Par Selim Lander
Ce spectacle du collectif FC Bergman qui nous vient de Flandre n’est pas sans parenté avec celui d’Aurélien Bory puisque le décor joue un rôle important, avec des acteurs qui, pour certains, ont des dispositions pour la danse ou pour l’acrobatie. Et il s’agit à nouveau d’un spectacle captivant bien que sans parole. Il y a néanmoins des différences importantes. Le décor, d’abord, n’est pas mobile ; par contre il subira plusieurs dégradations au cours de la représentation. Ce décor reconstitue la grande salle d’exposition des tableaux de Rubens au musée d’Anvers. Musée en réfection, ce qui impose de décrocher les œuvres. Problème : le tableau Le Coup de lance est trop grand pour passer par la porte, comment le sortir de cette salle ? Plusieurs réponses possibles seront envisagées et expérimentées par l’un des employés du musée…
C’est le point de départ du spectacle mais il se passe bien d’autres choses dans cette salle ; bien que quasiment vide de tableaux, elle attire des visiteurs plus ou moins farfelus, sans compter le personnel du musée lui-même atypique. Le premier visiteur commence par se déshabiller complètement, en dévoilant une partie de son anatomie qui a dû faire bien des envieux parmi les spectateurs…, ce qui confère à ce striptease – si banal dans le IN – une certaine originalité. Le comédien en question passera une bonne partie de la pièce dans la tenue d’Adam, assis dans un coin de la salle, à fumer.
En pénétrant dans le lieu où se déroule cette pièce, on est d’abord frappé par les dimensions monumentales de la salle du musée. (FC Bergman est spécialiste des décors gigantesques qu’il installe dans les lieux les plus divers, comme ici le bâtiment principal du parc des expositions d’Avignon.) Puis l’on remarque les hommes en blouse grise qui s’activent à débarrasser le musée de ses tableaux. Sur le mur à jardin reste accrochée une reproduction du Coup de lance. Grandeur nature ? – En tout cas, nous saurons qu’elle dépasse quatre mètres de hauteur puisqu’un employé du musée la mesurera devant nous avec un mètre pliant).
Si le début paraît laborieux, ce n’est qu’une ruse car le spectacle prend rapidement un rythme rapide, enchaînant les gags. Il est difficile de le comparer à quoi que ce soit d’autre. On penserait au « nouveau cirque » s’il y avait une compétence clairement affichée dans une ou plusieurs spécialités du cirque, mais ce n’est pas le cas, ou alors celle des clowns (tristes). Quoi qu’il en soit, Het Land Nod se révèle plein d’inventions et de poésie. Une vraie découverte.
Précision : pourquoi ce titre ? Parce que le pays de Nod, celui où Caïn fut abandonné après avoir tué Abel. À vrai dire, on peut se passer de cette référence biblique quand on assiste au spectacle.
Décidément, les collectifs belges sont à l’honneur, cette année, en Avignon. Après les Gantois de Ontroerend Goed (que l’on préfère oublier) dans le OFF et les Anversois de FC Bergman dans le IN, voici, toujours dans le IN les Liégeois de Raoul Collectif. Ils présentent un spectacle comique (ce qui n’est pas vraiment la spécialité du festival) à prétention intello (ce qui l’est davantage).
Disons-le tout de suite, même s’ils nous perdent un peu à la fin, leur pièce est une réussite. Ils sont cinq copains, tous issus du Conservatoire de Liège, qui endossent les costumes soixante-huitards de journalistes participant à une émission radiophonique genre Le Masque et la Plume. Ils ont chacun leur personnalité, des dictions et des jeux différents, ils sont tous brillants et drôles sauf un malheureux obligé d’endosser le rôle du benêt qui n’est que drôle.
Ils sont assis à une table couverte de micro, face au public, quand ils ne sont pas amenés à bouger pour une raison ou une autre, panne technique, projection de diapositives d’animaux en voie de disparition… Ils se disputent à fleurets mouchetés ou s’énervent carrément. La fin est délirante, avec jets de sable, sans doute en référence au désert dont il a été question à plusieurs reprises, et apparition d’un cheval et d’une vache (deux comédiens portant les masques de ces animaux).
Le cheval et la vache ne font évidemment pas partie des espèces en voie de disparition ; ils figuraient dans la lettre d’une auditrice évoquant la présence de ces deux animaux en train de paître dans le même pré exigu et pourtant indifférents l’un à l’autre. De quoi gloser et débattre ad libitum, pour tout intellectuel digne de ce nom, sur la solitude de l’homme moderne, le pacifisme, la propriété, la révolution, etc. De la révolution, ou plutôt de son impossibilité, il sera encore question dans la pièce avec l’apparition de l’un comédien déguisé en une femme blonde nommée TINA. TINA comme les initiales de « There Is No Alternative », le slogan (néo-)libéral attribué à Margaret Thatcher, ce qui donne l’occasion de rappeler, photos à l’appui, la première réunion de la société du Mont-Pèlerin, en 1947, lorsque fut fondé le think tank libéral du même nom à l’initiative de l’économiste Hayek (l’anti-Keynes).
Raoul Collectif ou une manière plaisante de s’instruire !
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