— Par Selim Lander —
Elie Salleron est un jeune auteur, animateur de la compagnie « Rascar Capac » (les tintinophiles apprécieront). Il a écrit au pied levé, pour occuper un créneau qui venait de se libérer dans une petite salle du OFF, un spectacle pour deux comédiens et une comédienne qui ne manque ni d’impertinence ni de pertinence. Il est en effet sinon outrecuidant du moins réellement impertinent de brocarder tout du long l’éditorial d’Olivier Py, le directeur du IN comme chacun sait, plus précisément son introduction au programme du « festival » (le festival tout court, i. e. le IN).
Verbatim : « Quand la révolution est impossible il reste le théâtre. Les utopies y attendent des jours propices, les forces novatrices y inventent encore un demain, les vœux de paix et d’équité n’y sont pas prononcés en vain. Quand Hamlet voit l’impossibilité de la révolution, il convoque le théâtre pour y faire une révolution de théâtre qui dit que tout est encore possible, qu’il faut réanimer le désir de jours enivrés de devenirs.
C’est au théâtre que nous préservons les forces vives du changement à l’échelle de l’individu. Face au désespoir du politique, le théâtre invente un espoir politique qui n’est pas symbolique mais exemplaire, emblématique, incarné, nécessaire… » (Programme de la 70e édition du festival d’Avignon, 2016, p. 1).
Fermez le ban. Curieuse conception que celle qui consiste à assimiler le théâtre – tout le théâtre ? plus vraisemblablement le seul qui soit digne de ce nom aux yeux d’O. Py – à un laboratoire où se préparerait la révolution future. Faire du théâtre, aller au « théâtre », plus précisément assister aux pièces retenues par le directeur du festival, ce serait donc faire un acte politique (pré-)révolutionnaire. C’est d’ailleurs encore le sens du message diffusé par O. Py au lendemain de l’attentat de Nice :
« En cette journée de deuil, nous réaffirmons que le spectateur est un homme, une femme, un enfant engagés » (cité in Libération des 16-17 juillet, p. 21). Eh oui, les enfants aussi !
La réalité, on s’en doute, est plus compliquée. On nous permettra de renvoyer ici le lecteur à notre article intitulé « Le théâtre et ses spectateurs » in Esprit n° 403, mars avril 2014, p. 219-225. En bref, l’intention politique, au théâtre, ne suffit pas pour atteindre une efficacité politique. Les spectateurs, même convaincus d’avance de la justesse d’un discours prônant un changement radical, ne s’engagent pas aussi facilement. Quant aux autres…
L’aliénation a la peau dure. C’est justement là-dessus que joue E. Salleron en imaginant un futur où les spectateurs seraient, grâce au théâtre, libérés de leurs chaînes et de leurs préjugés. Cependant, comme un doute subsiste sur l’efficacité de la méthode (voir supra), un recours à la force pure et simple est également envisagé. D’où le titre.
Le charme d’Inconcevable silhouette du nouveau futur qui tue tient principalement à la complicité entre les deux comédiens du trio qui se renvoient plaisamment la balle, avec ce qu’il faut de maladresse (involontaire ?) pour faire croire qu’ils improvisent devant nous. Deux poupées géantes n’ajoutent guère à l’affaire, pas plus que le monologue plus lu que récité d’une comédienne censée personnifier une directrice d’école attachée à former des citoyens. On apprécie davantage, par contre le « robot » à l’intelligence (artificielle) approximative qui s’exprime à travers un ordinateur portable.
Au final, une pièce empreinte de bonne humeur et de modestie, qui ne vise pas moins juste pour autant.