— Par Michèle Bigot —
Le spectacle mis en scène par Meng Jinghui est adapté du roman Le septième jour de Yu Hua, publié en France chez Actes Sud en 2014. En France, Yu Hua s’est fait connaître du grand public par l’adaptation au cinéma de son deuxième roman Vivre! par Zhang Yimou.
Le roman est inspiré du mythe de la création du monde, à ceci près que les sept jours en question ne sont pas ceux de la création mais au contraire, les sept premiers jours de Yang Fei dans les enfers, (ou ce qui leur ressemble) après sa mort brutale dans une explosion. L’adaptation qu’en fait Meng Jinghui est fidèle au sujet du roman et à son esprit. On y retrouve une sorte de relecture des mythes essentiels de la culture occidentale, une paraphrase de la Divine comédie mais aussi les visions du monde infernal qui viennent à Ulysse, lors de la Nekuia au chant XI de l’Odyssée et encore plus la catabase d’Enée à la recherche de l’âme de son père, aidé dans cette quête par la Sybylle de Cumes.
Pourtant, c’est ici un mort qui vient visiter le royaume infernal. Lui-même n’est plus qu’une ombre et il pénètre dans un univers brumeux ne connaissant ni nuit ni jour. Dans sa quête éperdue pour retrouver son père qui lui a donné tant d’amour, Yang Fei va croiser les fantômes de tous ses amis et connaissances qui ont comme lui connu une mort violente et prématurée. N’ayant pas connu de sépulture faute d’argent, ces infortunés sont condamnés à revivre les scènes qui les ont envoyés dans l’au-delà. Lui même déplore de ne pas pouvoir se payer des funérailles dignes de ce nom, et c’est l’occasion de tirer à boulets rouges sur l’incurie de l’administration et les inégalités sociales. En filigrane, une critique du régime qui déchaîne sa police, méprise les petites gens, condamne à mort et exécute pour un oui pour un non.
Pour Yang Fei, cette errance est l’occasion de revenir sur les plus douloureux épisodes de sa vie, un exercice de mélancolie à la fois triste et plein de douceur. Les scènes qu’il revit sont plongées dans une sorte d’intemporalité, comme le souvenir et comme l’illusion. Tout se passe comme si les morts entraient en dialogue avec les vivants, tant les scènes revécues apparaissent d’actualité.
La scénographie tente de rendre compte du mystère qui enveloppe l’au-delà. Elle le fait avec un certain bonheur, usant de brume artificielle, et d’objets scéniques évocateurs. Des squelettes sont rangés en rangs serrés comme des habits, d’énormes boules noires envahissent le plateau, symbolisant l’énergie vitale, un broyeur surdimensionné évoque la fatalité qui met en pièce les individus, et des balles de tennis pleuvent du ciel pour accabler les personnages. Le décor du cloître des Carmes appuie merveilleusement cette illusion poétique, non moins que le ciel étoilé qui le surplombe et le léger mistral qui disperse les brumes. Les comédiens se déchaînent généreusement, habités par une passion irrépressible, emplissant le plateau de bruit et de fureur. La lumière et musique leur font écho, voire le chant qui prend le relais. Les acteurs de la troupe Meng Theatre Studio sont exceptionnels d’engagement physique.
L’ensemble constitue une création très remarquable, non moins que ne le fut La Maison de thé du même metteur en scène, donné à l’Opéra Confluence lors du festival de 2019. Incontestablement un metteur en scène de génie, qui a quelque chose de shakespearien et de brechtien. On déplore seulement que parfois il cède à l’excès, le trop plein d’objets scéniques pouvant virer à la quincaillerie et nuire à la magie de l’ensemble, en dénonçant trop ouvertement son artifice. Mais il semble que ce soit le grand défaut des mises en scène contemporaines de ne pas savoir dire « stop! »
Michèle Bigot
création au Festival d’Avignon 2022