Exposition. À Avignon, l’artiste afghane, autrice de l’affiche du Festival, présente à la collection Lambert une sélection de ses œuvres dans « First but not last time in America ».
Correspondance particulière.
L’artiste afghane Kubra Khademi entre dans la pièce, déroule une bobine de fil doré et commence à tisser une toile sur un tas de vestes éparpillées au sol. Elle ignore le public qui l’observe, concentrée sur sa création. La performance De l’armure aux gilets accompagne l’exposition « First but not last time in America » à la collection Lambert, sur toute la durée du Festival d’Avignon. Kubra Khademi est aussi l’autrice de l’affiche de la 76e édition du Festival, une colonne de jeunes femmes nues qui regardent à l’horizon.
S’affranchir de toute sexualisation
Bien loin de la polémique qui accuse l’artiste de promouvoir la pédophilie, Kubra Khademi défend un art engagé, inspiré de la culture afghane et mettant en scène des corps libres. Les fresques exposées à Avignon s’affranchissent de toute sexualisation du corps des femmes. Les lignes sont nettes, l’artiste a choisi des gouaches ocre et bleu uni, et les silhouettes rappellent des miniatures mongoles. Kubra Khademi réhabilite les femmes au cœur des récits mythologiques : dans la fresque The Great Battle, deux jeunes femmes combattent un dragon avec leurs épées d’or.
Les épées sont d’or, tout comme le fil tissé sur les vestes ou les vers de poésie afghane qui s’échappent de leur cadre dans une des pièces du musée. L’or a une valeur particulière aux yeux de la plasticienne, il représente la beauté de l’art perse. Elle s’inspire aussi de poésie traditionnelle et de poésie populaire dite « sous le nombril », mettant en avant des vers érotiques.
Son corps comme outil artistique et politique
C’est dans la deuxième partie de l’exposition que l’artiste présente des œuvres à l’érotisme assumé. Une série de photos met en scène Kubra Khademi portant une tenue d’homme afghan, aux côtés de son ex-compagnon, l’Américain Daniel Pettrow, en costume cravate. Ils se photographient sur un fond représentant une nature montagneuse, parodiant les studios photographiques afghans. Sur certaines photos, ils se tiennent dans des positions sexuellement explicites, Kubra Khademi portant une arme, faussement menaçante.
Cependant, l’artiste ne se limite pas à représenter des silhouettes, mais utilise son corps comme outil artistique et politique. En 2015, pour Armor, elle était descendue dans les rues de Kaboul portant une armure soulignant les formes féminines. À la suite des réactions des passants, elle avait dû écourter sa performance, puis, victime de harcèlement et de menaces quotidiennes, s’exiler en France.
Dans la performance De l’armure aux gilets, l’artiste a cette fois décidé de questionner la violence de la guerre. Les gilets kaki sont le symbole universel des vestes des soldats. Éparpillés au sol, ils semblent avoir été abandonnés sur le champ de bataille après le combat. Pour Kubra Khademi, les armes sont responsables de la guerre, de sa violence. Le fil d’or qui relie les gilets rappelle la couture, travail réservé aux femmes, qui n’ont accès qu’aux arts traditionnels, à l’abri des regards extérieurs. Pour l’artiste, recoudre c’est aussi soigner, fabriquer quelque chose de nouveau. Elle laisse donc espérer qu’après la guerre, en temps de paix, les femmes auront l’espace de penser une vie libre et égale à celle de l’homme.
Source : L’Humanité.fr