— Par Selim Lander —
Une Maison de poupée d’Henrik Ibsen (OFF)
Dans un billet précédent nous émettions l’hypothèse qu’Ibsen est le plus grand dramaturge du XIXe siècle, toutes langues confondues. Ce n’est pas Une Maison de poupée, reconnue comme l’une de ses meilleures pièces, qui nous fera changer d’avis, surtout dans l’interprétation qu’en donnent Florence Le Corre (Nora) et Philippe Calvario[i] (Torvald Helmer) dans la M.E.S. de Philippe Person (qui joue lui-même Krogstad).
Il n’est peut-être pas anodin de savoir que cette pièce féministe (écrite en 1879) fut inspirée d’un fait réel. Une certaine Laura, une amie du couple Ibsen, vécut une histoire semblable à celle de Nora de la pièce, en plus tragique. Nora comme Laura ont emprunté de l’argent pour soigner leur mari malade, mais là où la Nora de la pièce voit son problème résolu par un « miracle » et quitte son mari la tête haute, la vraie Laura fut contrainte au divorce et internée dans un asile !
L’écriture de la pièce est remarquable en raison de la tension qu’elle introduit dès le départ. Nora apparaît torturée d’emblée (avant même que le spectateur sache ce qui la préoccupe) par le faux qu’elle a réalisé pour se procurer l’argent du voyage salvateur en Italie, tandis que Torvald, le mari, très à cheval sur les questions d’argent, voit avant tout (et à tort comme nous le découvrons aussi plus tard) dans Nora la femme qui dépense inconsidérément. La tension se relâche un moment lorsqu’on se doute que la question du faux pourra être résolue mais remonte tout à fait à la fin de la pièce quand Nora, qui a pris conscience de la veulerie et de la goujaterie de son époux, se décide à le lui faire savoir et à le quitter.
Le décor est astucieux avec deux grandes vitres derrière lesquelles on peut apercevoir les comédiens quand ils sortent de la maison. C’est là, entre les deux vitres, que se trouve la boite aux lettres qui joue un rôle important dans la pièce. Ces vitres, en outre, fonctionnent comme des miroirs ce qui permet de voir aux comédiens de tourner le dos au public sans inconvénient pour lui.
Les Larmes amères de Petra von Kant de Rainer Werner Fassbinder (OFF)
Deux anciennes des Cours Florent, Fanny de Font-Réaulx et Louise Massin, se sont associées pour mettre en scène cette pièce parmi les plus connues de Fassbinder. F. de Font-Réaulx s’est chargée du rôle titre et contribue donc doublement à la réussite de cette entreprise. Le personnage de Petra n’est pourtant pas des plus faciles puisqu’il exige de la comédienne qu’une femme sûre d’elle, impérieuse même, se transforme en victime désespérée de la passion amoureuse ayant abdiqué toute fierté. F. de Font-Réaulx fait preuve d’une maîtrise impressionnante dans les deux facettes de son personnage. Elle est dotée en outre d’une belle voix un peu rauque dont elle se sert à merveille.
Petra est une styliste en vogue. Elle règne sur son atelier et au premier chef sur Marlène qui est mise à contribution aussi bien pour terminer un dessin que pour servir à boire ou à manger. Sidonie, une amie, lui présente une jeune femme, Karine, dont Petra tombe éperdument amoureuse. Lorsque Karine quitte Petra, cette dernière sombre dans une sorte de folie. Presque à la fin de la pièce l’anniversaire de Petra réunit autour d’elle sa mère, sa fille, Sidonie et, bien sûr, l’indispensable Marlène : c’est le climax, le moment où Petra, à demi saoule, effondrée se révèle un grand personnage tragique, une Phèdre moderne.
Toutes les comédiennes, issues des Cours Florent à l’exception de la mère, sont bien dans leur personnage. Juste retour des choses, c’est celle qui joue Marlène, Delphine Lanniel, qui focalise immédiatement l’attention au moindre déplacement : les acteurs réduits à un rôle muet muets, pour peu qu’ils possèdent une présence physique et sachent en jouer, font souvent cet effet sur le public[ii].
Est-ce à cause du jeu de F. de Font-Réaulx, de la sobriété des costumes, du décor glaçant (métal et néons), parce que nous étions installé au premier rang, au plus près des comédiennes, ou pour toutes ces raisons à la fois ? Le fait est que cette production de Petra von Kant nous a davantage emballé que celle à laquelle nous avions assisté au théâtre de l’Œuvre en 2015[iii].
[i] Le même comédien remarqué dans l’Antoine de Juste la fin du monde de Lagarce (voir notre billet n° 8)
[ii] Ainsi Patrick Bosso dans Acting de Xavier Durringer. Cf. http://www.madinin-art.net/rentree-aixoise-danse-theatre/
[iii] http://mondesfrancophones.com/espaces/periples-des-arts/petra-von-kant-de-fassbinder-un-mauvais-beguin-chez-les-lgbt/