

Incontestablement Pauline Salles est la fabuliste d’aujourd’hui, du moins en France, elle n’en est pas à son coup d’essai. Régulièrement présente au off d’Avignon (Normalito en 2011, J’ai bien fait? en 2017 avec son complice Vincent Garanger de la Cie A L’envi ( dans le rôle de monsieur Joris, le seul représentant masculin de l’histoire). Cette fois elle s’empare du mouvement féministe pour en écrire une histoire parodique. L’histoire se déroule sur trois époques de 50 à nos jours, autour d’une seule et unique maison, lieu central de l’intrigue. C’est la Cerisaie d’aujourd’hui, réécrite sur le mode satirique. Au centre, un homme, monsieur Joris, sorte de mécène qui met sa maison à la disposition des femmes artistes, assurant insensiblement son emprise sur elles. Sa seule exigence est qu’on respecte quelques règles de bonne intelligence, laisser une œuvre en fin de séjour et accepter la présence d’une femme de ménage. Mais il reste le maître, le propriétaire et le mécène. Sa domination ne peut être fondamentalement entamée. Les femmes artistes vont s’y succéder, plasticiennes la plupart du temps, (l’histoire s’inspire de Womanhouse, exposition de femmes en Californie de 1972) sauf dans le dernier tableau où la maison devient une résidence d’écriture.

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« Le Songe d’une nuit d’été », adaptation & m.e.s. Jean-Michel d’Hoop

— Par Michèle Bigot —

Avignon ne se lasse pas de Shakespeare, non moins que le théâtre en général. S’il survit aussi merveilleusement (littéralement parlant) , c’est bien sûr grace à son inépuisable richesse mais encore de par sa dimension immédiatement intemporelle et universelle. Chacun y trouvera à boire et à manger, selon sa soif et son appétit. Ses problématiques, aussi vieilles que le monde sont inépuisables. Dans cette comédie, la triangulation fonctionne à plein régime, Lysandre aime Hermia, qui est aussi aimée par Démétrius , qui est quant à lui aimé par Héléna. Et ça va tourner en rond, la machine amoureuse ronronne pour notre plus grand plaisir. C’est prévisible à cent pour cent mais ça fonctionne et ça nous amuse. Le mécanisme est exacerbé par l’intervention par l’intervention de malins génies: Obéron le roi des fées, Puck son fidèle serviteur et Titania, la reine de fées. La confusion qui s’ensuit est étourdissante . Sans oublier l’effet de « théâtre dans le théâtre » cher au monde baroque: c’est l’intervention d’une troupe de comédiens bouffons qui joue Pyrame et Thisbé.

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« Celle qui regarde le monde », écriture, m.e.s. et scénographie Alexandra Badea

— Par Michèle Bigot —
Ce n’est pas la première performance d’Alexandra Badea à Avignon. Elle a participé à l’édition 2019 du festival avec le second volet de sa trilogie Points de non-retour, en l’occurrence Quais de Seine. l’ensemble de la trilogie revisite l’histoire du colonialisme français et Quais de Seine revenait sur le massacre des Algériens à Paris en octobre 1961. Elle pratique donc un théâtre ouvertement politique, ce que nul ne songe à lui reprocher. On peut légitimement estimer qu’elle a largement contribué à une prise de conscience en France, à faire sortir le public du déni où il s’est longtemps réfugié au regard de la guerre d’Algérie. Donc salutaire entreprise de démystification. Les textes portés au plateau étaient alors articulés autour de la confrontation de plusieurs générations face à un drame historique. Quelqu’un se met en quête de la vérité et confronte les témoignages. Mais il semble qu’aujourd’hui une page soit tournée et qu’Alexandra Badea se confronte au monde contemporain.

Celle qui regarde le monde nous expose l’odyssée d’un adolescent de 16 ans fuyant son pays en guerre, traversant la méditerranée et le territoire français pour se retrouver dans la jungle de Calais, espérant passer en Angleterre, puis reconduit en Grèce.

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« Méduse.s », une création du collectif La Gang / What’up

— Par Michèle Bigot —
Elles sont trois sur scène, Sophie Delacollette, Alice Martinache et Héloïse Meire, nouvelle version des trois soeurs, à se partager le rôle de la legendaire Méduse, épaulées par la musique de Loïc Le Foll, présence discrète et efficace sur le plateau. Dans la plus entière complicité, elles vont faire revivre le mythe antique de Méduse, mais en écrivant leur propre version des faits, donnant la parole à Méduse elle-même. Ce n’est plus l’histoire contée par Ovide, ce n’est plus la story, ni l’history mais « l’herstory ». Le point de vue est celui de l’héroïne elle même qui nous conte à la première personne ses parents, ses soeurs, son enfance, son viol par Poseïdon et la haine d’Athéna qui la transforme en monstre.

Et ça change tout. Que lui arrive-t-il avant d’être décapitée par Persée? D’ailleurs, sera-t-elle tuée par Parsée ou réussira-t-elle à infléchir le sort? La légende devient tout à coup très moderne, très contemporaine, et les trois actrices ne vont pas se priver de mêler les scènes de la mythologie grecque avec les témoignages de jeunes femmes violées que l’on entend en voix off pour scander les pricipaux moments du drame.

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« L’Ecriture ou la vie », d’après Jorge Semprun, adaptation & m.e.s. Jean-Baptiste Sastre et Hiam Abbass

— Par Michèle Bigot —

L’Ecriture ou la vie est un récit publié en 1994 mais que, de son aveu même, Jorge Semprun a commencé à écrire en 1987, le 11 avril 1987, au moment où Primo Levi se donnait la mort. Ce fut l’événement déclencheur, qui l’a décidé à consentir l’effort de se tourner vers le passé, de le laisser refluer en lui avec l’angoisse de mort qui l’accompagne. Au soir de sa vie, il ressent l’urgence de témoigner sur l’horreur du camp de Buchenwald, parce qu’il est un des derniers à en conserver un souvenir vécu dans sa chair. Longtemps, il avait fait le choix de se tourner vers l’avenir, en militant politique, mais voilà qu’avec la mort de Primo Levi, le retour au souvenir est inévitable. Entre écrire et vivre, il choisit alors écrire, car c’est l’unique façon de faire face à l’angoisse de mort qui l’assaille. Après avoir banni de sa mémoire ces heures atroces, voilà q’il y revient, mêlant le récit autobiographique, le dialogue, la poésie et la réflexion philosophique sur le mal absolu. Car comment dire l’expérience des camps?

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« Welfare », par Julie Deliquet d’après le film de Frederick Wiseman

—Par Michèle Bigot —

Il s’agit de l’adaptation théâtrale du documentaire de Frederick Wiseman (1973). On est à New York dans le bureau de l’aide sociale où vont défiler tour à tour les gens des catégories populaires les plus en difficulté, beaucoup de vieilles femmes abandonnées à leur solitude, des vétérans , des drogués en cure de désintoxication, d’anciens détenus, des chômeurs en fin de droit, tous les plus démunis, qui viennent chercher un chèque ou une place en logement social. L’enjeu était de porter sur le plateau ce défilé de personnes marginalisées, porteuses d’histoires compliquées, douloureuses et toutes désireuses d’être écoutées, entendues, prises en considération. En face d’elles quelques fonctionnaires des services sociaux débordés, mal payés, impuissants et souvent réceptacles involontaires d’une violence verbale ou physique qui ne demande qu’à se déchaîner. On voit l’actualité de la chose…..

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« La Question » texte de Henri Alleg, m.e.s. Laurent Meininger avec Stanislas Nordey

— Par Michèle Bigot —

Le texte de Henri alleg a été écrit en 1957. Ce n’est pas une fiction, c’est le témoignage sans concession de ce que son auteur a subi en fait de torture. Nous sommes en pleine guerre d’Algérie. Henri Alleg est arrêté en même temps que Georges Hadjadj et Maurice Audin. Les trois militants seront torturés impitoyablement et Maurice Audin mourra sous les coups. Henri Alleg résiste à un traitement dont la barbarie est sans égale. Miraculeusement il s’en sort vivant et décide de raconter par le menu les tortures qu’il a subies. Il écrit pour les autres, pour tous ceux qui sont morts sous les coups et pour alerter l’opinion, conformément à son éthique de journaliste. Jérôme Lindon décide courageusement d’éditer ce texte aux éditions de Minuit. Le texte fut écrit par morceaux sur du papier toilette que la femme d’Henri Alleg sortait clandestinement. Alors que les tortionnaires ont tous été amnistiés, Henri Alleg a continué à être inquiété. L’État français lui a longtemps gardé rancune d’avoir raconté ce dont ses sbires étaient capables et il commence à peine à reconnaître sa responsabilité.

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