— Par Jean-Marie Nol, économiste —
Avec la crise sociétale actuelle , nous vivons la fin de deux longs cycles historiques des évolutions de la société Antillaise . La situation en Guadeloupe se stabilise à peine et empire en Martinique que le gouvernements préparent déjà la sortie de crise. Comment ?
Non sans crainte d’abord, car rien n’est acquis : si l’économie est en chute libre avec de nombreux licenciements à la clé comme cela est déjà prévisible , la sortie de crise ne dépendra pas pour beaucoup de mesures ponctuelles, mais d’une solution d’ordre purement politique.
Le contexte d’apaisement de la situation est encore très incertain et beaucoup dépend de paramètres que personne ne maîtrise, comme sur la question de l’obligation vaccinale. Mais c’est précisément dans les périodes de choc d’immédiat après-crise que l’histoire s’accélère, que les bifurcations sont engagées ou pas, que les décisions prises conditionnent pour une longue période la construction du futur. L’expérience toute récente du blocage de l’économie par les syndicalistes et autres activistes, est source de prises de conscience et de réflexions de plus long terme sur lesquelles les élus Antillais n’ont aucune prise.
Derrière l’autonomie prônée par les élus , c’est l’indépendance qui se profile en filigrane et qui n’est plus un tabou pour le gouvernement français.
En effet que penser des propos tenus hier par Sébastien Lecornu ministre des Outre-mer ?
Le gouvernement est « prêt à parler » de l’autonomie de la Guadeloupe, a déclaré vendredi le ministre des Outre-Mer, Sébastien Lecornu. « Certains élus ont posé la question, en creux, de l’autonomie (de la Guadeloupe), par rapport à son statut actuel de département ou région d’Outre-mer », a dit Sébastien Lecornu dans une allocution mise en ligne vendredi soir. Et de rajouter qu’il n’y a « pas de mauvais débat » (comprendre en creux sur l’indépendance, car le débat sur l’autonomie a déjà eu lieu à deux reprises aux Antilles ) du moment qu’ils « servent à résoudre les vrais problèmes du quotidien des Guadeloupéennes et des Guadeloupéens », . Ne soyons pas angélique, le changement statutaire est un mal nécessaire inévitable dans le contexte actuel de malaise identitaire, de violence, de pillages de commerces, et blocages par des barrages en Martinique et en Guadeloupe. A écouter ce matin les chaînes info en France, force est de constater qu’il y a un amalgame entre autonomie et indépendance. Il s’agit de préparer les esprits à l’indépendance à terme de la Guadeloupe et la Martinique.
Je répète que le débat sur l’autonomie a déjà eu lieu aux Antilles, donc pourquoi cette confusion avec l’indépendance et ces déclarations indignées sur les propos de Lecornu de la part de la classe politique française ?
Que ne serait il pas reprocher à l’Etat par l’écrasante majorité des guadeloupéens et martiniquais de ne rien faire pour une sortie politique de la crise.
Le malaise est identitaire et la solution de sortie de crise est maintenant d’ordre strictement politique.
Force est de constater que la revendication de la souveraineté de la Guadeloupe et de la Martinique remonte à longtemps et le malaise identitaire ne disparaîtra qu’avec un statut de souveraineté pleine et entière. Mais l’indépendance n’est pas pour demain, alors entre-temps place à l’autonomie. il faudra subir et prendre son mal en patience.
L’État français demeure le maître de l’échiquier.
Et il serait vain d’imaginer pour le gouvernement des étapes intermédiaires comme l’autonomie, car le choix réside selon nous en fin de compte dans le statut quo de départementalisation aménagé par la loi 4DS ou l’indépendance. L’autonomie ne réglera aucun des problèmes actuels de la Martinique et de la Guadeloupe et cela le gouvernement français le subodore déjà de par l’expérience de la nouvelle Calédonie voire même de Saint Martin . Nous n’avons pas la même histoire ni le même peuplement que la Polynésie. la nouvelle Calédonie, ou encore de Saint Martin . Dans l’esprit de Emmanuel Macron l’autonomie ce sera un marché de dupes pour l’Etat français préjudiciable à ses intérêts de long terme. .C’est bien Emmanuel Macron qui a déclaré lors d’un voyage en Algérie que « la colonisation est un crime contre l’humanité » . Ce que les Martiniquais et Guadeloupéens doivent enfin finir par comprendre, c’est que Emmanuel Macron n’est pas un affectif. C’est un homme froid voire cynique à l’image de François Mitterrand , un financier et qui a une approche purement comptable des problèmes de la France . Le président de la République Emmanuel Macron n’est rien moins qu’un florentin. Emmanuel Macron fait partie de la nouvelle jeune génération d’hommes politiques français qui n’ont aucune attache sentimentale à l’outre-mer. Au contraire ils considèrent tous que les Outre-mer coûtent trop cher à la France et ne rapportent encore rien en termes de richesses à la France, mais toujours au final une cascade d’ennuis. Si les choses devaient tourner mal, Emmanuel Macron agira sans aucun état d’âme pour prendre des décisions radicales quant à l’avenir statutaire des Antilles.
Pour le gouvernement français, le contexte historique et culturel de la départementalisation n’est plus porteur de développement économique et de stabilité politique. Pour lui, l’autonomie de la Martinique et de la Guadeloupe ne sera pas à terme un terreau favorable à un maintien des intérêts stratégiques de la France . Nos élus locaux n’ont toujours pas compris que l’autonomie est devenu un concept obsolète avec l’émergence de la quatrième révolution industrielle axée sur le numérique, la robotisation, la digitalisation de l’administration, la démondialisation,le nouveau protectionnisme en économie, l’intelligence artificielle, le télé-travail etc… Pour le gouvernement qui a parfaitement intégré cette nouvelle donne, la solution finale pour la Martinique et la Guadeloupe réside à terme dans l’indépendance nationale en association avec la France comme pour la nouvelle Calédonie.
L’indépendance nationale de la Guadeloupe et surtout en premier lieu de la Martinique est inéluctable dans l’esprit des dirigeants de l’Etat français.
Oui, la notion d’indépendance existe bien en germe, dans l’esprit des dirigeants syndicalistes, mais de l’avis des élus il faut pas se tromper de calendrier et brûler les étapes, sinon la Guadeloupe et la Martinique seraient ingouvernables à l’image d’Haïti voire même pire. Le hic c’est que nous avons affaire à une ambivalence culturelle de la société Antillaise . Alors là, j’estime que les Antillais sont frappés d’une double impossibilité : « L’impossible retour au passé et l’impossible présence à ce temps vécu du progrès. Dans son Portrait du colonisé, Albert Memmi parle lui de » douloureux décalage avec soi ».
Dans ces conditions, la nature du désordre sociétal actuel dont il est question mérite qu’on s’y attarde : Il s’agit de toute évidence d’une tradition contestataire, réactive et défensive sur le plan identitaire , une tradition qui ne s’exerce qu’en situation de crise , une espèce de sens pratique dans l’acception du sociologue Bourdieu. D’où la question suivante : ces velléités séparatistes et traditionalistes intermittentes et par certains aspects erratiques, activées à l’occasion de l’adversité le plus souvent, peut-on les considérer au même titre qu’une politique de rupture axée sur la tradition établie, spontanée et allant de soi, structurée et structurante, revendiquée et au besoin défendue ? Autrement dit, une ambivalence politique, culturelle et d’ordre identitaire dont l’ordre des termes est aussi variable qu’instable est-elle crédible ? La deuxième question qui complète la première est celle d’identifier le registre existentiel ou les valeurs modernes sont activées et celui où se sont plutôt les valeurs traditionnelles qui sont convoquées. Formulée autrement, la question serait celle d’identifier les valeurs auxquelles le guadeloupéen et le martiniquais recourt s’agissant de ses intérêts vitaux.
En conséquence de quoi pour la Martinique et la Guadeloupe, le risque réside désormais dans un amalgame du peuple entre autonomie et indépendance, et donc pour bon nombre de martiniquais et guadeloupéens, dans un désordre sociétal porteur d’une rupture des liens avec la France.
Mais là c’est aussi faire fi du proverbe créole suivant : « Pis pa ka rété assi chyen mô. »… A méditer !
Jean-Marie Nol, économiste