— Par Roland Sabra —
Roland Barthes à propos de lEurope : « Il nous faut un théâtre de l’explication et pas seulement un théâtre de l’expression. » C’est à quoi répond le travil de la Cie de Théâtre Tyr & Sydon en présentant « Nous le peuple européen avec comme sous-titre : « 6 personnages en quête d’Europe » clin d’œil à la pièce de Pirandello dans laquelle la mise en abyme autour de laquelle elle se construit, ignore de bout en bout le public. La construction européenne se ferait-elle en dehors des peuples qui la concernent les rédusant au rôle de simples spectateurs impuissants ?
Le travail présenté se fixe un double objectif. Premièrement tenter de cerner, si ce n’est de définir une identité européenne en devenir, telle qu’on peut l’appréhender à travers les échanges entre les peuples qui la composent. La libre circulation n’est pas seulement celle des capitaux et des marchandises, elle est aussi celle des hommes et ce sont eux dans leur diversité assumée, revendiquée et affirmée, dans la reconnaissance mutuelle de leur différence mais aussi de leur ressemblance, de leur communauté idéelle qui la feront vivre ou mourir. Car des forces de dissolution de l’idéal européen sont à l’œuvre. Sous les habits neufs du renouveau populiste pointe l’odeur âcre et le goût rance des nationalismes guerriers. Expression politique d’un « MOI, je.. » totalitaire en son expression il prospère sur les lâchetés politiques de gouvernements qui rejettent sur Bruxelles, leurs propres impérities.
Sur scène, six pays-personnages, parmi lesquelles on remarquera, Pierre le nationaliste Flamand, France, la Marianne arrogante, Peter l’Allemand vertueux. Ils sont entourés d’Italo, Pedro et Maria venus comme leur nom l’indique de Italie, du Portugal et d’Espagne. Les débats sont vifs contradictoires. Presque tous revendiquent la paternité de l’invention du concept de fédération dans lequel ils projettent l’Europe, en brûlant l’étape intermédiaire de la confédération faisant mine d’oublier que celui «qui se hâte reste en chemin ». Européen se conjugue-t-il au singulier ou au pluriel ? Ne faudrait-il pas construire avant toute chose une citoyenneté européenne en gésine interminable depuis Maastricht faites de droits et de devoir politiques ? Pierre et France se sont aimés l’espace d’un été il y a longtemps. Aujourd’hui Pierre issue d’une famille aisée dans un passé qui n’est plus et dont il veut reconstruire l’image est dans une phase de repli identitaire. Il veut « demondialiser » l’Europe. Son discours est une ode aux racines, à la souche, cette partie morte de l’arbre abattu. Il regarde l’avenir dans un rétroviseur. France est cette intellectuelle qui énonce pour d’autres la morale et les règles qu’elle ne s’applique pas à elle-même. Elle est ce pays caricaturé comme arrogant donneur de leçons. La scène de fausses retrouvailles qui l’oppose à son ancien amour est un peu longue. La comédienne apparaît à ce moment-là sur un registre différent, plus intime laissant pointer une fragilité jusque là dissimulée.
La pièce est drôle, pleine d’humour, profonde et contradictoire et qualité suprême elle surpasse de la tête et des épaules les campagnes électorales de ces dernières années. Synthèse des débats en cours, pasionnante de bout en bout elle fait honneur au beau mot de pédagogie dont elle rehausse si besoin était, le prestige.
Avignon le 20/07/19
R.S.