« Avé l’assent » (suite) : Ecrire est un art de rencontres

  par Marius Gottin

 

 

 

par Marius Gottin

 

 

Ecrire est un art de rencontres, tout à fait le genre d’évidences que rappelait le philosophe Alain (si ma mémoire restitue fidèlement ce que j’ai retenu de mes lectures d’avant mai 68, un petit livre de moins de 200 pages et qui devait s’appeler « Propos sur le bonheur ») et qui me permet d’écrire que passer des feux de la scène à l’abat jour d’une table d’écriture n’est point chose aisée. Même si l’on se dit que les comédiens sont les plus à même de bien écrire sur le théâtre voire même des pièces de théâtre, que les…cuisiniers par exemple. Rien n’est plus faux. Ecrire relève de la magie, de l’esbroufe, de la technique aussi et pour revenir aux cuisiniers, les meilleurs sont souvent des artistes et l’Art…

 

« La trilogie des cœurs plastiques » est un beau texte, une vraie pièce de théâtre, la première écrite par Frédéric Schulz Richard, comédien qui connaît la chanson du théâtre pour l’avoir interprétée avec talent et qu’il nous restitue en la circonstance avec une écriture en abîme où le vrai le dispute au faux à tous moments, avec questions dramatiques, résolutions de conflits et autre climax final, pour nous conter une énième histoire d’amour impossible, amour difficile qu’ils sont quatre à jouer sur la scène du Moulin de Goult, sous la direction savoureuse et tout en finesse de Petra.

 

Pendant presque deux heures qu’on ne voit pas passer, Edith, Jean Erns, Frédéric et le jeune Etienne Achard vont exposer les difficultés de leur relation et leur intimité de cœur avec tendresse, humour et gravité jusqu’à ce final avec nounours nostalgique et voix dans le public que j’ai relié, humour britannique en plus, au « Pierrot le fou » de Godard…mais c’est personnel.

 

Le lendemain mercredi, la troupe se transporte à Saignon que je m’évertue à appeler Saigon, devant une très belle église dont des ouvriers municipaux restaurent le splendide portail en bois ouvré ; la répétition de midi avec Catherine la danseuse a permis de voir qu’avec le vent qui balaie la petite place juste devant, on court un risque à maintenir la présentation des textes de l’écrivain haïtien Georges Castera en plein air comme prévu mais, après consultation de la carte marine (en l’occurrence l’adjoint au maire qui nous fait un splendide cours de météorologie sur le mistral et les pressions atmosphériques) et parce que les techniciens se sont décarcassés comme des bêtes pour tout mettre en place, la représentation est maintenue en l’état. Sauf que forts de notre expérience à Viens, tout le monde arrive bien emmitouflé et des couvertures, faute de vin chaud, sont proposées au public.

 

Il fait effectivement frisquet, Frédéric lit en ouverture un extrait de la préface du livre, prix Carbet de la Caraïbe 2006, « Le trou du souffleur », signée de Jean Durosier Desrivières, celui qui nous a fait découvrir ces textes qui rebondissent en un ping-pong à quatre aussi subtil que tendre, aussi féroce que saignant, qui dit le pays haïtien dans son soleil et dans ses ombres…

 

Le public déguste tout cela avec un bonheur manifeste et, une petite heure après, le temps de saluer et d’avoir une pensée pour Aimé Césaire qui fête ses 94 ans ce jour même en Martinique, tout le monde répond à l’invitation du maire pour un pot aussi sympathique que bruyant sous l’œil d’un Président Chirac encore anormalement encadré et en exercice. Le soir, à la Tuilière, résidence mythique s’il en est, l’équipe des Soirées d’été rassemblée autour d’une grande, immense table délicieusement garnie en succulences, sort son plus grand coup de fourchette, vide les bouteilles, rit, évoque souvenirs et histoires, s’esclaffe encore quand vient la cérémonie des cadeaux et…PFUITTTT !

 

Jeudi, reprise du texte de Serge Bec en salle à Roussillon, il y a même un rideau, les comédiens maîtrisent mieux le texte mais la magie du lieu à Viens et des ajustements scéniques que cela impliquait, colonnes, lisières, église, nous fait presque regretter le si grand froid de cette représentation en extérieur samedi dernier.

 

 

Vendredi soir devant la bibliothèque de Bonnieux, Marius Gottin nous fait une lecture tonique de ses « Chroniques café arrosées rhum » aigres douces qui dressent un portrait peu complaisant de ses compatriotes et de leurs us et coutumes dans la modernité de ce XXIè siècle ; bon moment sous la lune qui attend le soir d’après, samedi, pour être pleine et permettre à Michel de donner la mesure de son extravagance avec une soirée de clôture délicieusement improvisée : les spectateurs sont venus avec différents plats concoctés à déguster ensemble, les comédiens (Jean Erns, Marius, Michel, Frédéric) brodent en forçant le trait sur une trame où l’on vend les Soirées d’été au plus offrant et des musiciens très jeunes assurent avec sérieux une ambiance musicale tenant du jazz rock ou rock jazz ou…sur une ritournelle « nous sommes sans nouvelles de la cigogne » rappelant les messages codés de la Résistance. Un dernier accord, un dernier salut, un dernier verre…« les passagers du vol 512 à destination de Fort de France sont invités à effectuer leurs formalités de police et de douane » j’étais là…

 

 

Ainsi va la douce errance de Michel Richard qui veut continuer à donner à entendre textes et sons de spectacles vivants, sur des esplanades, sur le parvis d’églises, à l’ombre de moulins, loin des regards non émerveillés de bobos en goguette ou de passage mais pour les oreilles et des yeux tendrement naïfs et francs des gens du coin pour qui « le violon sanglote longuement » (s’il est triste) et la parole de Bob( que cette familiarité me soit pardonnée) Desnos « Je chante ce soir non ce que nous devons combattre

 

Mais ce que nous devons défendre… » se marie avec le chant des cigales et le rosé, tant il est vrai aussi qu’il faut que cette aventure perdure avec d’autres moyens, d’autres soutiens, plus d’argent pour persister à jeter d’autres ponts entre humains, loin des cauchemars jusqu’aux rêves.

 

 

PS : l’année prochaine c’est Petra qui assurera la direction des 17è Soirées D’été.

 

 

FdF le 6/07/07