— Par Dominique Daeschler —
La Tempesta. Shakespeare, m.e.s. Antonio Serra. Opéra théâtre.
Futur Proche. Chorégraphie Jan Martens. Cour d’honneur Palais des Papes.
*****
***
*
La Tempesta. Shakespeare, m e s Antonio Serra. Opéra théâtre.
Féru des travaux de Grotowski et Brook, Antonio Serra en a gardé la certitude que le théâtre c’est d’abord l’acteur, que c’est lui qui fait sens. Le décor sera minimaliste, se transformant comme un couteau suisse dont on retient d’abord l’efficacité, traçant une aire de jeu où vont se débattre des corps-énergie. L’île où Prospero s’est retiré est un monde oscillant entre sa magie et son bon vouloir. Des pouvoirs qui s’exercent sur les plus faibles (Caliban, Ariel esclaves) à défaut de pouvoir se venger des plus puissants. C’est compter sans la finesse psychologique d’ Ariel et une judicieuse tempête. Voilà le roi de Naples et sa suite à la merci de Prospero ! Se succéderont de joyeuses ripailles, un mariage de Miranda la fille de ce dernier , les pulsions meurtrières de Caliban, l’immersion dans un cérémonial proche de la transe … Lavie de la même essence que nos rêves se joue de ses excès et de ses incessants allers-retours sous l’impulsion discrète d’Ariel. La compassion, le pardon seront au rendez-vous de la bonne conscience. Ouf ! Mais au fond on s’enfiche. Serra, adaptateur, traducteur, éclairagiste, costumier, scénographe, s’en donne à cœur joie dans la direction d’acteurs laissant un temps libre cours à l’improvisation pour aller plus loin dans le travail de transformation de l’acteur. C’est burlesque et dramatique, les enchainements sont brûlés, les lumières vacillent ou éclatent et la caricature s’impose sans complexe. Le plateau est vibratoire et les personnages sont dans l’excès, la parodie, multipliant les interprétations ce qui rend difficile le cheminement vers la transcendance. On regrettera que la dimension poétique du lumineux Ariel soit effacée par son rôle de passeur. Quel retour vers aujourd’hui ?La pièce est relue, adaptée, mise en réflexion et en chantier en plein covid, jouée alors que la guerre sévit en Ukraine, on ne peut ignorer la dimension politique qui stigmatise un Occident imbu de lui-même, peu respectueux d’autres cultures ,indulgent voire cynique quant aux ravages de la colonisation et de l’esclavage. Il faut bien faire théâtre pour enrayer banalisation et occultation des séismes du monde.
Futur Proche. Chorégraphie Jan Martens. Cour d’honneur Palais des Papes.
Fasciné par le clavecin, Jan Martens le met à l’honneur dans Futur Proche comme il l’avait fait dans sa précédente création. C’est cet instrument confié aux mains magiques de Goska Isphoring qui donne le la avec des œuvres contemporaines comme un premier indice : cet instrument qu’on disait détrôné par le piano connaît un regain d’intérêt et sa sonorité particulière a alors un côté percussif ce qui est de bon augure pour une vision du monde futur. Si Jan Martens insiste tant sur le clavecin c’est que c’est le rythme du jeu de l’interprète qui a entraîné le geste chorégraphique . Cela valait bien un autre pari : monter un spectacle avec une quinzaine de danseurs de l’opéra Ballet Vlaanderen, afin de filer un plus loin le choc possible des rencontres. Un immense banc comme une frontière entre l’ici et l’ailleurs, ce que l’on connaît et ce qu’on ne connaît pas, le futur ?… Du danseur classique restent la position des pieds, les semi-pliés des jambes puis la musique les livre au saccadé, au bondissement, à l’immobilisme de corps couchés jouant subitement de la verticale, au désordre.. Le banc prend vie, les danseurs semblent s’échapper d’eux- mêmes pour une liberté tonique dans les mouvements d’ensemble : ce sont les meilleurs moments. Les projections immenses de danseurs sur le mur de fond de scène guident notre regard sur le plateau vers de sous-ensemble : il y a là plus d’embarras, le côté synchro reprend le pas. La cérémonie du puits-baptistère où chaque danseur apporte son seau puis se jette dans un bain purificateur valorise la différence, le partage . Ces hommes nouveaux sauront-ils mieux sauvegarder le vivant ? L’image est touchante mais convenue. Le spectacle s’ensable peu à peu faute de renouvellement.