— Par Michèle Bigot —
Le sous-titre « fête macabre » est bien trouvé. Nous assistons en effet à une véritable fête, où se mêlent le burlesque, la farce, l’humour déjanté et le tragique. Adaptation de la pièce d’Hamlet, qui, tout en prenant ses aises avec le texte de Shakespeare, reste fidèle à l’esprit baroque, avec ses excès, ses surprises, sa surcharge. Pas de doute que le public du seizième (siècle !) aurait adoré ! Que de couleurs, que de rires mêlés aux larmes, que de cris et d’enflure verbale, que de musique : toutes les cordes de la lyre sont sollicitées pour le plus grand bonheur du spectateur ! Les allusions et les références foisonnent, Freud et Shakespeare sont présents sur scène, l’anachronisme joyeux est de la fête. Spectacle total, qui renoue avec la grande tradition théâtrale, mariant la déclamation pompeuse aux coups de pistolets saugrenus. Le spectateur est pris à contrepied, passant allègrement d’une émotion à l’autre. Toutefois le texte de Shakespeare est bien présent, et à l’occasion admirablement servi par des comédiens magnifiques, capables de passer d’un registre à l’autre avec une souplesse et un naturel confondant. Le cinéma, la vidéo, le théâtre d’ombre, les objets, les faux semblants, les masques, les fantômes, le carton-pâte, les perruques, les ustensiles, le maquillage, l’ensemble du matériau théâtral est convoqué dans une grande foire burlesque totalement jouissive. Le canulard jouxte avec la tragédie classique, le théâtre élisabéthain est à la fois déconstruit et sublimé, Hamlet se télescope avec Ubu et Dom Quichotte. La forme fragmentaire laisse apparaître le travail de création dans la plus pure tradition baroque de L’Illusion comique. Ce grand chaos scénique est orchestré savamment. Il donne à voir une entreprise qui balance entre tradition et expérimentation, une forme théâtrale des plus vivantes. Magnifique pied-de-nez ! Le spectacle est si festif que le public en redemande et on a rarement vu à Avignon autant de jeunes dans la salle !
Ce n’est certes pas un hasard si Jérémie Le Louët a choisi de magnifier le personnage d’Hamlet. Il avoue sa prédilection pour les losers magnifiques et les révoltés, ceux qui dérangent vraiment et interrogent au plus profond les angoisses existentielles, qui flirtent avec la mort tout en fêtant la vie avec ardeur. Voilà une problématique qui parle à notre époque. Le clivage entre modernité et tradition se trouve transgressé d’un seul coup, dans un geste théâtral audacieux et joyeux. Il y a de l’allégresse dans cette écriture scénique qui ne s’embarrasse pas de frontières et de conventions. Une des plus éclatantes réussite du Off d’Avignon, dont le cru 2019 restera en mémoire.
Michèle Bigot
Festival d’Avignon Off, 11 Gilgamesh, 5>26/07 2019