— Par Selim Lander —
Cuando vuelva a casa voy a ser otro – Quand je rentrerai à la maison je serai un autre
Au cinéma, au théâtre aussi, on reconnaît les œuvres d’Amérique du Sud. Il est difficile de dire à quoi cela tient exactement, peut-être avant tout à une certaine manière de considérer l’humain qui combine l’empathie avec une certaine dérision, également à une certaine manière de traiter des sujets graves sans se prendre au sérieux. Mariano Pensotti est argentin (né en 1973). Sa renommée a largement dépassé les frontières et Cuando est une coproduction internationale à laquelle le festival d’Avignon s’est pertinemment associé. On aime en effet ce spectacle (en espagnol sous-titré) astucieusement construit et bien mis en scène et qui pose adroitement une question essentielle – c’est le cas de le dire – à savoir la grande question existentialiste : y a-t-il une « essence » de l’individu donnée une fois pour toutes, ou l’existence précède-t-elle l’essence ?
Le spectacle débute par un panorama fixé sur une toile présentant quelques merveilles de la création, dinosaure et autre lion, réminiscence d’un musée fréquenté par Pensotti dans son enfance et qui sera à nouveau évoqué in fine. La pièce est en effet en partie autobiographique. Elle entrecroise les parcours de quatre personnages principaux : Alfredo, le père de Pensotti (la pièce commence par une anecdote réelle le concernant) ; Manuel, son fils metteur en scène (double transparent de Pensotti lui-même) ; Damian, un politicien qui se lance lui aussi dans la mise en scène, devenant alors – d’une manière très précise et explicite, cette fois – le double du metteur en scène précédent ; enfin Natalia, la chanteuse d’un groupe rock. Tous ces personnages ont des rapports entre eux qui se développent au fur et à mesure de l’action. La pièce est avant tout amusante, ce qui ne l’empêche pas de dégager une émotion intense lorsqu’Alfredo rencontre Natalia pour lui parler de son père, assassiné par les militaires avant sa naissance. La tragédie de l’Argentine, la dictature sont en effet à l’arrière-plan.
En dehors de la construction de la pièce, on apprécie particulièrement la scénographie qui repose principalement sur deux tapis roulants parallèles, constamment en mouvement en sens contraires, avançant suffisamment lentement pour que les comédiens puissent passer facilement de l’un à l’autre, et, du même coup, d’une scène à l’autre, les accessoires nécessaires ayant été préalablement déposés sur le tapis adéquat. Outre son côté spectaculaire, ce dispositif impulse à la pièce un dynamisme rare : aucun temps mort n’est possible.
Le jeu des cinq acteurs se caractérise avant tout par son côté un peu « bordélique » qui donne une impression d’improvisation. On l’a dit : on refuse de se prendre au sérieux. Quant à la philosophie qui se dégage de Cuando…, elle n’est peut-être pas celle indiquée par le titre. Certes, les personnages ne sont pas tout-à-fait les mêmes au fil des événements qu’ils doivent traverser. On repère quand même une constante dans leurs caractères. Celui, par exemple, qui n’est guère apte au bonheur peut bien connaître des bons moments ; il ne tarde pas moins à retomber dans son ornière.