Par Selim Lander
Ouvert en 2000 dans l’Hôtel de Caumont, en Avignon, la Fondation Lambert d’art contemporain se prolonge depuis cette année dans l’Hôtel mitoyen de Montfaucon. Les deux bâtiments entièrement rénovés pour la circonstance (agence Berger&Berger) sont voués pour l’un au fonds permanent (qui a fait l’objet d’une dation à l’Etat), pour l’autre aux expositions temporaires. C’est donc là où se tient en ce moment, et jusqu’au 11 octobre 2015, une exposition qui présente à la fois des documents tirés des archives que Chéreau a léguées à l’IMEC (Institut Mémoires de l’édition contemporaine) et des œuvres de plasticiens ayant nourri son imaginaire ou qui, du moins, sont censées entretenir avec lui un certain rapport « sensible ».
Patrice Chéreau (1944-2013) est tombé très tôt dans le théâtre. C’est en effet au lycée Louis-Le-Grand, à Paris, qu’il tiendra ses premiers rôles et assurera ses premières mises en scène (en compagnie de Jean-Pierre Vincent). La troupe se fait remarquer et fera le voyage de Nancy, invitée par Jack Lang.
La suite ira tout aussi vite. Chéreau prend la direction, à 22 ans, du Théâtre de Sartrouville et c’est là qu’il s’associera Richard Peduzzi, son décorateur jusqu’à la fin. Viendront ensuite le Piccolo Teatro à Milan, le TNP à Villeurbanne (qu’il codirige avec Roger Planchon), les Amandiers à Nanterre. Il abandonnera en 1990 ses responsabilités institutionnelles pour se consacrer avec une énergie renouvelée à ses projets personnels aussi bien dans le théâtre, le cinéma, l’opéra. Encore n’avait-il pas attendu cette date pour diversifier ses activités. C’est dès 1976, en effet, qu’il fut appelé à Bayreuth, avec Pierre Boulez, pour monter une Tétralogie de Wagner qui fera date. Par contre, c’est bien au début des années 1990 qu’il a entamé les préparatifs de son film à grand spectacle, La Reine Margot, qui sortit sur les écrans en 1994 et connut un immense succès.
Au théâtre, il fut aussi bien le serviteur des classiques (nous gardons le souvenir de sa mise en scène et de son interprétation du rôle titre de Richard II de Shakespeare[i] ou de sa mise en scène de Phèdre avec Dominique Blanc) que le découvreur de Bernard-Marie Koltès. En 1995, il monte à nouveau La Solitude dans un champ de coton[ii] et l’interprète lui-même avec Pascal Greggory, devenu son compagnon.
Les documents rassemblés dans des vitrines sont souvent émouvants, en particulier les plus anciens, les premières notes de mise en scène, les premières esquisses de décor. Il y a également des correspondances, certaines passionnantes à l’instar des commentaires de Koltès sur l’un de ses textes, d’autres qui font plutôt sourire comme certaines lettres signées d’Alain Badiou ou de Roland Barthes à la limite de la flagornerie – au moins montrent-elles l’importance acquise très tôt par Chéreau. Des vidéos permettent de visionner des extraits de ses mises en scène et de ses films ou lui laissent la parole au fil d’émissions auxquelles il a participé.
On l’a dit, les œuvres – peintures, sculptures, photographies – sont en rapport plus ou moins étroit avec Chéreau. Certaines – pas les plus nombreuses – qui relèvent de l’art contemporain le plus hermétique, semblent hors contexte. On a du mal à voir en quoi elles ont pu nourrir son imaginaire. D’autres, comme certains tableaux anciens ou les gays photographiés par Nan Goldin apparaissent au contraire comme des évidences. En tout état de cause, l’ensemble – documents plus œuvres plastiques – constitue une très belle exposition, à recommander non seulement aux fans de Chéreau mais à tous les amateurs de théâtre.
[i] À ne pas confondre avec le Richard III du même Shakespeare – voir Avignon 2015 (1).
[ii] Voir Avignon 2015 (7).