— Par Gérald Rossi —
Jusqu’à fin juillet, près de 1 700 spectacles différents sont proposés dans la cité des papes, en parallèle avec le Festival « IN ». Tous les styles sont présents, et souvent plusieurs disciplines se rejoignent comme danse, arts du cirque, création contemporaine, classique, spectacles musicaux… De belles découvertes sont ainsi proposées. Une sélection de notre envoyé spécial.
DANSE Une tarentelle contre les morsures de tarentule
Avec « Salti » les chorégraphes et metteures en scène Roser Montlló Guberna et Brigitte Seth ont entraîné les danseurs Jim Couturier, Louise Hakim et Lisa Martinez dans une sarabande contagieuse. Dans ce spectacle d’une demi-heure, qui peut captiver un jeune public mais pas seulement, les trois danseurs sont confrontés une horrible araignée velue, une tarentule. Dans cette petite histoire fantastique, ils découvrent comment combattre les morsures de la vilaine bête.
Il suffit de danser la Tarentelle, cette danse populaire du sud de l’Italie qui soigne les « tarentola », autrement dit les personnes infectées par la méchante bestiole. Cette danse magique redonne vie puis toute son énergie à la victime, et comme une farandole à l’ombre d’un grand soleil, les trois amis célèbrent dans la joie leur victoire sur le petit monstre poilu. Franchement réjouissant.
FRÈRES Des haines peuvent être mortels
L’un est chirurgien, et il est attendu à sept heures au bloc opératoire. L’autre est photographe. Ils sont frangins, mais ne se fréquentent plus. Passé vingt-deux heures, le second, qui prétend sortir d’un cinéma voisin, se pointe chez le premier. S’en suivront des séries impressionnantes de révélations, d’aveux, de mensonges. Le texte d’Antoine Rault, mis en scène par Thierry Harcourt, offre à Davy Sardou et Bruno Salomone des rôles pervers qu’ils endossent avec perfection.
Dans cette spirale haletante où les pistes se brouillent, de vieilles rancœurs refont surface. Le drame, voire le meurtre ne sont jamais bien loin, entre deux verres de vin blanc. Un indice dans ce thriller, le chirurgien possède une collection de scalpels anciens. Autre précision, on rit, beaucoup, mais en grinçant des dents.
LIBERTÉ La traque de François Rabelais
Un banc, une caisse et quelques draps suffisent au décor dans la mise en scène de Jean-Pierre Andréani. Philippe Bertin campe un François Rabelais fragile et en même temps colérique à souhait, traqué par les tenants des dogmes et les puissants de l’Église. Il s’agit ici de mieux faire connaissance avec celui qui fut considéré comme un des précurseurs du roman moderne, contraint à la fuite pour avoir défendu des idéaux de tolérance et de paix.
Il trouve refuge auprès de son ami clément et de Monseigneur de Bellay (belle réussite de Michel Laliberté dans ces deux rôles). Entre rêve et bamboche, l’auteur de Pantagruel (1532) et de Gargantua (1534) est à (re) découvrir. Déjà le titre entier de la pièce « François Rabelais, Portrait d’un homme qui n’a pas souvent dormi tranquille » est réjouissant. Avec pas mal d’humour, voilà un hymne à la liberté d’être et de penser.
LANGUE Parler Allemand n’est pas très utile
Laura Gambarini, mise en scène par Manu Moser, propose un cours tout en Allemand, comme à l’école, et d’ailleurs la pièce se déroule dans une vraie salle de classe au lycée Mistral. Mais « The game of Nibelungen » ne nécessite aucune pratique de la langue de Goethe, et si l’on n’y comprend rien, c’est encore mieux. Ce spectacle de la « Sélection suisse en Avignon » est un beau théâtre d’objets réalisé à partir de multiples éléments pouvant se trouver justement dans une classe qui étudierait ce classique médiéval germanique que sont les Nibelungen.
« J’ai envie de construire des ponts par-dessus les frontières qu’il y a dans nos têtes » explique la comédienne. Et le tour est joué en moins d’une heure chrono, avec des chiffons, des éponges des craies, des classeurs, des bouteilles, soit tous les personnages de cette immense aventure. Une réussite.
GAY Chute vers la violence
À 17 ans, Matthieu se questionne : est-il « transgenre, gay, garçon ou fille ? » Il se prostitue via des sites de rencontre, fait ainsi la connaissance un homme un peu plus âgé que lui, en devient amoureux, mais le bonheur ne durera pas. Mis en scène par Julien Royer, ce texte d’Angel Liegent est interprété par Axel Rizat, et la musique électronique est jouée sur scène par Cyril Noël.
Rejeté par son père, le jeune garçon tente de supporter l’homophobie ambiante, notamment dans son petit boulot de caissier d’une supérette. Mais progressivement c’est toute sa vie qui bascule, dans la douleur. Dans une série de « flash-back » il revit ses errances, et le développement de la violence qui conduit le couple a se détruire. Sans espoir de retour.
CHANCELIÈRE Guten Tag Madame
Le projet théâtral n’est pas banal. Avec un humour acide et salutaire, Anna Fournier porte à la scène un des principaux dirigeants politique d’Europe, et plus précisément une dirigeante, puisqu’il s’agit d’Angela Merkel, qui fut chancelière d’Allemagne pendant quinze ans. La question pour la comédienne, qui a déjà interprété ce rôle dans une pièce du Birgit Ensemble, n’est pas de rendre la dame sympathique, mais de brosser son portrait.
Et à travers elle ceux des principaux dirigeants du monde, comme Poutine, Trump, Sarkozy, Hollande, Macron… Anna Fournier donne à entendre les propos des uns et des autres depuis les coulisses du pouvoir. On ne sait pas si les propos sont bien exacts, mais tout aurait pu se passer ainsi. Et c’est une jolie réussite.
DANSEUR Aux limites du corps
D’abord assis dans un coin du plateau, il scrute la salle du fond de ses yeux d’un bleu inconnu. Invité par la Sélection suisse en Avignon, Kiyan Khoshoie (avec Charlotte Dumartheray à la mise en scène) raconte ensuite son histoire. Son énergie est virale, et son humour déferle comme quelques belles vagues inattendues. Il se souvient, explique, mime, et finalement il danse. Beaucoup et avec brio. Car le jeune homme, formé à Rotterdam, mais d’origine Iranienne, a exercé son art pendant plus de dix ans en compagnie de plusieurs chorégraphes.
Lui-même pratique désormais cette discipline, mais « Grand écart » remonte le temps. Kiyan Khoshoie est plusieurs personnages à lui tout seul, et s’il s’amuse à « singer » certains de ses confrères, c’est avec beaucoup de finesse et de sensibilité qu’il dit, de l’intérieur, la vie et les difficultés, souvent les douleurs physiques que tout danseur côtoie au jour le jour.
SCÈNE Théâtre dans le théâtre
L’une est comédienne, l’autre élue locale, elles se retrouvent. Aujourd’hui, l’actrice, qui a « été à la Comédie Française » est accueillie dans la salle polyvalente, où elle doit se produire. Aux alentours de la cinquantaine, les propositions sont plutôt maigres pour elle ; quant aux espoirs de « faire du théâtre » ils sont envolés depuis longtemps pour l’autre. Seuls restent des rêves dans les yeux de ces deux femmes (Nathalie Bécue et Silvie Laguna).
Pierre Notte, répondant à une demande de Marianne Wolfsohn (mise en scène), peint avec des mots justes la réalité des coulisses du spectacle vivant, quand des programmateurs recherchent avant tout « des classiques » et des « One man show comiques », au détriment de la création théâtrale. Ce n’est pas entre les deux femmes, que brûle le torchon, en dépit des apparences.
ÉCRIVAIN Voyages et passions jusqu’au bout du chemin
Jean-Philippe Renaud, mis en scène par Marc Tourneboeuf est un Bernard Giraudeau plus que convainquant. Il n’est pas question ici de ressemblance physique, mais de redonner vie au comédien et écrivain emporté par la maladie en juillet 2010. « Cher amour » et « Les dames de nage » les deux derniers romans de Giraudeau sont la trame de ce spectacle, avec des textes de Laure Renaud.
Cette belle adaptation est un hymne à l’amour et aux voyages. Un peu comme si les deux étaient indissociables. La découverte de territoires ou de populations lointaines en est une illustration. Dans ces textes, la passion amoureuse est aussi toujours présente, et restera, comme le métier de comédien, une flamme vive, jusqu’aux derniers moments.
« Salti », La Manufacture, 9 h 30, téléphone : 04 90 85 12 71. Une version plus longue est prévue en tournée.
« Au scalpel », Les Gémeaux, 13 h 10, téléphone : 09 87 78 05 58. A partir du 30 septembre, au théâtre des Variétés à Paris.
« François Rabelais, portrait d’un homme… » Essaïon, 13h20, téléphone : 04 90 25 63 48 « The game of Nibelungen », le 11, 11 heures, téléphone : 04 84 51 20 10
« Passif », Caserne des pompiers, 19 h 30, téléphone : 04 32 74 12 95
« Guten Tag, madame Merkel », Le Train Bleu, 16 h 25, téléphone : 04 90 82 39 06
« Grand écart ». Le train Bleu. 16h15. Téléphone : 04 90 82 39 06
« Je ne vous aime pas ». Artéphile. 18 h 45. Téléphone: 04 90 03 01 90
« Notre dernier voyage », Transversal, 18 h 15, téléphone : 04 90 86 17 12
Source : L’Humanité