« Les Francophonies – Des écritures à la scène » : si la crise actuelle compromet la venue de certains spectacles de la prochaine édition – 23 septembre / 3 octobre 2020 –, elle n’atteint en rien le désir de partage et de rencontres de son directeur.
Écoutons le directeur du Festival, Hassane Kassi Kouyaté, dans « Interviews » du site culturel “Sceneweb, l’actualité du spectacle vivant” :
« Avec les Zébrures d’Automne, les Zébrures de Printemps, qui devaient avoir lieu du 20 au 29 mars, constituent « Les Francophonies – Des écritures à la scène », que j’ai rebaptisées ainsi afin de mettre en avant l’ensemble du processus de création. Comme « Les Nouvelles Zébrures » dans le cadre des « Francophonies en Limousin », cette manifestation est centrée sur les nouvelles écritures francophones et leurs auteurs. Mais cela à l’échelle d’un festival, sous des formes diverses et dans différents lieux de la ville. Il est donc hélas impossible de reporter sa première édition, annulée du fait de la crise sanitaire. Le faire au moment des Zébrures d’Automne créerait une confusion quant à la nature du projet global, et causerait une surabondance de propositions. Ce qui va à l’encontre de mon désir de donner du temps pour penser et se retrouver. Les Francophonies ne seront pas une course aux spectacles comme il en existe tant. Les Zébrures de Printemps viendront en leur temps. La Maison des Auteurs, lieu de résidence qui accueille depuis 1988 de nombreux auteurs francophones, poursuit pour cela son travail.
En dialogue avec chacun des artistes dont la venue aux Zébrures d’Automne était prévue bien avant les débuts de l’épidémie, nous nous organisons au mieux. Malgré tout, sur les quinze spectacles au programme, trois risquent de ne pas pouvoir voir le jour à Limoges : la pièce musicale Le Syndrome de la pintade du rappeur burkinabé Smockey, avec cinq musiciens et trois comédiens, la pièce franco-tunisienne La Tablée, de la Compagnie Les Heures Paniques, et La Nuit sera calme, du metteur en scène Moïse Touré, interprétée par Rokia Traoré. « La Saison Africa2020 » était pour les Francophonies l’occasion de se tourner vers la création du continent qui a toujours été au cœur du festival. Le report d’Africa2020 de décembre à juillet 2021 risque d’impacter l’économie du festival – nous n’avons à ce jour aucune nouvelle concernant la prise en charge des spectacles qui devaient être programmés dans le cadre de la Saison initiale –, ce qui ne nous empêchera pas de tenir le festival. Même avec des jauges réduites, si la situation sanitaire l’impose.
Aux Francophonies, je souhaite présenter aussi bien des artistes reconnus que d’autres qui débutent, ou dont la réputation n’a pas encore dépassé leurs frontières. En France, on ne connaît que très peu d’artistes francophones originaires d’ailleurs. Pour l’Afrique, on parle de Dieudonné Niangouna, d’Etienne Minoungou, Aristide Tarnagda et de Hakim Bah, mais les très riches expériences théâtrales menées sur le continent ne parviennent que très peu jusqu’à nous. Je veux que les Francophonies soient un espace de découverte et d’accompagnement de ces écritures. La fragilité doit y avoir sa place. Si les « Francophonies en Limousin » n’avaient pas très tôt accueilli, entre autres, Sony Labou Tansi, Wajdi Mouawad ou encore Souleymane Koly, qui en aurait parlé ici ? Cette année, j’ai demandé à tous les metteurs en scène invités de venir non seulement avec des artistes, mais aussi avec des techniciens peu connus.
Les fidélités sont pour moi aussi importantes que les découvertes — on retrouve au programme des artistes bien connus à Limoges, comme le comédien et metteur en scène Étienne Minoungou, les chorégraphes Auguste Ouédraogo et Bienvenu Bazié, et le marionnettiste chinois Yeung Faï. C’est pourquoi Les Francophonies ont signé une convention avec « Les Récréatrales », festival de théâtre en cours d’immeubles créé par Étienne Minoungou, ainsi qu’avec le festival haïtien « Les Quatre-Chemins », dont le fondateur Guy Régis Jr aurait dû présenter une création cette année. Le Covid est passé par là, et il ne pourra donc être prêt. Mais nous avons déjà accueilli dans le cadre de ce partenariat l’auteure haïtienne Bien-Aimé Gaëlle en résidence à la Maison des auteurs – où elle a dû rester pendant le confinement –, ainsi que deux stagiaires. Ce type de relation a vocation à se multiplier avec d’autres structures et événements. C’est selon moi d’autant plus nécessaire que la situation actuelle fait planer la menace d’un repli sur soi. Plus que jamais, les arts doivent permettre une ouverture aux autres, un échange. Aux Francophonies, la générosité ne sera pas sous masque, quand bien même les visages devraient l’être. »
Comme l’an dernier, le festival s’ouvrira par une création participative. Les chorégraphes Jean-Claude Brumachon et Benjamin Lamarche, installés à Limoges, vont travailler avec plus de 200 de danseurs amateurs de la ville pour préparer ce spectacle. Avec leur compagnie très célèbre dans les années 1990, ils développent un travail de grande qualité en direction des amateurs. Des petites formes, en solo ou en duo, seront aussi présentées dans plusieurs quartiers de Limoges, dans des cafés ou sur des places publiques. De nombreuses discussions avec artistes et intellectuels nous donneront matière à penser ensemble, tandis que « La Nuit Francophone », qui clôt le festival avec une programmation qui s’étend de 18h à 6h du matin, sera un grand moment d’art et de fête. L’an dernier, près de 600 personnes étaient encore présentes à 6h du matin ! Nous allons aussi investir de nouveau la Caserne, dont le vaste espace est propice à l’échange.
Décrétées toutes trois pôles de référence nationale pour la francophonie, sans avoir été concertées, nos trois structures — Francophonies, Cité Internationale des Arts, Chartreuse de Villeneuve-les-Avignon — ont en un an développé un véritable travail commun, notamment en matière de coproduction. Plusieurs des créations qui seront présentées aux Zébrures d’Automne ont été en résidence dans l’un ou l’autre des pôles. Moi-même, je vais en résidence à la Chartreuse pour ma création, « Congo Jazz Band », pour laquelle j’ai commandé un texte à Mohamed Kacimi. Nous échangeons aussi beaucoup suite à nos voyages à l’étranger, afin de partager nos découvertes et de nous’organiser pour soutenir au mieux les artistes.
Je souhaite mettre chaque année en avant un ou plusieurs territoires. L’an prochain, l’Asie et le Moyen-Orient, en 2022 l’Outre-mer et les îles, le Québec, le Canada français, la Suisse romande et la Belgique. Cela nous permettra de mieux approfondir la connaissance de l’Autre, avec le public mais aussi avec l’Éducation nationale, avec qui nous menons un important travail. Cela dans l’idée de défendre la vision de la francophonie qui est la mienne : une francophonie qui n’est pas politique — on ne peut pas seulement tenir compte des pays membres de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), dont l’Algérie pourtant très francophone ne fait pas partie — mais linguistique. D’où qu’ils viennent, je m’intéresse aux artistes chez qui la langue française cohabite avec d’autres langues. Ces mélanges sont riches, pleins de surprises que mon équipe et moi sommes heureux de faire découvrir ».
Écoutons le metteur en scène parler de Mahamed Kacimi, et de « Congo Jazz band », son prochain spectacle
« L’exploitation coloniale du Congo belge a fait de cinq à huit millions de morts. De Léopold II, Roi des Belges obsédé par l’idée d’avoir une colonie jusqu’à l’assassinat de Patrice Lumumba par des policiers belges, après l’Indépendance tant espérée, l’histoire du Congo est au cœur d’une spirale de violences, de guerres et de dictatures qui dure jusqu’à nos jours. C’est près d’un siècle d’une histoire tragique que « Congo Jazz band » retracera, s’appuyant sur la musique congolaise, espace de parole et de révolte, jalonnant et influençant le cours de l’histoire jusqu’à aujourd’hui. Une occasion de comprendre comment et pourquoi ce pays si béni par les dieux est tombé à ce point aux mains des diables.
Enfant d’un pays africain, l’Algérie, fracassé par la colonisation, Mohamed Kacimi rêvait d’habiter ce trou dans la mémoire collective : la colonisation. Lorsque qu’Hassane Kassi Kouyaté lui propose d’écrire une pièce sur le Congo, c’est pour lui l’occasion d’affronter, avec franchise, ce passé qui ne passe pas.
Mohamed Kacimi est auteur, romancier, poète, dramaturge et essayiste. Il est également traducteur. Quelles que soient ses écritures, il s’empare de sujets complexes, parfois douloureux, interrogeant sans relâche les relations humaines, les croyances, les grands récits du monde. Parmi ses dernières écrits, sa pièce « Jours tranquilles à Jérusalem » a été créée en 2019 dans une mise en scène de Jean-Claude Fall. »
Mise en scène Hassane Kouyaté. Assistante à la mise en scène Astrid Mercier. Les Francophonies – Des écritures à la scène à l’Opéra de Limoges, les 24, 25 et 26 septembre.