— Par Michèle Bigot —
« Vous voulez que je vous raconte comment j’ai changé de sexe ? » demande Copi. Et voici un texte (du moins le premier, degrés sous zéro) qui réactualise cette question mise à l’honneur lors du précédent festival d’Avignon. Le second texte (Les quatre jumelles) évoque les questions de la drogue et de l’omnipotence de l’argent. Le premier a pour cadre la Sibérie, le second les States.
Ces deux textes qui datent des années 70, ont été mis en scène à l’origine par Jorge Lavelli. Copi, son compatriote, figure de proue du mouvement gay, s’intéresse ici aux corps en souffrance, celui des trans comme celui des addicts à la cocaïne. Le texte se ressent de ces déchirures, il éructe, il vomit les mots dans des hurlements qui déchirent. Chez Copi, on s’insulte, on se baise, on se tue, et c’est souvent un seul et même geste. Le monde se désarticule, on marche sur la tête, on ne sait plus où on en est. Le tragique voisine avec le burlesque dans un univers qui tient de Jarry et de Kantor. Subversion de l’ordre social et du sens, abracadabra baignant dans l’hémoglobine, cette révolte textuelle était très nécessaire dans les années soixante-dix. Elle anticipait la dictature à venir, dans un pays, l’Argentine, connu comme repaire de nazis, où la terreur orchestrée par les militaires et les gros propriétaires terriens était une réalité quotidienne. Aujourd’hui néanmoins, cette force subversive faiblit et finit par lasser à force de violence répétitive.
Pourtant, la mise en scène époustouflante de Louis Arene et de sa troupe du Munstrum Théâtre sauve l’entreprise et nous offre un spectacle de théâtre de toute beauté, dans lequel la musique, les lumières, la chorégraphie et le jeu des acteurs touchent au sublime. Les couleurs, les formes, la gestuelle et les mouvements d’ensemble sont un enchantement pour les yeux. Un tourbillon incessant dans lequel les luttes fratricides, le démantèlement de la famille, le bouleversement de tout ordre social finissent par prendre une dimension onirique. Ballet d’apocalypse où tragique et comique se fondent. A un texte délibérément extravagant répond une chorégraphie et une plastique superbes.
Au total, un pur spectacle de théâtre, qui vaut moins par l’émotion que par l’étonnement et l’admiration qu’il suscite.
Michèle Bigot
Festival d’Avignon Off, La Manufacture, 05>25/07 2019