— Par Roland Sabra —
Pas facile de mettre en scène Alice ! Macha Makeïff voulait éviter une lecture freudienne de l’œuvre, elle verse dans une lecture psychobiographique qui prête à ce qu’elle voulait éviter dans une mise en miroir de l’écrivain Charles Dogson et son alias Lewis Caroll. Dédoublement dupliqué par confrontation d’une Alice elle même présente en deux exemplaires face tantôt à son créateur, et tantôt face au créateur du créateur ! On comprend que certains aient pu alléguer de la schizophrénie, voire de la perversion de Lewis Carroll, sujet clivé entre le professeur austère d’un côté et le poète « décadent » de l’autre. La voie du « nonsense » qu’emprunte Lewis Caroll permet à Alice dans « le passage du miroir » d’avoir accès à travers un au-delà du mo. A la question d’Alice « Qui-suis-je » surgit le manque d’être, condition d’accès au langage.
Puisque la structure narrative d’Alice est fondée sur le rêve il faut pour ce travail de Macha Makeïff s’en tenir au discours manifeste tel qu’il est restitué sur le plateau. Le spectateur est comblé par la représentation du monde merveilleux et cruel d’Alice et de la « chasse au Snark ». La scénographie d’une grande beauté onirique s’organise autour d’une maison-boite à malices de deux étages d’ou surgissent diable, lapin blanc, reine et roi de cœur. De chaque coté de la scène, un miroir renvoie l’image inversée d’une perspective de premier plan. Le plateau, réhaussé par les lumières de Jean Bellorini, est traversé de chaises volantes, de foulards chatoyants et de bien d’autres objets tout aussi incongrus. La maison elle-même comme un boite à musique fascinante s’avance de quelques pas avant de regagner sa place. Les personnages à tête d’animaux traversent la scène comme un dans rêve éveillé. Le thème du double est encore souligné par l’usage de deux langues, le français et l’anglais, pas toujours traduit, et par les deux Alice qui s’interpellent et insatllent une distance entre elles et le personnage en ponctuant leurs dire par des « dit Alice » . Il faut vite renoncer à comprendre et se laisser envoûter par la narration décousue et la magie du conte. Douceur et cruauté de l’enfance sont là mêlées, intriquées dans cette Alice qui ne se laisse pas démonter par le surgissement de l’imprévisible.
Le spectacle est porté par la musique originale de Clément Griffaut. Un mention spéciale doit être accordée à Rosemayr Standley qui de méchante reine en sorcière inquiétante transcende par le sublime de sa voix l’ensemble de ses interventions.
Au delà du « nonsense » c’est sans doute de hors-sens dont il est question et c’est sans doute ce qui tant plu aux Surréalistes en leur temps et aux amateurs de fééries d’hier et d’aujourd’hui.
Avignon le 18/07/19
R.S.
Photo Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon
Lewis versus Alice
d’après Lewis Carroll
Adaptation Macha Makeïeff, Gaëlle Hermant
Mise en scène, costumes et décor Macha Makeïeff
Avec Geoffrey Carey, Caroline Espargilière, Vanessa Fonte, Clément Griffault, Jan Peters, Geoffroy Rondeau, Rosemary Standley et à l’image Michka Wallon
Lumière Jean Bellorini
Musique Clément Griffault
Son Sébastien Trouvé
Création coiffure et maquillage Cécile Kretschmar
Magie Raphaël Navarro
Chorégraphie Guillaume Siard
Images Clément Vial
Vidéo Elio Della Noce
Assistanat à la mise en scène Gaëlle Hermant
Assistanat scénographie Clémence Bezat
Assistanat costumes Claudine Crauland
Assistanat magie Arthur Chavaudret, Antoine Terrieux
Conseillère à la langue anglaise Camilla Barnes