Le Lubéron Sud
Le Luberon est l’une des quatre montagnes sacrées de l’arrière pays d’Avignon ; le Mont Ventoux en est la plus haute, j’ai oublié le nom des deux autres mais je sais que le Luberon étend entre Forcalquier et Cavaillon ses 100 kms de montagnes bleues, comme un lézard et que c’est bien parce que les parisiens n’arrivaient pas à prononcer correctement le « e » neutre de Luberon qu’ils ont à un moment de leur fréquentation rapprochée de la région, eu l’idée d’écrire « Lubéron ».
Le Luberon peut s’enorgueillir de ses cigales, de son vin rosé, de ses maisons de pierre, de ses ocres et de ses poteries qui donnent de délicates petites choses sur le marché d’Apt le samedi matin et puis quelque part vers l’aube de l’été, entre Gargas, Viens, Saignon, Bonnieux, le moulin de Goult, Roussillon pour sa seizième édition, Les Soirées d’été en Luberon.
Imaginez vous tout d’abord un couple qui s’aime d’amour tendre autant qu’ils aiment les mots de…René Char par exemple, cela se passe bien avant la célébration du centenaire de sa naissance, qui a une telle envie de donner à entendre sa poésie, à découvrir son monde qu’ils, lui c’est un fou furieux de théâtre, Michel Richard, elle plus douce mais tout aussi obstinée qu’elle est articulée dans sa démarche, Petra Schulz, décident de créer une manifestation qui fait qu’en 1992, le Théâtre Légendes à venir propose les soirées de Gargas. Ils vont alors rayonner à partir de leur base de la place du château à Gargas (Vaucluse) jusqu’au parc d’Apt, par exemple, pour commencer dont ils utilisent le matériel avec des complicités locales…
Un ami parisien de la SACD/Association Beaumarchais, Paul Tabet, va très vite les soutenir, les appuyer et leur donner à mettre en espace et en lecture des textes qui traînent dans ses tiroirs : petits auteurs deviendront grands, Jean Yves Picq, Bernard Mazéas, Pascal Tedes
Les Soirées d’été sont nées, on est en1998, bordées, lancées et … nous voilà en 2007, Résister.
Cette année, cette forme de théâtre sur la place publique se drape dans la fausse nébuleuse d’une résistance (à qui ? à quoi ?) qui se revendique de Robert Desnos pour « suivre le monde dans sa parole polyphonique sans un quelconque diktat ».
Et ces hurluberlus qui ont débauché pour la circonstance des artistes, comédiens, techniciens venus de Paris, Lyon, Nantes, Bretagne, Normandie, Tarn et Garonne et Martinique, de déclarer leur théâtre « miroir poétique de conflits à ne pas fuir ».
L’affaire commence le mardi 19 juin dernier sur des chapeaux de roue à St Pantaléon, rieuse bourgade ensoleillée d’une classe primaire de dix enfants, où, devant un public du coin, les Augustes imaginés par Michel Richard, déroulent, sur une bien belle esplanade à ciel ouvert, leur délire verbal avec force simagrées et autres salamalecs.
Il y a là, enseignante, assistante sociale, commerçante à Lumières, magasinier dans une grande surface, lycéenne et même la présidente de l’association qui dans un rôle désopilant d’ « interprète » nous met au même niveau que les enfants du premier rang. Un « petit » pot fort sympathique nous attend chez Ghislaine, la toute dernière arrivée à l’atelier et hop, direction le Castelet où sur une petite place devant chez eux, Agnès et Régis ont convié les amis à une bien belle rencontre, mêlant vin rouge, salades variées, lignes de basse, djembé et textes, gens du coin, polonais, martiniquais, algérien et corse dans la douce et poétique cacophonie d’une heureuse tour de Babel…
Retour aux hostilités le lendemain soir sur la place de Gargas, en présence du premier magistrat de la commune, avec un mot d’introduction de Marius Gottin, auteur invité venu de la Martinique, qui, manifestement impressionné par la solennité de l’assistance en perd son latin au point d’oublier le prénom de René Char. Les Augustes, renforcés pour la circonstance par trois petits garçons et une charmante petite fille (ce petit monde travaillant en atelier pendant toute l’année scolaire), tous en nez rouge, enchaînent aussitôt avec un fumeux salmigondis d’histoire de l’équipe de France championne du Monde, de poésie haïtienne et d’histoire haïtienne qui se répète si tellement qu’on se demande si elle ne bégaie pas autant que l’un des personnages…
Le temps d’un regard sur l’inscription au frontispice de la mairie devant la place: « fai fisando a aquelle que ven » (fais confiance à celui qui arrive) et surtout de scruter la météo des étoiles (on annonce de l’orage pour le lendemain Fête de la Musique quand un bal public est prévu en lieu et place, on n’a même pas encore cinquante réservations pour le repas !) et la joyeuse troupe rentre à Lacoste, ferme de l’Avellan où le Festival a ses quartiers.
Le jour d’après, soleil! Les dieux sont avec nous et Denis Charolles débarque avec son big band de quatre musiciens qui jouent comme douze de la clarinette, du saxe ténor, baryton, de l’orgue, de la batterie, de l’arrosoir (si, si !) sur la voix chaude et belle d’une chanteuse de rue au grand cœur qui joue de l’accordéon avec fougue et tendresse et Julien Alexandre et Christelle de nous entraîner sur les musiques de Bobby Lapointe, Boris Vian et autres paso dobles, tangos, rock, cha cha cha, valse, n’en jetez plus, la piste est pleine ; nous aurions aimés être plus nombreux mais il y a là les sincères, incontournables, fondamentaux…Et Mr le maire avant de s’éclipser, en fin de soirée, vit que cela était bien bon et bien joyeux.
Le lendemain ça discute, ca soupèse, ça répète, ça travaille en prévision de la grande première de samedi 23 dont le maire de Viens a accepté du bout des lèvres que l’on donne le splendide texte de Serge Bec à la chapelle de St Férréol. Le public qui s’est déplacé en nombre pour entendre aux alentours de 21 heures cette émouvante déclaration d’amour que les comédiens donnent avec justesse et passion, attend frigorifié (c’est le Calavon qui monte !) que la presque morte ressuscite, applaudit, complimente l’auteur et les comédiens et file vite retrouver la chaude béatitude de ses véhicules pour rentrer. Ca caille, la température affiche 12° au tableau de bord et dehors le petit vent…
Pour ceux qui en douteraient encore malgré le froid, Michel Richard exsude, avec la majesté des humbles, le théâtre dans ce qu’il fait ou donne à faire (j’en avais déjà été convaincu par la mise en espace des « Nocs » deux ans auparavant) tant il illustre cette déclaration de Sarah Kane, « rien qu’un mot sur une page et il y a le théâtre », étant pour ma part intimement convaincu que l’essentiel au théâtre ne passe pas seulement et simplement par l’écriture mais le jeu, une recette de cuisine pouvant être (je sais j’exagère mais c’est exprès !) aussi fabuleusement dramatique qu’un texte de David Mamet ou Yasmina Reza.
Cette année encore marchent avec lui, outre le maire de Gargas et l’indéfectible Jacqueline Ottombre Merlan, la présidente, Petra la cofondatrice inaltérable, Jean Erns le vibrionnant (qui revient après le splendide « Ton beau capitaine » donné en présence de l’auteur, Simone Schwartz Bart, ici même l’année dernière à Gargas), Frédéric Schulz, talent discret mais sûr et Edith Merleau, jeune et déjà prometteuse et Etienne Achard le tout dernier et Roman Nowka le musicien et Catherine Vernerie la danseuse et les techniciens, bosseurs de première, Quentin et Alan. Ajoutez le regard photographique et permanent de Martin Gadreau, le parigot et, dans l’ombre, venue depuis sa Gironde profonde, la pétulante Framboise et vous aurez une petite idée de ce qu’il faut d’énergies et de militantisme et de générosité pour qu’une si petite équipe puisse arriver à un tel résultat…Surtout que côté subventions mais… ne parlons pas de sujets qui peuvent fâcher.
Plus tard, ferme de l’Avellon, la grand table qui avait été dressée sous la lune est tout aussi vite réinstallée dans la grande salle à manger où tous se mettent à chuchoter pour faire passer qui le pain, qui le vin: il est bien une heure du matin, un couple avec enfant dort juste sur nos têtes; j’apprendrai demain que la jolie petite blonde aux yeux bleus a une arrière grand-mère martiniquaise des Anses d’Arlet.
Alors on va dresser un bilan plus tranquille de ces premiers jours demain dimanche peut être, juste le temps d’un petit alcool de prune, cadeau de Gaby, technicien « historique » resté dans sa bonne ville d’Angers, si délicieusement fort maintenant que le rhum est fini.
(à suivre)
Marius Gottin