— Par Jean-Michel Hauteville —
REPORTAGE MARTINIQUE – correspondance Deux ans et demi après des pluies diluviennes qui ont noyé le nord montagneux et boisé de la Martinique, les stigmates des crues et des éboulements ne sont plus guère visibles. Ces intempéries survenues les 9 et 10 novembre 2020 avaient fait plus de 400 sinistrés. Dans le quartier Saint-Jacques, secteur résidentiel de Sainte-Marie, une des six communes touchées, des lignes jaunes sur la chaussée marquent l’endroit où une tranchée béante s’était ouverte sur la Nationale 1, qui longe ce littoral. Cette artère vitale pour le quart nord-est de l’île n’est pas la seule à avoir été coupée : à cet endroit, les mouvements du sol avaient emporté tout le flanc du « morne » (la colline), jusqu’à la mer, en contrebas. A la sortie d’un virage, une grande villa de deux étages surplombe la nationale. Son marquage jaune est envahi par les fougères, les lianes et des buissons d’allamandas et de bougainvilliers anarchiques. La végétation laisse entrevoir des murs noircis, lézardés et une toiture éventrée.« C’était une belle maison. Elle a été bien abîmée par les intempéries » , constate Rodrigue Boulard, le gérant du garage situé juste en face. « Il paraît que les propriétaires n’étaient pas assurés. En tout cas, ils n’ont jamais pu reconstruire. »
Sans certitude sur la raison pour laquelle la demeure est restée à l’abandon, le jeune chef d’entreprise voit probablement juste. Un grand nombre de maisons endommagées par ces intempéries n’étaient pas couvertes : « Quatre cent quarante sinistrés se sont déclarés sur les six communes, dont 230 étaient effectivement assurés », détaillait la préfecture de la Martinique dans un communiqué publié en novembre 2021, un an après la catastrophe. A deux rues de la villa, Jean-Pierre Cossou a été chanceux : sa maison, légèrement surélevée, n’a pas été inondée. Ce retraité de 66 ans a beaucoup à perdre en cas de sinistre. Il n’a pas souscrit à une assurance. Et même après les dégâts causés dans le voisinage, il ne compte toujours pas assurer son logement.« Je n’y ai jamais prêté attention » , explique-t-il, invoquant ses « amis qui étaient assurés ont tout perdu » , parmi les sinistrés de 2020. Résigné, M. Cossou se dit « obligé d’accepter ce risque » . Construit, il y a « une quarantaine d’années » avec l’aide de quelques camarades, l’humble logis est loin d’être aussi coquet que les maisons basses, avec leur jardin, édifiées sur les champs de canne de l’ancienne sucrerie Fonds-Saint-Jacques. « On appelle ça une “maison folle”. Elle a été faite sans plans, » finit-il par confier. Donc, on ne pouvait pas l’assurer. »
« Ce sont des voleurs » …