Avignon 2022 : « Pourquoi les lions sont-ils si tristes ? »,  » Bananas »

— Par Dominique Daeschler —

Pourquoi les lions sont-ils si tristes ? Leila Anis, Karim Hammiche, m.e.s. K.Hammiche. Le 11.
Bananas. Julie Timmerman, texte et m e s. La Factory .

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Pourquoi les lions sont-ils Modifier la date et l’heure si tristes ? Leila Anis, Karim Hammiche, m.e.s. K.Hammiche. Le 11.

La pièce écrite sur les mutations de la société du travail suit un processus désormais courant. Tout d’abord une collecte de témoignages (avec vidéo) dans différents milieux professionnels et statuts (santé, agriculture, industrie, cadre, ouvrier, retraité … ) suivie d’ une recherche documentaire, d’une première écriture modifiée au plateau constituent les étapes du travail. L’inter- vention de l’acteur sur le texte au plateau est désormais courante et change le rôle de ce dernier dans le processus de création. La plongée dans le réel, dans la connaissance de la vie des autres ( cheminement personnel, territoire) est l’axe de création choisi par la compagnie de l’œil brun : nous n’allons pas rêver, nous allons constater, nous faire une opinion pour mieux comprendre les hommes et la société dans laquelle nous sommes.

Trois personnes se retrouvent au chevet d’un vieil homme mourant. Le fils Jean journaliste a coupé les ponts avec son père il y a longtemps, la petite fille infirmière est, elle, marquée par les souvenirs d’enfance d’un grand père aimant, enfin l’ancien cadre ami du quotidien en pré-retraite est l’ultime recours. Jean se révolte contre un rôle d’aidant à domicile qu’il n’a pas souhaité et son métier l’entraîne loin de cette réalité, Gabrielle la petite fille pense soins et stigmatise les difficultés d’un hôpital de plus en plus inopérant, Paul raconte la dureté de l’entreprise face aux problèmes de restructuration. Faut -il respecter le désir du malade qui souhaite « mourir dans la dignité », faut-il l’hospitaliser de force ou le laisser mourir dans son lit ?Chacun a son idée, chacun campe sur ses positions. Comment écouter l’autre dans sa différence ? Quel pas faire vers l’autre alors que la société n’est que violence, que le lien social est dégradé ? La mort tranchera.

La représentation est fidèle aux axes de travail choisis par la compagnie : c’est sérieux, alternant narration et dialogues. On est très près d’une presse qui condense description des faits et analyse à laquelle le théâtre donne chair.

Bananas. texte et m.e.s. de  Julie Timmerman, La Factory .

Quelles manipulations minent la Démocratie ? A la suite d’Un démocrate qui fustigeait une communication proche de la propagande, Julie Timmerman aborde dans Bananas, second volet de son diptyque, la puissance des lobbies. Nous est retracée, comme un exercice de haute voltige, l’histoire de l’implantation- envahissement de la banane en Amérique Latine à la fin du 19ième siècle. Triste histoire de l’exploitation des hommes : l’accession au pouvoir se double de l’obsession du gain et du rendement qui entraînent compromissions et empoisonnement des sols. La United Fruit Compagny est créée et connaît un petit temps plus respectueux des hommes et de la culture maya. Las, la volonté farouche de ne pas partager le pouvoir entraînera, avec la complicité des USA et des lobbyings, la chute du président Arbenz au Guatemala, espoir des sans terres. Comme le dit Neruda, la United Fruit rebaptise ses terres en républiques bananières et l’opéra bouffe commence. Julie Timmerman n’y va pas de main morte tant dans le texte, la mise en scène que le jeu. 43 personnages vont défiler : clowns tragiques que ces dominateurs qui empruntent mille formes pour dire comme la bd, le western, le triller. C’est grinçant comme dans le cabaret politique allemand, avec un sens du rythme et de l’image : le spectateur ne doit pas reprendre souffle et oublier le propos. Des images d’archives, des textes projetés interviennent dans la construction de la pièce sans en plomber la théâtralité. Ce trop semble voulu par la metteuse en scène pour nous emmener jusqu’à aujourd’hui : Monsanto, le chlordécone, le massacre de la forêt amazonienne qui déciment nature et populations. Ce pourrait être un foutoir, ce ne l’est pas tant tout est précis, envoyé à la tête du spectateur comme on enfonce un clou. Dans ce « grotesco criollo », c’est pourtant l’imaginaire poétique que porte Alma qui porte espérance d’un autre temps.

Dans la volonté d’un discours politique affirmé tant dans la maîtrise du sujet que dans l’inventivité des formes théâtrales, Julie Timmerman s’affirme avec aplomb talentueuse en diable.