– par Selim Lander –
Le Septième jour : Meng Jinghui (again)
Les fidèles du IN connaissent le metteur en scène chinois Meng Jinhui déjà invité en 2019 avec la Maison de thé, une production qui bénéficiait de très gros moyens tant pour la distribution que les décors gigantesques, avec, faut-il le répéter, un résultat bien décevant : beaucoup de bruit (et d’argent dépensé) pour rien ! Le voici à nouveau avec une adaptation à nouveau très personnelle, celle d’un roman de Yu Hua (l’auteur de Vivre adapté au cinéma par Zhang Yimou), au titre directement évocateur de l’Apocalypse de Jean.
Yang Fei, le protagoniste, est mort. Expédié au paradis, ou plutôt en l’occurrence dans l’enfer, il y rencontre des proches arrivés avant lui, en particulier son père adoptif et son ex-femme. La relation entre le père et le fils est le point fort de l’histoire. Le premier, employé des chemins de fer, a trouvé le bébé au cordon ombilical non encore coupé. Il l’a récupéré, élevé avec beaucoup d’amour, compromettant ainsi ses chances de se marier, aucune femme ne voulant épouser un homme ainsi encombré.
Dans une deuxième partie de la pièce sont évoquées d’autres histoires, celle par exemple d’un travesti qui finit par assassiner le policier qui l’avait appréhendé. On nous dit que certaines de ces anecdotes sont inspirées de faits divers. Surgissent ensuite Œdipe et le Sphinx, deux personnages de la mythologique occidentale dont on a peine à croire qu’ils se soient retrouvés eux aussi dans le roman, tant leur apparition paraît, ici, artificielle. Dans un tableau final, alignés derrière une longue table évoquant les peintures représentant la « Cène » des Évangiles, les personnages tirent chacun un dernier et définitif bilan.
Le décor, sur le plateau du cloître des Carmes, est moins impressionnant que celui de la Maison de thé, à l’Opéra du Grand Avignon alors décentralisé. A côté de moult squelettes, l’objet le plus remarquable est un authentique broyeur industriel qui se mettra à fonctionner presque à la fin pour signifier que tout sera réduit en poussière. Des grosses boules noires (des ballons) – « qui représentent l’énergie de l’univers » – envahiront également le plateau accompagnées d’une pluie de balles de tennis.
Si la pièce se termine en beauté avec le tableau final – la « Cène », remarquablement sobre – on a un peu de mal à s’intéresser à la destinée des personnages, bien que, encore une fois, la relation père-fils ne soit pas dépourvue d’un certain relief. Comme dans la Maison de thé, Meng Jinhui se laisse aller à son penchant qui consiste à en faire trop : trop de bruit – musique et cris – trop de gesticulations sur le plateau. Dans l’entretien qu’il a donné avant le festival, Meng Jinhui donne une idée de sa conception de la mise en scène quand il parle des « impressions artistiques abstraites, des cris et murmures figuratifs du théâtre contemporain ». Pourquoi pas ? Mais avec un risque sérieux de tomber à côté…, comme – oserait-on dire – les personnages du Septième jour.
Les comédiens font ce qu’ils peuvent pour s’accorder au rythme survolté de leur directeur. Chen Minghao (Yang Fei) y parvient mais cela ne peut que le conduire à en faire trop. Et curieusement cette mise en scène à l’esbroufe traîne souvent en longueur. Par exemple dans un interminable prologue au cours duquel le « héros » qui attend son tour pour être incinéré se balade sur le plateau chaussé d’une seule claquette, l’autre lui servant de ballon qu’il pousse avec ses pieds.
En chinois surtitré.
La Tempesta : Alessandro Serra
La salle historique de l’Opéra d’Avignon qui a rouvert après de sérieuses rénovations accueille la Tempête de Shakespeare un peu raccourcie et en version italienne surtitrée, mise en scène par Alessandro Serra. Après un Septième Jour aussi pesant, cette Tempesta apporte la bouffée de fraîcheur dont on avait besoin. Le public ne s’y est pas trompé qui a applaudi à tout rompre au moment des saluts. C’est que Serra fait partie de ces metteurs en scène, plutôt rares de nos jours parmi ceux qui tiennent le haut du pavé, qui ne croient pas déroger en se mettant au service des textes – lequel n’empêche évidemment pas une certaine modernité.
. On n’aura qu’un seul regret à formuler, que la pièce soit donnée en italien. Certes le texte de Shakespeare est bien projeté en français mais l’obligation dans laquelle on se trouve de lever les yeux pour lire les surtitres fait perdre une partie du jeu des comédiens.
Inutile de raconter l’histoire. Rappelons seulement que le duc Prospero (Marco Sgrosso empesé de noblesse), chassé par son frère et le roi de Naples, puis échoué sur une île pourra se venger grâce au magicien Ariel (interprété par l’aérienne Chiara Michelini), ce dernier provoquant la « tempête » qui jettera ses ennemis sur l’île. Celle-ci appartenait au « sauvage » Caliban (Jared MacNeill, un comédien noir, ce que l’on peut dire conforme à la tradition, très bien dans le rôle) que Prospero s’empressera de réduire en esclavage (d’où l’intérêt d’un Césaire, par exemple, pour cette pièce dont il a proposé une autre version). D’autres personnages peuplent la pièce : Ferdinand, le duc de Naples, qui tombera amoureux de Miranda la fille de Prospero, le sage Gonzalo, les personnages de comédie, Trinculo et Stephano, d’autres enfin non retenus par Serra qui a un peu coupé la pièce.
Difficile de dire tout ce qui plaît ici. Aussi bien commencer par le lever de rideau, si rare de nos jours, et ici double puisque après le rideau occultant le plateau, s’en lèvera un second, aussi noir que le premier, qui devient les voiles des vaisseaux pris dans la tempête. Première scène muette, accompagnée d’une musique de circonstances avec roulements de tonnerre et Ariel seul(e) sur le plateau. Parmi les autres scènes marquantes, celle du banquet offert au roi et sa suite. Une grande planche, plantée dans l’estrade qui sert d’espace de jeu, figure d’abord un arbre, puis le fardeau de bois que Ferdinand, lui aussi réduit en esclavage, doit transporter sur ordre de Prospero. Quand Ferdinand croise Miranda, elle devient un plan incliné sur lequel grimpe Miranda et que Ferdinand fera tournoyer comme un manège. C’est enfin cette même planche tenue à l’horizontale par deux hommes et chargée d’une riche vaisselle qui servira de table au banquet (au simulacre de banquet), une scène qui frappe en raison des costumes des personnages et de leur attitude hiératique. Autre très belle image, celle où l’on voit descendre des cintres le portant chargé des vêtements colorés dont s’affubleront– la scène devient alors comique – Trinculo, Stephano et Caliban, lequel, ayant bu un coup de trop, s’est mis au service de Stephano.
Serra se déclare disciple de Grotowski, pas un mauvais maître. Cela se voit aux nombreux passages muets de sa mise en scène comme au jeu très expressionniste des comédiens. Que dire de plus sinon que cette Tempesta est un vrai bonheur de théâtre.