— Le n° 333 de « Révolution Socialiste », journal du G.R.S. —
La visio-conférence organisée par Martinique-Palestine Solidarité devant plus de 150 personnes réunies à la mairie de Fort-de-France, ou connectées par internet, reste un moment intense et riche en informations, en analyses en interrogation sur la situation en Palestine, « plaque tournante », dit Élias Sanbar, de la situation mondiale.
Avec la participation à distance d’un collectif guyanais de soutien à la Palestine, de Daniel Boukman, de Marcellin Nadeau, nous avons, trois heures durant, avec une attention extrême, réfléchi sur les dangers et les luttes qui structurent un avenir incertain, pendant qu’un processus génocidaire doublé d’un nettoyage ethnique en puissance se déroule sous nos yeux alors qu’une extrême-droite en embuscade en France, aux États-Unis et ailleurs nous menace de jours sombres.
Pendant toute la réunion, la joie de se retrouver entre consciences militantes éveillées se mêlait au sentiment aigu de l’urgence du moment, de la possibilité de basculement dans un sens ou dans l’autre d’un monde frappé d’instabilité.
L’enregistrement de la conférence permettra de revenir sur la somme d’informations dans ce passionnant exposé à deux voix, et de prolonger, de diffuser, d’approfondir la réflexion menée aussi en réponse aux très nombreuses questions du public.
Pendant ce temps, hélas, les bombes continuent de pleuvoir sur Gaza, Israël poursuit la provocation de ses raids meurtriers sur le Sud-Liban et, enfin, des manifestations de rues commencent à fissurer l’homogénéité meurtrière de la société israélienne depuis le choc du 7 octobre.
Une évidence s’impose : il faut se saisir du matériel filmé de ce moment privilégié pour qu’il circule dans le public populaire comme il le mérite. Aucun des deux orateurs ne prétend détenir la vérité révélée. Tous les deux appellent à la poursuite du débat, à l’examen sans concession des divergences. Seule est exclue l’indifférence aveugle source d’une dégénérescence éthique qui serait mortifère, suicidaire en réalité.
Merci à Edwy Plenel et Élias Sanbar ! Halte au génocide ! Mobilisation sans faille aux côtés du peuple martyr et résistant !
Quand Emmanuel de Reynal parle de « contamination » et de « condamnation »
Dans une tribune consacrée au Chlordécone, Mr de Reynal écrit : « nous ne sommes pas condamnés… ». Il ajoute « nous sommes encore contaminés… ». Mais calmons-nous : il ne parle pas de l’absence de condamnation… des empoisonneurs. Il ne parle pas de la contamination… de la population par le chlordécone. Il parle juste des « idées » fausses qui « nous » contamineraient et « nous » condamneraient à « l’impuissance » et au « découragement ». Le double sens des mots (condamnés, contaminés), et l’emploi d’un « nous » qui englobe empoisonneurs et empoisonnés, donne à son propos une allure ironique que nous voulons croire involontaire.
Ce « nous » généreux lui permet de faire reposer sur les empoisonnés (le vrai NOUS), la responsabilité de l’impuissance face à une situation créée par les empoisonneurs (c’est-à-dire EUX) !
En laissant entendre que « nous » n’aurions d’autre but que de « nous maintenir dans un climat d’impuissance et de découragement », E. de Reynal obéit à la coutume bien ancrée chez les Dominants, d’accuser les Dominés d’une sorte de masochisme ! Nous serions responsables de notre propre impuissance. D’où il découlerait que « le meilleur des combats commence avec soi-même ». E. de Reynal s’inclut-il dans ce « soi-même » ? On peut en douter ! Il a fait, lui, le geste qui sauve ; le test de chlordéconémie, comme si ce geste, nécessaire, était suffisant pour que tout s’arrange avec quelques conseils diététiques !
Il est donc au-dessus de tout soupçon. En réalité, toute la tribune fonctionne comme une tentative assez grossière de dédouaner la partie non nommée de l’affaire, à savoir le lobby des grands planteurs Békés. La preuve en est qu’il ose déformer les propos d’Emmanuel Macron. Ce dernier n’a pas « reconnu solennellement la responsabilité de l’État ». Il a juste reconnu « la part de responsabilité de l’État ». La nuance est de taille. Il n’a visiblement pas voulu nommer expressément l’autre « part » principale de la responsabilité, qui est justement celle du lobby dont de Reynal se fait le défenseur par omission. Et comme pour remercier le chef de l’État de ce très commode « oubli », E. De Reynal tresse des lauriers immérités à la politique de l’État. Il la juge tout à fait suffisante, de peur sans doute qu’on ne vienne demander au lobby un indispensable complément au bénéfice des indigènes.
Mais, à trop vouloir dédouaner, l’auteur tombe dans un certain ridicule. Admettons que la littérature scientifique qui, dès les années 60, proclamait la dangerosité de la molécule chlordécone ait été ignorée des gros bananiers (après tout, les livres de compte les ont toujours plus intéressés que les livres scientifiques !). Mais comment leur accorder les circonstances atténuantes de l’ignorance quand on les voit s’organiser pour contourner l’interdiction décidée aux USA de produire, commercialiser, utiliser ladite molécule ? N’est-ce pas eux qui l’ont faite produire ailleurs à grands frais ? Ces messieurs-dames auraient donc pensé que des produits particulièrement dangereux pour les Étatsuniens ne le seraient pas pour nous ? de Reynal nous prend pour des demeurés. Il continue en passant sous silence toutes les alertes données en France même. Le milieu des grands planteurs béké, qui se vante d’être introduit dans les arcanes du pouvoir jusqu’au plus haut niveau de l’État, serait dans l’ignorance de ce qui circule dans les commissions concernant sa principale spéculation agricole ? Allons bon ! Il aurait fait le siège des ministères, des députés, fait signer par d’autres des pétitions pour la poursuite du commerce du chlordécone sans savoir la malfaisance du produit ? Balivernes ! Il aurait, à la veille de la fin de la dérogation, passé la monstrueuse commande de 1500 tonnes de poison pour la Martinique et la Guadeloupe, sans savoir ce qu’il faisait ?
Emmanuel de Reynal veut « restaurer l’espoir » sans que les pollueurs n’aient strictement rien à payer. Cela ne le choque pas que ces pollueurs en chef ne fassent même pas un geste symbolique en termes de réparation ! Nous lui épargnons la liste de tout ce que ces « citoyens » grands planteurs pourraient, devraient faire, pour assumer leur « part de responsabilité ». La liste de ces actes est largement contenue dans les diverses plateformes du mouvement social, mais E. de Reynal n’en a visiblement cure. Il se contenterait volontiers, du fait que toute la population n’aurait qu’une certaine dose de chlordécone dans le sang et les organes, dès lors que la norme officielle (dont nul n’a jamais démontré le caractère scientifique, d‘où son caractère très variable dans la littérature administrative) ne serait pas dépassée.
Oui, il faut restaurer l’espoir ! Et même les modestes avancées obtenues par la mobilisation de la société peuvent y contribuer. Fondamentalement, la restauration de l’espoir passe par la conquête de la complète vérité, qui n’intéresse guère monsieur de Reynal. Par le triomphe de la justice qui à aucun moment, n’est évoqué comme nécessaire dans son article. Par les réparations pour lesquelles les deux principaux coupables doivent mettre la main à la poche : les pollueurs et l’État qui les a soutirés, qui les soutire toujours et les soutirera encore tant que le peuple n’aura pas dit avec la force nécessaire : ça suffit ! Non à l’impunité ! Réparations véritables ! Mise en place sans délai d’un autre modèle agricole, débarrassé de la toute-puissance d’une poignée, de la priorité donnée au profit, du mépris pour les humains, l’environnement, la vie rurale, la santé et le bien vivre de tous et toutes.
Cela reste notre combat, loin des manœuvres de diversion des beaux esprits.
Pour Matinik Doubout – Gaoulé Kont Chlordécone
Philippe Pierre-Charles Pierre-Philippe Landau