Aux Bouffes du Nord, on a joué pour défendre la liberté

— Par Fara C. —

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17 novembre, sur la scène des Bouffes du nord, avec Jowee, Montréalais né de parents haïtiens, évoluent ceux qu’il nomme ses « guerriers de la paix », le contrebassiste martiniquais Justwody Cereyon et le batteur camerounais Felix Sabal Lecco. Photo : Éric madeleine

Une salle pleine, malgré tout. Malgré la peur et la peine. Mardi soir, artistes et spectateurs ont partagé un moment unique dans ce théâtre parisien qui a décidé de maintenir son festival. Compte rendu.

Sur le chemin des Bouffes du Nord, résonnaient en moi les vers d’Aragon, de la Diane française : « Mon pays, mon pays a des mares et j’y lis le malheur des temps… » En ce mardi 17 novembre, jour de lancement du 3e festival Worldstock, qui se consacre aux musiques d’ailleurs et honore l’altérité, il y a, sur le trottoir du Théâtre des Bouffes du Nord, autant de monde que d’habitude. On croirait presque qu’il s’agit d’une ­ordinaire soirée de concert. Sauf que la foule est d’un calme singulier. On remarque de nombreux professionnels, qui ont tenu à venir : Pierrette Devineau, directrice du Paris Jazz Festival, Alex Dutilh (émission Open Jazz sur France Musique), André Cayot (de la délégation à la musique au ministère de la Culture), Lilian Goldstein, directeur des musiques actuelles à la Sacem, l’écrivain spécialiste du blues Sébastian Danchin…

Lorsque Jowee Omicil, saxophoniste et compositeur, commence à jouer, en première partie d’Erik Truffaz, la salle est pleine, « hormis quelques spectateurs qui avaient prépayé leur billet et qui ne sont pas venus, mais pas plus que de coutume », précise Étienne Ziller, programmateur de Worldstock.
« Renoncer serait baisser
 les bras devant la terreur »

Aux côtés de Jowee, Montréalais né de parents haïtiens, officient ceux qu’il nomme, en ces circonstances particulières, ses « guerriers de la paix », le contrebassiste martiniquais Justwody Cereyon et le batteur camerounais Felix Sabal Lecco. Puisant à deux disques du leader, Roots & Groove et Naked, le trio nous emporte sur une planète où danse l’ombre de Coltrane. Il livre une interprétation libre de La Marseillaise. Émotion palpable, dans les gradins. Solennelle communion, applaudissements ardents… Tandis que Jowee Omicil souffle ses notes de braise et ses brises de silence, on pense à une autre tragédie, le séisme qu’a affronté l’île de ses ancêtres, Haïti, le 12 janvier 2010. À l’issue du concert, il nous confie : « J’ai ressenti cette même résilience, et une volonté commune d’être ensemble. » « Mon pays, mon pays, dans tes mares pareilles en toute chose aux yeux magnifiques des mourants… », poursuit le poète d’Elsa.

Avant de se produire sur le plateau des Bouffes du Nord, Erik Truffaz, nous a confié : « Si je suis bel et bien là aujourd’hui, au festival World­stock, c’est parce que renoncer reviendrait à baisser les bras devant la terreur. La vie doit continuer. La musique est une arme contre la bêtise humaine, une arme pacifique. »

Le public retient son souffle comme un seul homme, lorsque le trompettiste monte sur scène avec ses deux complices de longue date, le bassiste Marcello Giuliani et le claviériste Benoît Corboz, rejoints il y a peu par le jeune batteur ­Arthur Hnatek. En toute franchise, Truffaz s’adresse à l’auditoire : « Hier, alors que je me rendais à Radio France, je me suis retrouvé seul dans le bus. En chemin, Patricia, notre attachée de presse, est montée à son tour. Nous étions deux, dans le bus. Je me suis demandé si nous allions faire ce concert. D’autant qu’il y avait eu, la veille, un mouvement de panique, place de la République. Après concertation avec les musiciens, les producteurs et l’ensemble de l’équipe, nous avons décidé de jouer. » Erik Truffaz n’a pas achevé sa phrase que des spectateurs crient : « Merci, merci ! » Il continue : « Nous jouons ce soir, parce que défendre la liberté est un acte politique. Nous dédions ce concert à toutes les victimes et à leurs proches. » Éclate une ribambelle de bravos.

Le Quartet égrène, en primeur, les pièces de son splendide album qui sortira en janvier sur le label Parlophone…

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