— Par Selim Lander —
Thomas Jolly intervient auprès des élèves de troisième année de l’école du Théâtre National de Strasbourg. Ils sont douze, six filles et six garçons, exactement le nombre de personnages de la pièce de Georg Kaiser, Le Radeau de la Méduse (douze auxquels il convient d’ajouter un figurant muet). Cette pièce écrite en 1942 est complètement d’actualité aujourd’hui, puisqu’elle traite des préjugés à l’encontre des étrangers, ou simplement des gens différents, du rejet de l’autre.
Un bateau chargé d’enfants que l’on souhaitait mettre à l’abri de la guerre a été pris pour cible et a fait naufrage. Sur une chaloupe, douze survivants. Ils sont tous chrétiens et s’organisent équitablement pour partager les vivres stockés dans le canot de sauvetage. Ils découvrent, caché dans un coffre un autre enfant, plus petit, roux avec des taches de rousseur et muet. Ils l’appellent « Petit Renard ».
Le rejet de l’autre peut s’alimenter à différentes sources. Dans la pièce de Kaiser, le racisme pur et simple (l’enfant est roux), le refus de la différence au sens comportemental (il est muet) ne suffisent pas tout-à-fait. L’alibi initial pour justifier la discrimination (et le pire qui viendra ensuite) relève de la religion, ou plutôt d’un tabou d’origine religieuse. On se souvient de la Cène décrite dans les Évangiles : Jésus partage un repas avec les douze apôtres ; l’un d’entre vous, dit-il, va me trahir. D’où la superstition qui interdit d’être treize à table. Petit Renard, différent et apparu tardivement, se trouve tout « naturellement » considéré comme la brebis galeuse par les autres enfants (au christianisme revendiqué), ceux du moins qui se montrent superstitieux.
A défaut de faire intervenir des adolescents, le recours à des apprentis comédiens encore juvéniles pour interpréter Le Radeau de la Méduse était logique. Le résultat est à la hauteur de la réputation de Th. Jolly. Dans une atmosphère de brume et de demi-pénombre, les treize sont enfermés dans l’espace d’une barque en bois qui peut tourner lentement sur elle-même comme au gré des flots (grâce à Dieu, pas de vidéo dans cette mise en scène). Les déplacements, a priori délicats dans cet espace restreint, sont réglés avec précision. De beaux chants chorals (pas de micros non plus, Dieu merci). Il y a deux rôles principaux pour une fille et un garçon entre lesquels aura lieu un simulacre de mariage (pas pour la raison que l’on croit). En l’occurrence, le garçon s’en sort mieux que la fille parfois desservie par sa diction.
Le Radeau de la Méduse n’est pas qu’un exercice de style réussi, une illustration du talent du metteur en scène et de la cohésion de la huitième promotion de l’école du TNS, c’est une fable morale – qui détruit en particulier l’idée selon laquelle les enfants seraient plus purs, plus innocents que les adultes – à voir et à retenir par les petits et les grands.
Les occasions d’assister à des spectacles issus de la Nouvelle-Calédonie sont rares en Avignon. La Chapelle du Verbe Incarné a invité cette année une comédienne de trente-cinq ans, originaire de Maré, l’une des îles Loyauté, lesquelles, avec la Grande-Terre, constituent la Nouvelle-Calédonie. Maïté Siwene a concocté un « spectacle pour une femme seule » (traduction de Wanamat Show) dans lequel elle incarne une grand-mère kanak et quelques membres de sa nombreuse famille.
Cette jeune comédienne a tout le talent qu’il faut et même si l’énergie tombe un peu la fin, son spectacle plein d’humour se laisse voir agréablement. En outre, pour les spectateurs qui ne connaissent pas la Nouvelle-Calédonie ou n’en ont qu’une idée des plus vagues, Wanamat Show leur apporte une connaissance directe, en quelque sorte, du monde kanak tel qu’il se présente aujourd’hui avec un pied dans la modernité et l’autre dans la « coutume ».
Dans la « Petite Chapelle » en face du théâtre une exposition de photographies de Sébastien Lebègue, « Coutume kanak », complète à merveille la prestation de Maïté Siwene sur la scène.