Aux Bouffes du Nord, la littérature ne se passe pas de musique

— Par Armelle Héliot—

Deux excellents moments à vivre d’urgence. De hauts moments. « Qu’on me donne un ennemi » réunit André Wilms disant des textes d’Heiner Müller sur la musique de Mathieu Bauer et « Tout va bien en Amérique », oratorio en slam et chants sur des textes historiques de Christophe Colomb à Charles Reznikoff et au-delà avec, entre autres, Irène Jacob, merveilleuse interprète.

Pas vraiment le temps de parler comme ils le mériteraient de ces deux spectacles. Pas le temps mais urgence à dire : dépêchez-vous !

Poésie noire, férocité, sarcasmes, lucidité, puissance électrique dans Qu’on me donne un ennemi avec un aède magnifique, le grand André Wilms, jeune chanteur rock, diseur enflammé de poésie, rigoureux interprète d’Heiner Müller.

Avec lui, orchestrateur à la batterie, Mathieu Bauer et Lazare Boghossian au sampler, à la basse, Sylvain Cartigny, guitare, basse.

Une maîtrise excellente du son (Dominique Bataille), des lumières (Jean-Marc Skatchko), de la vidéo avec des projections qui soulignent sans jamais paraphraser (Stéphane Lavoix) et un régisseur général précis (Stan Valette).

On a déjà applaudi André Wilms dans des exercices aussi époustouflants, auprès de très grands artistes de la musique et de la poésie.

Ici, de l’allemand au français (il souligne combien est difficile la langue allemande d’Heiner Müller), il porte le texte avec une liberté réglée absolument enthousiasmante.

La férocité de Müller reprenant les grandes figures de la mythologie classique est réjouissante : la malheureuse et terrible histoire de Prométhée et Ajax, poème composé cinq ans après la chute du mur, sont saisissants.

Les musiciens sont excellents, mais celui qui transmet les sensations, les idées, le choc des sentiments et des époques, la langue, l’encre corrosive de Müller, c’est André Wilms, proférateur ultra-sensible, musicien parmi les musiciens.

Musicienne parmi les musiciens, dans un registre complètement différent, mais dans un projet cohérent, Irène Jacob est l’une des interprètes de Tout va bien en Amérique.

Ah ! Elle est merveilleuse. Elle entre en scène la première, jean, blouson, elle dit un texte que l’on reconnaît bientôt, elle dit un texte qu’elle rythme comme une musique, comme une parole d’aujourd’hui même, un moment extraordinaire qui suffirait à justifier tout le spectacle et que l’on « bisserait » volontiers ! C’est un texte de…Christophe Colomb, célèbre, sa Lettrre sur la découverte du Nouveau Monde.

 Très bien mis en scène, ce moment, très bien dirigé. David Lescot excelle dans ce registre qui mêle musique et mots, mais dans ce spectacle, il est particulièrement inspiré.

le 28 mars 2013 6h24

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