Ivo Van Hove, metteur en scène des Damnés (en cour d’honneur il y a deux ans) nous plonge dans une saga familiale, digne de « Dallas » quant à ses turpitudes. A partir d’une adaptation de trois romans de Louis Couperus auteur néerlandais de la fin du 19esiècle.
Quinze comédiens et un musicien vont opérer dans un univers clos qui ressemble à une salle d’attente d’aéroport avec, taguées sur ses murs de verre, des figures grimaçantes. Tout de noir vêtus, en deuil d’eux-mêmes, ils vont jouer diverses partitions en duo, trio, quatuor… avec un minimum d’accessoires et sans autre mobilier scénique qu’une étrange table horloge. Au centre de l’histoire, un meurtre perpétué par un vieux couple d’amants sert de socle au non-dit qui ronge toute une famille qui sait : celui qui a vu, celui qui a répété…Le ver est dans le fruit. Les couples sont disparates, les jeunes jouent les vieux et vice versa. On aborde la pédophilie de l’un, l’hystérie de l’autre, l’homosexualité latente, la gourmandise sexuelle ou son refus, le marchandage. Je vous le dis « un univers impitoyable » où jusqu’ à la mort des très vieux, il y aura révélation de filiation, afin de bien ébranler ces liens familiaux et d’en montrer l’iniquité. Chacun cherche désespérément une preuve de son existence comme si une chape de plomb (belle image de la pluie noire) leur tombait dessus. Ils sont tous vieux d’être sans espoir, sans possibilité de dépassement du non-dit. Pas de résilience possible.
Alors qu’est ce qui nous tient en haleine ? Sans doute la façon d’habiter le plateau, de créer étincelles et feux de paille avant de retourner bouffer du noir. Paradoxalement empêchés, entravés dans leur histoire, les comédiens gagnent, à renifler la mort comme un ultime vertige, un jeu en spirale qui leur donne, à défaut de délivrance, une grande liberté.
Dominique Daeschler