Avignon 2019. « La république des abeilles », écrit et m.e.s. par Céline Shaeffer

D’après « La vie des abeilles » de Maeterlinck

— Par Roland Sabra —

La république des abeilles est une pièce créée à partir du livre le plus célèbre de Maurice Maeterlinck, Prix Nobel de littérature en 1911. On y suit les différents épisodes de la vie d’une ruche d’un printemps à l’autre : essaimage, naissance et sélection de reines, le vol nuptial avec le faux-bourdon, les différents métiers des ouvrières, la fondation de la cité avec ses rayons de cire, sans oublier la fabrication du miel et l’inévitable, la cruciale opération, aujourd’hui menacée, sans laquelle rien ne serait possible : la pollinisation.

Sur le plateau des Pénitents Blancs, en fond de scène, un immense écran, plus haut que large, la nature se projette en frémissements de branches d’arbres, essaims d’abeilles, coquelicots et autres fleurs. Cinq panneaux modulables dessinés comme une évocation des  murs de cire où viennent s’ ajuster, les uns dans les autres les casiers hexagonaux figurant les alvéoles. Leur structure et leur plastique transparente soulignent la fragilité des rayons de cire. La voix off d’Agnès Sourdillon commente.

Trois interprètes, une comédienne, une danseuse et un « narrateur-régisseur » donnent vie aux nombreux personnages qui peuplent la ruche, ce monde qui fait appel à tous nos sens. Des vapeurs de miel par moments émanent des coulisses et viennent flatter les narines des spectateurs. L’espace de la ruche est un lieu multifonctionnel, maternité, garde-manger, fabrique de miel. C’est aussi un lieu commandé parce que Maeterlinck appelle le « génie de la ruche ». «L’esprit de la ruche» règle donc la vie des abeilles : il leur dit d’amasser le miel pour autrui, il commande aux gardiennes des larves de modifier le régime alimentaire de celles-ci afin de contrôler leur métamorphose en fonction des besoins de la cité, il ordonne les essaimages, les hivernages, dirige l’architecture des ruches. Il impose si nécessaire une sélection. « «Parfois deux reines éclosent simultanément. Alors, c’est au sortir du berceau le combat immédiat et mortel dont Huber a le premier signalé une particularité assez étrange : chaque fois que dans leurs passes , les deux vierges aux cuirasses de chitine se mettent dans une position telle qu’en tirant leur aiguillon elles se perceraient réciproquement – comme dans les combats de l’Iliade, on dirait qu’un Dieu ou une déesse, qui est peut-être le dieu ou la déesse de la race, s’interpose, et les deux guerrières prises d’épouvantes qui s’accordent, se séparent et se fuient, éperdues, pour se rejoindre peu après, se fuir encore si le double désastre menace de nouveau l’avenir de leur peuple, jusqu’à ce que l’une d’elles réussisse à surprendre sa rivale imprudente ou maladroite, et à la tuer sans danger puisque la loi de l’espèce n’exige qu’un seul sacrifice». » ( La vie des abeilles, Maeterlinck).

La survie de la ruche implique le massacre des faux bourdons, qui se conduisent dans la ruche comme les prétendants de Pénélope à Ithaque, et qui, une fois la reine fécondée, subissent le même sort. La pièce balance entre émerveillement et connaissances avec un penchant un peu trop marqué pour ce dernier pôle. Et c’est peut-être là que la distance avec le symbolisme, pour lequel le monde ne saurait se limiter à une apparence concrète réductible à la connaissance rationnelle, est la plus grande. On est assez loin de Materlinck et de son art de sonder le mystère, l’inconnu, de révéler par petites touches évocatrices l’invisible et l’indicible du monde qui ne saurait se limiter à une apparence concrète réductible, à la connaissance rationnelle.

Le parti pris didactique repose sur des illustrations, des images, le maniement des panneaux modulables se fait au détriment du jeu des acteurs et c’est ce par quoi pêche cette république des abeilles fort intéressante au demeurant et à conseiller à tout public.

Le spectacle se termine par une mise en garde. La moitié de l’alimentation de la planète est assurée par la pollinisation. La disparition des abeilles sous l’effet de insecticides, dont l’interminable liste s’affiche sur l’écran et parmi lesquels figure en bonne place le glyphosate, est une catastrophe écologique qui se conjugue au présent de nos vies.

Avignon, le 18/07/19

R.S.

La République des Abeilles
Texte et mise en scène Céline Schaeffer
Avec Étienne Galharague, Marion Le Guével, Polina Panassenko
Et Agnès Sourdillon (voix)
Scénographie Élie Barthès, Céline Schaeffer, Lola Sergent
Vidéo Élie Barthès
Dramaturgie et collaboration artistique Julien Avril
Musique Peter Chase
Costumes Lola Sergent
Lumière Jean-Pascal Pracht