— par Janine Bailly —
Ce 17 octobre, dans le cadre des rendez-vous du lundi à la Bibliothèque Universitaire, Steve Gadet, rejoint en dernière partie de son intervention par Corinne Plantin, nous présentait un ouvrage au titre prometteur, réalisé sous sa direction et publié en 2016 chez L’Harmattan, Les cultures urbaines dans la Caraïbe. Et cette double communication fut si riche, si enthousiaste et motivante que l’on peut sans doute regretter son caractère par trop confidentiel.
L’ouvrage collectif, riche d’une douzaine de contributions proposées par des chercheurs et enseignants de toutes disciplines, hommes et femmes de formation universitaire mais ne rechignant pas à être sur le terrain, certains étant même acteurs de l’une ou l’autre de ces formes d’expression qu’ils analysent, l’ouvrage donc veut montrer comment les cultures urbaines se sont déployées dans la Caraïbe, ces cultures étant une fenêtre, ou une porte d’entrée, pour comprendre les sociétés caribéennes et observer les mutations qui s’y opèrent au fil du temps.
Que faut-il entendre par cultures urbaines ? Art visuel, art pictural, danse, sport, musique, langage et vocabulaire différents, façon de s’habiller également, toutes choses qui mettent en relation la jeunesse du monde entier. Et l’on peut, à partir de ces modes d’expression, déchiffrer ce monde qui est devenu le nôtre : Martinique et Guadeloupe sont, pour ne citer que ces deux îles, de plus en plus urbanisées, et ceci depuis la fin de l’économie de plantation, qui a vu l’exode de la population quittant la campagne pour la ville, acquérant alors de nouvelles manières d’être, de penser et de représenter son univers.
Il sera ici question de musique et danse, du hip-hop vu comme « unificateur culturel » pour les jeunes générations, du dancehall « local » et jamaïcain, du Reggaeton dérivé en partie du Reggae jamaïcain, des sound-systems, qui ont alimenté la scène musicale martiniquaise, des effets de la « Gangsta Music », plus particulièrement, en raison de la proximité avec les États-Unis, sur les jeunes de Guadeloupe. Mais le lecteur sera conduit par ce canal, primordial si l’on veut comprendre le monde contemporain et ne pas se couper d’une jeunesse qui serait enfermée dans une sorte de « no man’s land » social, le lecteur sera conduit vers bien d’autres domaines, invité à réfléchir sur l’évolution de nos villes, sur les violences et la sexualité dont peuvent être empreintes les musiques urbaines, ou sur la façon dont sont représentés les jeunes Antillais dans les clips de ces musiques précitées. Place est faite aussi à la littérature, puisqu’on regardera comment apparaît la ville dans les romans contemporains créolophones et francophones de ces dix dernières années.
L’ouvrage et ses contributeurs présentés, et remerciés pour leur acceptation et pour la pertinence de leurs chapitres, Steve Gadet nous parle de son rôle d’éducateur, puisqu’aussi bien il intervient dans les collèges, dans des classes avec lesquelles il a des échanges qui, de son propre aveu, peuvent être vifs, sur le monde qui est le leur. Et ces échanges sont semblables quel que soit le lieu concerné, tant cette culture urbaine lance des ponts entre les jeunes et les façonne pareillement en leur donnant même parole, mêmes centres d’intérêt, mêmes vêtements et pour finir, même conception de la vie !
Une problématique qui ne laisse personne indifférent, comme l’ont prouvé les questions venues d’un public, certes réduit, mais qui s’est senti interpellé et concerné. Des questions formulées aussi de façon très chaleureuse par Corinne Plantin : pourquoi met-on ce mot « cultures » au pluriel ? Ces cultures urbaines sont-elles seulement alternatives ? Ne concerneraient-elles que les milieux défavorisés ? Qu’en est-il de leur américanisation ? Seraient-elles prédatrices, au point de faire oublier qui l’on est, du fait qu’elles incluent des comportements mimétiques ? La réponse proposée est rassurante : les cultures venues d’ailleurs, sous leur forme brute, sont passées au filtre de la Caraïbe, réadaptées « à la sauce créole », réinterprétées et pour ainsi dire métissées avec les cultures déjà existantes. Un bel exemple est donné par le geste dit « du Scorpion », mains au sol et jambes dressées, pratiqué dans le hip-hop, et qui existe dans la danse martiniquaise traditionnelle. De même, le rap est proche de l’art ancestral de nos conteurs.
Il sera dit enfin que, si les chercheurs de la Caraïbe anglophone ont beaucoup écrit sur ce thème, il reste fort à faire dans la Caraïbe créolophone et francophone. Et que, si ces cultures urbaines ne font pas de discriminations, portées par « l’intello, le gangster, l’athée, le chrétien, le Caribéen, l’Africain, etc », cette particularité est à la fois leur force et leur talon d’Achille. Déclaration qui me reste un peu sibylline, et que j’espère mieux comprendre à la lecture du bel ouvrage en ma possession (et déjà en vente, selon la formule consacrée, dans toutes les bonnes librairies !).
Janine Bailly
Fort-de-France, le 18 octobre 2016
PS : outre les chercheurs que vous trouverez cités dans l’essai, ont été recommandés aussi de vive voix : Jean-Marc Rosier pour son ouvrage de poésie Urbanile ; Mylenn-Zobda Zébina pour ses articles divers ; Ernest Pépin pour Toxic Island ; Alfred Alexandre pour son œuvre, qui autopsie la ville caribéenne.