— Par Roland Sabra —
Le dernier ogre croise deux récits, celui d’un ogre, inspiré du Petit Poucet de Perrault et celui d’une vie somme toute banale, celle d’une famille venue s’installer à la campagne pour changer de mode de vie. Au travers de ces deux récits mêlés et entremêles plusieurs thèmes sont abordés et ils le sont dans une esthétique qui est celle de l’étrange par la mise en exergue de perceptions singulières au travers de destinées, de point de vue d’une inquiétante étrangeté. Le conte du Petit Poucet est plutôt le récit de la mort des sept filles qu’un ogre certes mais père avant tout aimait beaucoup, beaucoup. L’l’abandon de sept petits garçons par une famille misérable est presque anecdotique . Peut-on sympathiser avec un père cannibale mangeur d’enfant surtout quand on se veut végétarien ? Et puis que transmet-on à nos enfants ? Que leur fourre-ton dans la tête ? L’indéfini du pronom est une reprise du texte en ce qu’il implique quiconque se met en position de l’écouter et de l’entendre. C’est de cette adresse impersonnelle que le propos interpelle l’éternel enfant monstrueux, celui qui arrache les ailes aux insectes, aux oiseaux, ce tortionnaire en ouissance qui sommeille dans le spectateur.Et les décisions que l’on prend qu’elles en sont les raisons, si raison il y a ? Le coup de cœur et ses raisons dans la rationalisation de l’après-coup ne relèvent ils pas d’un habillage de chimères ? Et ces chimères ne survivent qu’ à être adoptées et partagées par le plus grand nombre. Le récit ondule, tourne et retourne autour d’argumentations de trois sous qui peinent à cacher la misère qui les porte. Sous l’habillage de la rationalité la noire déraison travaille. Elle cherche à masquer le calcul égoïste sous les oripeaux des éléns d’un altruisme de façade. Aux deux récits évoqués se surajoutent deux formes d’énonciation. L’une emprunte au dire auto-justificatif, celui qui tente d’étayer le choix de venir vivre dans une masion inconfortable par exemple, et l’autre au slam sur une partition musicale à laquelle se colle avec talent Mathias Castagné dans une balade entre rap, slam et bon vieux rock. Les textes en alexandrins, parois boiteux, sont âpres, rugueux et le son des notes du guitariste leurs font l’amour. En fond de scène d’une immense largeur, une toile banche est le support d’un travail de living-painter qui dessine avec de l’eau des paysages de campagne peuplés du fantôme des enfants assassinés. Marien Tillet à l’écriture , au jeu et à la mise en scène est porteur d’une violence que l’écrin de ses vers peine à contenir mais qui brille au soleil des projecteurs braqués sur l’ »autre scène » qu’il n’a de cesse de convoquer pour inviter à voir autrement. Découvrir donc.
Avignon, le 19/07/19
R.S.
Mise en scène, écriture et récit : Marien Tillet.
Scénographie et live painting : Samuel Poncet.
Composition musicale et guitare : Mathias Castagné.
Création sonore et régie générale : Simon Denis.
Régie en alternance : Pierre-Alain Vernette.