Avec la dette, nous sommes déjà sur le fil du rasoir : La Guadeloupe et la Martinique à l’heure des choix !

— Par Jean-Marie Nol —

La Cour des comptes a récemment tiré la sonnette d’alarme sur l’état des finances publiques françaises, mettant en avant une dérive des dépenses qui place le pays dans une situation critique. Selon le rapport publié début 2025, la dépense publique a connu une envolée incontrôlée, contribuant largement à l’aggravation du déficit, qui a atteint 6 % du PIB en 2024, bien au-delà des prévisions initiales de 4,4 %. Alors que les gouvernements successifs ont souvent justifié cette situation par une baisse des recettes fiscales, la Cour insiste sur le fait que le véritable problème réside dans l’incapacité de l’État et des collectivités à contenir leurs dépenses.

Pierre Moscovici, premier président de la Cour, n’a pas mâché ses mots en qualifiant la situation d’« hors de contrôle ». Il souligne que la dépense publique a progressé plus vite que la croissance du PIB, un phénomène qui ne peut plus être ignoré. Loin de se limiter aux seules finances de l’État, cette dérive concerne également les collectivités locales, dont les dépenses ont augmenté de manière record en 2024. Entre les investissements pré-électoraux et les hausses des coûts de fonctionnement, les marges de manœuvre se réduisent dangereusement. À cela s’ajoute une explosion des dépenses sociales, en particulier les retraites et les remboursements médicaux, qui pèsent toujours plus lourd sur les comptes publics.

Face à cette situation, la Cour des comptes estime que la France n’a plus d’autre choix que d’engager un effort d’ajustement massif de la dépense publique . En 2024, la dépense publique a augmenté de 1,7 % en volume, soit plus que la croissance du PIB (1,1 %). Et encore, ce dérapage apparaît plus modéré qu’il ne l’est, en raison de l’extinction des dispositifs de crise. « Ce que nous appelons le coeur de la dépense a progressé de 2,7 %. C’est la progression la plus importante des quinze dernières années », a souligné Pierre Moscovici. D’ici 2029, pour ramener le déficit sous la barre des 3 % du PIB comme l’exige l’Union européenne, l’effort budgétaire devra s’élever à 110 milliards d’euros, soit plus du double des prévisions faites il y a seulement deux ans. Si cet ajustement n’est pas réalisé volontairement, la France pourrait se voir imposer des mesures drastiques par ses créanciers, une perspective qui n’est plus seulement théorique mais bel et bien une menace tangible. Pierre Moscovici met en garde contre des « scénarios de l’inacceptable », où la dette publique exploserait jusqu’à atteindre 125 % du PIB en 2029, tandis que la charge de la dette ( les intérêts) se retrouverait à un niveau de 112 milliards d’euros et deviendrait le premier poste budgétaire de l’État, dépassant même l’Éducation nationale.

Dans ce contexte tendu, les conséquences économiques d’une réduction de la dépense publique se feront particulièrement sentir dans les territoires ultramarins, et notamment aux Antilles. La Guadeloupe et la Martinique, déjà fragilisées par leur insularité et leur dépendance économique à des secteurs vulnérables comme le tourisme et l’agriculture, pourraient subir de plein fouet les effets combinés des restrictions budgétaires et du changement climatique. Car au-delà des considérations purement financières, le réchauffement climatique constitue une menace existentielle pour ces territoires, et l’absence d’investissements publics dans l’adaptation aux nouvelles réalités environnementales pourrait avoir des conséquences dramatiques.

Les Antilles françaises sont confrontées à une intensification des événements climatiques extrêmes, tels que les ouragans, qui endommagent gravement les infrastructures et nécessitent des coûts de reconstruction colossaux. Ces dépenses sont en grande partie prises en charge par l’État, mais dans un contexte de rigueur budgétaire, leur financement pourrait devenir de plus en plus incertain. Si les assurances privées augmentent leurs tarifs ou se retirent de certains segments du marché, des pans entiers de l’économie locale pourraient être exposés à des risques insoutenables.

Le tourisme, moteur économique majeur de ces îles, est particulièrement vulnérable aux effets du changement climatique. L’érosion côtière, la montée des eaux et la dégradation des récifs coralliens menacent directement l’attractivité des destinations antillaises. Si l’État réduit son soutien financier à ce secteur, notamment en matière de protection des littoraux et d’aides à la modernisation des infrastructures, la compétitivité touristique des Antilles pourrait s’effondrer, entraînant une chute des recettes et une hausse du chômage. La désaffection des touristes, qu’elle soit due aux risques climatiques ou à une détérioration des services faute de moyens financiers, pèserait lourdement sur l’économie locale.

L’agriculture, autre pilier de l’économie antillaise, risque également de souffrir. La raréfaction des ressources en eau et l’augmentation des températures affectent déjà les rendements agricoles, en particulier pour des cultures emblématiques comme la banane et la canne à sucre. Ces productions bénéficient historiquement de soutiens publics, mais dans un contexte de restrictions budgétaires, ces aides pourraient être revues à la baisse. Une telle évolution mettrait en péril de nombreuses exploitations, accélérant la dépendance alimentaire des îles et aggravant le déficit commercial. Le renchérissement des importations, combiné à une éventuelle hausse des taxes pour compenser la baisse des dépenses publiques, pourrait entraîner une inflation incontrôlée et une perte de pouvoir d’achat pour les habitants.

Les infrastructures portuaires et aéroportuaires, essentielles à l’approvisionnement des Antilles, sont elles aussi menacées. Leur vulnérabilité aux événements climatiques extrêmes implique des besoins croissants en investissements pour leur sécurisation. Si l’État ne peut plus financer ces projets, le risque de ruptures d’approvisionnement et de flambée des prix devient réel. Dans un territoire où la plupart des biens de consommation sont importés, toute perturbation des chaînes logistiques aurait des conséquences immédiates sur la vie quotidienne des habitants.

Enfin, la transition énergétique, pourtant indispensable pour réduire la dépendance aux énergies fossiles et limiter les effets du réchauffement climatique, risque d’être ralentie par les restrictions budgétaires. Les projets de développement des énergies renouvelables nécessitent des investissements massifs que les économies locales ne peuvent pas assumer seules. Or, sans une impulsion forte de l’État, les Antilles continueront de dépendre du pétrole pour leur production d’électricité, avec les coûts que cela implique, tant sur le plan financier qu’environnemental.

L’impact de la réduction de la dépense publique ne se limitera donc pas à des ajustements comptables. Pour les Antilles françaises, il pourrait signifier une remise en cause profonde de leur modèle économique et social. Si les restrictions budgétaires se traduisent par un recul des investissements publics, une baisse du soutien aux secteurs stratégiques et une hausse des charges pour les ménages et les entreprises, alors la Guadeloupe et la Martinique risquent d’entrer dans une spirale de décroissance et d’appauvrissement. L’exode des jeunes vers la métropole, déjà une réalité, pourrait s’accélérer, aggravant le vieillissement de la population et la perte de dynamisme économique.

Face à ces enjeux, les autorités locales et nationales doivent impérativement repenser leur stratégie. Plutôt que de subir les restrictions budgétaires, il serait plus judicieux d’orienter les efforts vers des investissements ciblés capables de renforcer la résilience des Antilles face aux défis climatiques et économiques. Miser sur la transition écologique, la diversification économique et l’innovation pourrait permettre de limiter les effets négatifs des ajustements budgétaires tout en préparant l’avenir. Sans une telle vision à long terme, la réduction des dépenses publiques risque de se transformer en un véritable choc économique et social pour ces territoires déjà fragiles.

Jean-Marie Nol, économiste