— Par Isabelle Monpezat —
Simple spectatrice du festival d’Avignon et curieuse de lire les nombreuses critiques de Madinin’Art, j’ai lu avec intérêt l’article de Selim Lander sur le spectacle « Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète ». Je souhaite partager mes impressions sur ce spectacle qui m’a beaucoup touché.
Dans son spectacle, le comédien et metteur en scène d’origine iranienne Gurshad Shaheman traite de deux thèmes centraux du festival : la migration et le genre. Il nous livre les récits d’artistes et membres de la communauté LGBT qui doivent fuir leur pays à cause de leurs idées ou de leur identité sexuelle (« des histoires de guerre mais aussi d’amour »).
Gurshad Shaheman est allé à Athènes et à Beyrouth recueillir les paroles auprès d’exilés issus du Moyen-Orient ou du Maghreb. A partir de ce matériau, il a réécrit pour obtenir cette pièce de théâtre dans laquelle dix-huit jeunes interprètes s’adressent à nous par la parole et une gestuelle simplifiée au maximum. Quatorze sont des comédiens (de l’Ensemble de l’Ecole Régionale d’Acteurs de Cannes et Marseille – ERACM) et quatre sont des personnes concernées par l’exil.
Ces histoires de migrants ne ressemblent en rien à un travail théâtral classique. La mise en scène peut paraître déroutante par sa simplicité. Sa force est qu’elle génère un questionnement.
Ces femmes et ces hommes sur scène sont assis ou allongés dans la pénombre avec comme seul accessoire une lampe de poche. Chaque personne allume sa lampe pour nous livrer un morceau de vie. Les récits se succèdent en s’entremêlant. Ce procédé a pour effet de renforcer notre écoute pour chacun de ces parcours d’exil. Cela nous force à entendre.
Même si la construction du spectacle est chronologique (de l’enfance à l’exil), Gurshad Shaheman a fait le choix de nous livrer les récits d’une manière fragmentée. Le flot continu de récits génère beaucoup d’émotions – violentes mais également émouvantes car l’amour est le fil conducteur de ces récits. Chaque personne a un parcours particulier et douloureux mais ils sont ensemble sur cette scène avec un message d’espoir. Le dernier comédien qui surgit sur la scène est bien le « transmetteur » de ce message.
Les comédiens utilisent une langue simple et sans pathos. Ils nous livrent les récits des exilés sans les incarner (les yeux fermés) mais également sans rester à distance. Ils nous transmettent ces témoignages intenses sans fébrilité. Ces comédiens de l’ERACM sont sur scène pour défendre la cause de ces gens persécutés dans leur pays et contre l’intolérance. Ils n’ont pas pu aborder ce travail comme une pièce classique et sans une forte sensibilité à cette cause. La parole relayée par chacun d’entre eux correspond à un engagement fort.
Grâce à ce mode d’interprétation, à la sobriété des créations sonores et lumières de Lucien Gaudion et Aline Jobert et à la scénographie dépouillée de Mathieu Lorry Dupuy, nous pouvons entendre la voix des victimes de l’intolérance. Ainsi, ces histoires de migrants mises ensemble composent un chant de fraternité.
Ce spectacle ne reste pas à l’état de bonnes intentions. Pour traiter de ces sujets actuels, Gurshad Shaheman parvient à trouver la forme pour nous faire entendre ces « témoins » d’oppressions sans nous imposer sa façon de penser. Cette pièce ne défend pas seulement une juste cause, elle repose la question du vivre ensemble et celle de notre engagement.
Isabelle Monpezat