—Par Janine Bailly —
Visiter l’exposition que le musée de l’habitation Clément consacre à JonOne, ce fut pour moi comme entrer par effraction dans un monde autre, subir d’abord l’agression des couleurs mêlées ou du noir marié au blanc, percevoir l’enchevêtrement de lignes courroucées, suivre du regard, sans en connaître la destination, le chemin de flèches dessinées sur la toile ou matérialisées par des structures en trois dimensions faites de bois, acier, aluminium et plexiglass dans l’espace. Puis acceptant l’immersion dans cet étrange univers, il m’est apparu que, si de ces créations se dégageait bien une sorte de révolte dans la remise en question des formes traditionnelles d’expression artistique, il en émanait aussi une forme d’harmonie, de reconstruction du monde, de réorganisation du chaos.
Cependant, aimant les fresques murales sans bien connaître par ailleurs la signification des graffs et tags, j’ai voulu apprendre à décrypter un peu le langage des street artistes, et pour cela ai assisté à la conférence Le street art de New York à Fort-de-France, donnée au musée-même ce dimanche matin par Corinne Plantin, docteure en géographie culturelle, spécialiste en la matière, et qui sait partager avec enthousiasme et clarté ses connaissances et sa passion pour cette culture urbaine, aussi riche et diverse qu’originale.
En préambule, un historique précis nous mène du premier graffiti gravé à Java il y a cinq cent mille ans sur une coquille, jusqu’aux fresques et autres productions que l’on peut découvrir aujourd’hui sur nos murs foyalais, en passant par la naissance de l’art de rue qui prit forme à New York dans les années 60. Voyage dans le temps et voyage dans l’espace, la pratique ayant essaimé depuis sur la planète, nous découvrirons au Brésil l’utilisation des slogans politiques, au Proche-Orient des illustrations du conflit israélo-palestinien, à Tokyo les deux sources d’inspiration que sont la calligraphie et les mangas, en Australie d’audacieux graffs activistes. Un documentaire permettra aussi un tour d’horizon de ce qui se fait à Fort-de-France, commenté par la réalisatrice et par les artistes en personne face à la caméra.
La pratique du tag, du graff, de la fresque a évolué. Et si cette dernière, parce que davantage appréciée par les autorités, peut répondre à une commande officielle, l’art de rue qui permet un marquage identitaire autant qu’une affirmation et un dépassement de soi n’en reste pas moins une forme alternative souvent illégale et engagée, un moyen de revendication et de lutte contre l’oppression. S’il a gagné droit de cité à présent dans les galeries et musées, les artistes de ce monde d’abord fermé et secret acceptant alors de se “démasquer“ — il en fut ainsi de Basquiat —, le street art fut bien à sa naissance une pratique à haut risque, un art lié à l’univers du hip hop, qu’il a précédé mais auquel il s’est intégré, le point commun étant le freestyle. New York vit fleurir des rivalités, s’affronter des gangs qui se disputèrent des territoires arrachés à la ville sans autorisation, et qui souvent privilégièrent, outre les murs, le métro comme surface d’expression. Un support itinérant fort prisé, dont les wagons interpellèrent des millions de gens sur des milliers de kilomètres. New York couverte de graffitis déplut aux autorités, qui dépensèrent beaucoup pour la “nettoyer”, ce qui pourrait surprendre si l’on songe que désormais de par le monde s’organisent des circuits touristiques sur les lieux urbains du street art.
Forte de tout ce qui venait de m’être si bien et si généreusement donné, c’est avec des yeux neufs que je m’en fus relire l’exposition de JonOne, lui-même symbolique de cette évolution, puisqu’il a débuté dans la rue et le métro, lieux qui aujourd’hui lui semblent dangereux, et qu’il est allé du graff clandestin au graff montré en galerie. De lui, j’ai mieux perçu alors le foisonnement de signes, les aubes jaunes et les sombres crépuscules, les forces qui bouillonnent et s’élancent en coulées volcaniques, les insurrections colorées et les plages de soudaine harmonie. Mais encore, en acryliques hiéroglyphes, les lettres, les signatures, les figures ou silhouettes faussement cachées qui lentement se dévoilent. Un chemin qui, s’il ne saurait plus se qualifier de “vandale”, nous guide du plus proche au plus lointain, de cette toile baptisée Né dans la rue, à cette autre nommée Inter Galactic.
Merci à Corinne pour nous avoir dessillé le regard, merci à la fondation Clément pour ouvrir toute l’année ce regard au reste du monde comme aux manifestations de l’art antillais et caribéen.
Janine Bailly, Fort-de-France, le 27 novembre 2017