— Par Selim Lander —
De toutes les Antigone écrites pour le théâtre, c’est celle d’Anouilh qui est la plus jouée et l’on ne se lasse pas de la redécouvrir dans des décors et des mises en scène différentes. C’est ici une troupe de comédiens amateurs qui s’est lancée, composée d’élèves de sciences-po (Paris). Bien que novices, ils démontrent déjà une surprenante maîtrise. Surtout, ils parviennent à faire passer les différentes émotions, les genres différents qui se bousculent dans cette pièce : tragédie, compassion, sagesse, amour passion, comédie…
Au début de la pièce les comédiens sont tous vêtus de noires ; la seule à être habillée différemment, dans une gabardine bleu marine, représente le chœur ; au fur et à mesure qu’elle présente les comparses, ces derniers se lèvent et enfilent la tenue de leur personnage. Antigone, la première, revêt une longue robe blanche qui lui laisse les bras nus ; quelqu’un les lui couvre les bras de terre ; la pièce peut alors commencer. L’intimité du cadre (une petite salle du théâtre des Barriques), l’absence de tout décor, la ferveur des comédiens, la sobriété de la mise en scène, tout cela empêche que l’émotion faiblisse jamais. Curieux comme le mythe d’Antigone parle encore aussi fort en cette époque utilitaire et matérialiste. Qui aujourd’hui serait prêt à donner sa vie pour rendre les honneurs à un frère criminel ? Si Antigone nous touche malgré tout, ce n’est sans doute pas uniquement parce que nous reconnaissons dans son histoire un mythe fondateur de notre culture. Chez Antigone la folie se mêle à la sainteté des martyres. Son abnégation nous impressionne d’autant plus que nous ne pouvons plus la comprendre.
Wajdi Mouawad est un auteur et metteur en scène qui fut en Avignon en 2010 avec son spectacle Seuls. Cette année, il est
présent par une pièce (mise en scène par Marie Provence du théâtre « 7e ciel » de Marseille) à l’intention aussi bien de la jeunesse que des adultes, tout en remplissant à la perfection le programme qu’il assigne au créateur : « L’artiste, tel un scarabée, se nourrit de la merde du monde pour lequel il œuvre, et de cette nourriture abjecte il parvient, parfois, à faire jaillir la beauté » (sur son site). Pacamambo raconte en effet l’histoire d’une petite fille qui s’est enfermée dans une cave avec un cadavre, celui de sa grand-mère chérie, « parce que c’est la personne que j’aime le plus au monde ». Toute cette pièce est une lutte contre la mort : contre la putréfaction, d’abord, la petite Julie a recours aux fards et aux parfums de sa grand-mère ; au-delà, elle jette un véritable défi à la mort qui, d’abord apparue sous la forme de la lune venue chercher l’âme de la grand-mère, réapparaîtra à la fin – plus classiquement – sous l’apparence d’une femme en noir. Quant à « Pacanambo », c’est un autre nom du paradis promis aux êtres d’espérance.
La pièce est à la portée du jeune public, mais les adultes feront aussi leur miel de cette histoire quelque peu merveilleuse, à condition de bien vouloir retrouver leur âme d’enfant. La distribution comporte cinq comédiens : Julie, la grand-mère, le chien fidèle de Julie, la psychologue qui s’efforce de ramener Julie à la normalité en lui faisant raconter son histoire, la mort enfin. Une mention spéciale à Jean-Jacques Rouvière qui démontre d’impressionnantes qualités d’imitation dans le rôle du chien bien sympathique nommé « Le Gros ».
Où l’on verra que l’on peut ne pas être entièrement d’accord avec Roland Sabra.
Au pied du mur sans porte, de Lazare, un spectacle du IN. Lazare est un de ces auteurs talentueux qui possèdent leur propre langue. Grâce à quelques mots légèrement déformés tirés d’un vocabulaire très basique, et sans jamais s’éloigner vraiment de la syntaxe orale, il parvient à créer un langage étonnamment poétique. Au pied du mur sans porte raconte l’histoire d’un garçon, Libellule, d’abord élève de l’école élémentaire puis membre d’un gang de drogue. Ce garçon est sinon demeuré, en tout cas retardé. L’histoire est particulièrement émouvante quand on sait que Lazare fut lui-même cet enfant. « J’ai commencé à écrire très tard, car j’ai souffert, dans ma jeunesse, d’une forme de handicap à lire et écrire, ce qui me valut d’être balloté d’école spécialisée en école spécialisée » (entretien avec J-F Perrier). Les autres personnages tournent autour de Libellule. Pour s’en tenir au premier temps de l’histoire, il y a son double, sa mère, la directrice de l’école, l’institutrice, le magicien-chef, le magicien, l’enfant maltraité et la petite sœur. Rien que l’énoncé de ces personnages donne une idée de l’atmosphère de la pièce entre réalisme, onirisme et fantastique.
Lazare a mis lui-même en scène sa pièce et alors, là, pour qui connaît le texte, totale est la surprise et grande la déception ! En dehors de quelques moments de calme où la grâce si particulière de son langage peut se faire entendre, il en fait un barnum épouvantable, avec des comédiens qui ne cessent de crier et de s’agiter en tout sens, sans compter les musiciens qui viennent ajouter au vacarme. Les auteurs de théâtre ont l’habitude de dire qu’ils ne reconnaissent pas leurs petits quand ils sont mis en scène par d’autres. Ici c’est le lecteur de la pièce qui ne s’y retrouve guère