— Par Elena Lasida, Jean-Luc Brunin, Nicolas Hulot —
Mgr Jean-Luc Brunin, évêque du Havre, président du Conseil Famille et Société (photo), Elena Lasida, économiste, chargée de mission pour Justice et Paix, et Nicolas Hulot, envoyé spécial du Président Hollande pour la protection de la planète, ont présenté « Loué sois-tu » (Laudato Si’) l’Encyclique du Pape François sur l’écologie. A l’approche de la (COP21/CMP11), aussi appelée « Paris 2015 », (Vingt-et-unième Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques de 2015), le texte cherche à impliquer chacun pour l’environnement, « patrimoine de toute l’humanité ».
Mgr Jean-Luc Brunin : « Pour une conversion écologique »
Premier texte rédigé par le Pape François, l’encyclique Laudato Si’ était « attendue », « alors qu’il y a urgence » et que plusieurs rendez-vous internationaux sont programmés en 2015, notamment l’Assemblée générale de l’ONU à New York (Etats-Unis) en septembre et la Conférence mondiale sur le Climat (COP21) à Paris en décembre.
En remettant la parution de document magistériel dans son contexte, Mgr Brunin a souhaité en souligner la portée universelle, car il s’agit d’un « problème crucial à l’humanité ». Ainsi cette encyclique s’inscrit-elle résolument dans la lignée des grands textes de la Pensée sociale de l’Eglise : Rerum Novarum (1891), Pacem in Terris (1963), Populorum progressio (1967) et plus récemment, Caritas in Veritate (2009).
En l’ancrant dans la figure spirituelle, mondialement connue, de Saint François d’Assise (1182-1226), le Pape rappelle que « la préoccupation pour la nature, la justice envers les pauvres, l’engagement pour la société et la paix intérieure » sont inséparables.
S’il salue le travail des scientifiques et n’entend pas se substituer aux politiques, le Pape se situe résolument sur le terrain de l’éthique et du spirituel, explique encore Mgr Brunin. Economie et politique sont invitées à dialoguer pour se mettre au service de la vie humaine.
Le Pape pose une « parole de confiance et d’espérance », persuadé que l’homme peut dépasser les intérêts particuliers pour collaborer en vue du Bien commun et construire la « maison commune » de l’humanité. Il appelle ainsi à la conversion, un défi qui « nous concerne et nous touche tous ».
Les enjeux pour l’Eglise catholique. Pour le chrétien, la relation à l’environnement relève de sa relation à Dieu. Le Pape a déjà insisté pour que la foi ne soit pas cantonnée à la sphère intime (Evangelii Gaudium, N°182).
François, commente Mgr Brunin, invite les chrétiens à prendre au sérieux « une approche holistique de l’écologie, avec le concept d’écologie intégrale ». Pour lui, tout est lié : l’environnement, le souci des plus pauvres, le développement, la justice. « Il faut donc une préoccupation pour l’environnement unie à un amour sincère envers les êtres humains et un engagement constant pour les problèmes de la société » (N°91). Emerge alors la question de la relation entre l’Eglise et la société, suivie de son corollaire, celle de la posture des chrétiens dans la société. Mgr Brunin encourage « un changement de paradigme du dialogue de l’Eglise avec le monde ».
Avec Laudato Si’, les croyants sont invités à une « conversion écologique » (N°217). A la lumière d’une « spiritualité écologique » (N°216), le Pape invite à « revisiter l’être chrétien, l’agir chrétien et le mystère chrétien » (chapitre 6).
En conclusion, Mgr Brunin souligne que la démarche du Pape François pour l’environnement est semblable à celle du Synode sur la famille : « Repartir des situations concrètes – vécues par les familles – pour revisiter ce que l’Eglise a à dire et le message dont elle est porteuse : un message d’espérance, une Bonne Nouvelle ». Pour le monde entier.
Elena Lasida : « L’environnement est une relation »
Le lien. C’est le constat récurrent dans l’Encyclique qu’a voulu mettre en avant d’emblée Elena Lasida parmi les trois pivots identifiés dans le texte : « Le rapport à la terre ne peut pas être conçu indépendamment du rapport aux humains, à Dieu, aux institutions, à la culture, à l’économie… » Invitation est faite de voir l’écologie en interdépendance avec les autres dimensions de la vie humaine et sociale. Le Pape ose une définition « courageuse » estime-t-elle. Il dit que « l’environnement est une relation entre la nature et la société qui l’habite ». Autre point d’ancrage : le don. Le pape s’appuie sur un pilier de la pensée sociale de l’Eglise : la destination universelle des biens. Enfin, thème très présent dans tous ses discours : la fragilité. « La lutte contre la pauvreté aujourd’hui ne peut pas se faire indépendamment de la lutte écologique » explique Elena Lasida.
Le concept d’écologie intégrale permet au Pape de dépasser le clivage entre l’écologie qui protège l’humain et l’écologie qui ne s’intéresse qu’à la nature. « La notion est géniale, s’enthousiasme l’économiste. Elle résonne avec une autre clé de la pensée sociale de l’Eglise : le développement intégral – de tout l’homme et de tous les hommes ». Le deuxième chapitre, intitulé « Evangile de la Création », propose un parcours biblique qui montre comment le rapport à la nature et à l’humain vont ensemble. A partir de plusieurs références bibliques, le Pape déconstruit la thèse selon laquelle l’homme devrait « dominer la terre » en l’instrumentalisant (Genèse 1, 28). Il revisite la théologie de la création à partir du principe premier du don. Déjà évoqué par Mgr Brunin, le dialogue est pour Elena Lasida, une nouveauté intéressante. Toutes les actions concrètes proposées dans le cinquième chapitre sont liées à des dialogues : à l’international, pour les politiques nationales, dans les prises de décisions, entre sciences et religions, etc. « L’action et la prise en compte de la fragilité ne sont pas uniquement une question de redistribution ». L’enjeu est plutôt de voir comment on fait participer l’ensemble des personnes, des créatures, au dialogue.
Enfin, Elena Lasida a relevé « trois cris ». Une maison commune à (re)construire et à célébrer. Le Pape dénonce la « dette écologique » des pays riches envers les pays pauvres. Un plaidoyer pour la justice mais dans un esprit de louange, à la manière de Saint François. Une invitation à la conversion écologique. Il évoque la gratitude pour le don reçu, la dimension communautaire et universelle de la conversion, la créativité et l’enthousiasme. « Cette conversion écologique s’inscrit dans l’espérance ! Ce mal est peut-être la possibilité d’une nouvelle création ». Dernier cri : une « révolution culturelle ». Celle-ci implique quelque chose de « radicalement nouveau » dans les styles de vie, l’éducation et la vie spirituelle. « Il n’inscrit pas la sobriété dans une approche sacrificielle mais comme une expérience libératrice ». Il ne s’agit pas d’une réduction de la consommation mais de dire que dans la sobriété se joue quelque chose de notre liberté. Le pape invite aussi à célébrer la création, « source d’émerveillement ».
Nicolas Hulot : « Vers une nouvelle ère de responsabilité »
« Ce texte donne à l’écologie ses lettres de noblesse », a déclaré Nicolas Hulot, estimant qu’il plaçait l’écologie comme un enjeu majeur, condition de tous les enjeux de solidarité. Car la préoccupation commune des militants écologistes est « l’avenir de l’homme », a-t-il affirmé. Si l’on a pu dire qu’il allait chercher au Vatican « un miracle », il en serait preneur, « tant la crise écologique et anthropologique que nous traversons est complexe et nous invite à des révisions profondes ». Et de citer Victor Hugo : « Le progrès, ce n’est rien d’autre que la révolution faite à l’amiable ». « Je me bats avec d’autres pour que fassions effectivement cette révolution à l’amiable ».
« Le Saint-Père exhorte les responsables politiques, et même temps chacun de nous, au courage et à l’honnêteté » a souligné l’envoyé du Président français qui pense, en substance, que cela ne sera pas inutile pour revisiter un modèle de société, reconstruire un capital de valeurs communes, ne pas fuir la réalité, et ne pas ajourner – « une fois encore » – le changement de paradigme auquel invite l’Encyclique.
Ce texte peut ouvrir « une nouvelle ère de responsabilité et de solidarité, dans le temps et dans l’espace ». Sans chercher à les faire culpabiliser, les pays du Sud appellent les Occidentaux à la responsabilité : « Nous sommes dans une situation écologique que de nombreux hommes, femmes et enfants n’ont pas provoqué mais dont ils subissent les conséquences ».
La COP21 à Paris, a rappelé Nicolas Hulot, sera déterminante si elle aboutit à un accord global et juridiquement contraignant pour les 196 Etats rassemblés. « La famille humaine peut se retrouver dès lors qu’elle passe d’un modèle économique de compétition à un modèle de coopération ».
Pour lui, l’Encyclique est une « contribution inespérée » en amont de ce rendez-vous, une « feuille de route » à mettre en œuvre par les politiques mais aussi un appel à travail introspectif sur les causes qui ont conduit à une « crise systémique », sorte de « rendez-vous critique de l’humanité avec elle-même ».
« Chacun aborde cet enjeu planétaire par le prisme de ses intérêts nationaux ou personnels », constate Nicolas Hulot. Or le Pape invite à « un état d’esprit universel », « une vision commune » et engage sur « un chemin de maturité, deuxième étape de l’histoire humaine, une grande ère de responsabilité ».
Nicolas Hulot a salué l’encouragement du Conseil pontifical Justice et Paix à créer une structure qu’il nomme, lui, « organisation mondiale de l’environnement », pour une gestion commune du Bien commun qu’est l’environnement, et à réformer le modèle économique actuel.
Il a enfin évoqué plusieurs raisons de se réjouir. « Le texte ne nous dit pas que nous sommes dans une impasse mais il nous rappelle que le temps est compté ». De même, il exprime son intérêt pour les prises de parole prochaines du Pape François devant le Congrès américain (24 septembre) et à l’Onu (25 septembre) : « Les mots du Pape résonnent au-delà de la communauté des croyants ».
Laudato si’ est pour Nicolas Hulot, un texte « inspirant, encourageant, d’action, de mobilisation ». Il souligne encore que si « oikos », vient du grec « maison », « La famille humaine est au pied du mur ! »