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Mémoires des esclavages et voltige des langues

— Par Edouard Glissant —

A l’heure où la France célèbre pour la deuxième fois, le 10 mai, les  » Mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions « , l’écrivain Edouard Glissant, chargé par le premier ministre, Dominique de Villepin, d’ » une mission de préfiguration d’un centre national consacré à la traite, à l’esclavage et à leurs abolitions « , publie Mémoire des esclavages, chez Gallimard. Un ouvrage dans lequel il présente le projet qui lui a été confié, et repère les traces de cette histoire douloureuse.  » Le Monde des livres  » en publie un extrait.

La même douleur de l’arrachement, et la même totale spoliation. L’Africain déporté est dépouillé de ses langues, de ses dieux, de ses outils, de ses instruments quotidiens, de son savoir, de sa mesure du temps, de son imaginaire des paysages, tout cela s’est englouti et a été digéré dans le ventre du bateau négrier et, par opposition au migrant armé venu du nord-ouest de l’Europe, et qui entreprend tout de suite de forger les instruments de sa domination (qui sera le capitalisme industriel puis technologique et financier), ou ensuite au migrant domestique ou familial, venu d’Italie ou de Chine ou de la péninsule Ibérique, d’Ecosse ou d’Irlande, les régions pauvres des îles Britanniques, avec ses poêles et ses fourneaux, les portraits de tout son clan, et qui fait commerce (c’est le capitalisme marchand, soumis au premier), l’Africain est le migrant nu, et qui n’a plus même à nourrir l’espoir d’un retour au pays natal, sauf dans les obstinations suicidaires des Ibos.

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« Départ » : excellent José Exelis !

par Selim Lander —

au théâtre de Fort-de-France

« Je t’ouvrirai les ailes battantes de

mon cœur impudique », S. Martelly.

José Exelis et la compagnie « les Enfants de la mer » ont présenté les 20 et 21 avril un spectacle d’une rare qualité dans un théâtre hélas presque vide. Il est permis d’espérer que l’absence des amateurs habituels s’explique par la concurrence, ces soirs-là, d’autres manifestations culturelles apparemment mieux achalandées. On sait déjà que le public martiniquais n’est pas suffisamment nombreux pour que les organisateurs de spectacle puissent se faire concurrence. Quoi qu’il en soit, il est dommage que DÉPART n’ait pas été vu par davantage de spectateurs, car les occasions de découvrir un théâtre à la fois non conventionnel et réussi ne sont pas si fréquentes.

On sait la fonction du théâtre : divertir, nous sortir de nous-même, de nos difficultés quotidiennes en nous donnant à rire (la comédie) ou à trembler (la tragédie) au spectacle des ridicules ou des malheurs de personnages mythiques ou inventés. Mais, bien sûr, la condition humaine étant ce qu’elle est, les sentiments joués par les acteurs nous renvoient finalement quelque part à nous-même… Pour réussir son entreprise paradoxale, le théâtre joue normalement sur l’intrigue qui fait le lien entre les divers personnages.

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« Wopso » et « Départs » : les audaces maîtrisées de José Exélis

— Par Roland Sabra —

José Exélis est un homme d’aventure. Aventure littéraire et théâtrale il va de soi. José Exélis aime les femmes. La féminité très exactement. Il manifeste un profond respect et une sourde admiration pour le genre féminin, dont il pense à juste titre qu’il est capable d’ intelligence et de subtilité bien supérieures à celles des hommes, et bien évidemment tout cela perle dans son travail de metteur en scène. Dans « Les enfants de la mer », pièce éponyme de sa compagnie, c’est peu dire qu »il aime les femmes, elles sont sept sur scène, à nous donner une leçon de courage, de ténacité, d’entraide et d’espoir au coeur sombre des dictatures dans une forme théâtrale de déconstruction des genres. Quand il se confronte à l’Othello de Shakespeare il cristallise la haine et l’envie sur le seul Iago pour en faire le parangon des humaines passions et nous tient en haleine en convoquant sur scène, sur les épaules d’un seul, la troupe entière du Théâtre du Globe.

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Littérature, identité et nationalisme

bjorn_larssonRéaction au manifeste : Björn Larsson

Littérature, identité et nationalisme

Le lundi 2 avril 2007

Par Björn Larsson, écrivain et professeur de français à l’université de Lund en Suède.

 

Chaque année, vers le mois d’octobre, la tension monte dans les ambassades étrangères à Stockholm et en particulier dans les services culturels. Quel est le pays qui cette fois-ci aura la gloire de recevoir le prix Nobel de littérature ? Ceux qui croient avoir un candidat en lice achètent déjà du Champagne et préparent les listes d’invitations pour les réceptions à venir. Il faut dire que certains pays auront dépensé beaucoup d’énergie et d’argent à essayer d’influencer — sans aucun doute inutilement — le choix de l’Académie. Peu d’écrivains refusent d’ailleurs une invitation à venir en Suède donner des conférences, frais payés… par leur propre pays.

Une fois le lauréat annoncé par le secrétaire permanent de l’Académie suédoise, les cris d’enthousiasme et de déception s’étalent dans les médias. Certains se plaignent – les Français souvent plus que d’autres – que l’Académie a manqué de jugement en négligeant tel écrivain national. D’autres protestent parce que celui ou celle – plus rarement – qui a été choisi n’est pas le meilleur écrivain du pays, c’est-à-dire que l’écrivain en question n’est pas le meilleur représentant de la littérature nationale.

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« Oh les beaux jours! » : une leçon de théâtre

— Par Roland Sabra —

 La salle Frantz Fanon accueillait le 23 mars deux personnalités d’exception pour un spectacle à la hauteur de cette réputation. Frederick Wiseman mettait en scène « Oh les beaux jours » de Samuel Beckett et donnait la réplique à Catherine Samie dans le rôle titre.

Frederick Wiseman est un documentariste majeur de notre époque. Né en 1930 ce juriste de formation enseigne d’abord à l’Université de Boston et très vite passionné par les enquêtes de terrain il va, caméra à l’épaule, « filmographier », ausculter en sociologue-cinéaste, la société étasunienne, des cours de justice aux quartiers de Harlem, en passant par un camp d’entraînement d’appelés pour le Vietnam, sans oublier,  la vie quotidienne de la police de Kensas City ni Le fonctionnement d’un grand magasin de luxe à Houston ni même Le logement social. Son coup d’éclat initial date de 1967 quand sort en salle Titicut Folies qui jette un regard d’une acuité terrible sur un hôpital pour aliénés criminels. En 1996 il réalise pour le Français « La Comédie-Française ou L’Amour joué ».

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 » Moi, chien créole  » ou vociférer n’est pas jouer

— Par Roland Sabra —

 On ne met pas en scène n’importe comment n’importe quel texte. Il doit exister un rapport de contiguïté, de connivence entre la lecture du texte et la façon de montrer ce que l’on a retenu de la lecture de ce texte. Par exemple il est difficile de faire du baroque avec un texte de Marguerite Duras. On peut le faire mais ce n’est en aucun cas une obligation. Il est des textes dans les Antilles symptomatiques de ce que Jacques André dans « L’inceste focal » repère comme une écriture emphatique liée à un investissement narcissique de la langue dominante, la langue du maître. . L’auteur caresse longtemps les mots avant d’en livrer l’éclat. Plaisir de l’envolée qui fait retour sur aile etc.

 Le texte, Moi, Chien créole, de Bernard Lagier en est un bon exemple (« Il clamait en français mon bon Monsieur Lacolas!! Quelle leçon pour moi qui rêve de pouvoir déclamer en français un jour peut être… ») avec quelques facilités inhérentes au genre. Le mutisme n’est pas simplement le mutisme c’est un mutisme mortel par exemple.

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Le tramway d’antan n’est plus!

— Par Roland Sabra —

En 1931, à l’Université de Columbia un jeune étudiant de tout juste vingt ans découvre dans l’œuvre théâtrale d’ August Strinberg un écho à ses propres obsessions de folie, tentation de l’alcoolisme, rejet des conventions sociales fascination pour un mysticisme visionnaire et ésotérique. Il sera écrivain lui aussi. Il décrira les passions d’un monde oppressant dans lequel les hommes, les femmes se désirent se déchirent, se haïssent parfois à leur insu dans des atmosphères élégantes et vulgaires entre raffinement et sauvagerie. Il dira en utilisant l’écriture comme sa meilleure thérapie la violence des sentiments balancés entre hétérosexualité et homosexualité. Sa fascination à l’égard de Stringberg auquel il empruntera les thèmes de la tyrannie mortifère du passé, le poids des tares familiales cachées, la duplicité de la morale familiale et celui de la nécessité de faire tomber les masques afin que surgisse dans un dévoilement tragique la vérité des êtres, ira jusqu’à l’ attribution, dans un de ses derniers textes du prénom le l’auteur suédois à son alter ego de fiction et dramaturgique. Mais bien avant cela il s’inspirera de Mademoiselle Julie pour camper le personnage de Blanche dans « Un tramway nommé désir ».

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« Moi, chien créole » : une tragédie d’aujourd’hui

— par Corinne Vasson

« N’est- ce pas monstrueux que ce comédien, ici, dans une pure fiction, dans le rêve d’une passion, puisse si bien soumettre son âme à sa propre pensée, que tout son visage s enflamme sous cette influence, qu’il a les larmes aux yeux, l’effarement dans les traits, la voix brisée, et toute sa personne en harmonie de formes avec son idée ? » (Hamlet, Shakespeare)

Sur le cercle de l’agora, il est là, le Chien créole, tout maigre, torturé par la révélation qui se presse pour sortir de son antre, pour déchirer sa carapace et ses entrailles. Depuis son accrochage involontaire à une dame-jeanne sauveresse, alors que tous les siens disparaissaient dans les eaux, il erre dans la vie et observe les hommes se débattre avec leur animalité en devenir d’Humanité. Cassandre des Caraïbes, le héros de Bernard Lagier, donne tour à tour parole à Titurpis, pauvre âme noyée dans le miel d’amour de Famedeline, et Lacolas, qui,, tentait en vain de se mettre à la Ré/ » (dans le droit chemin). Ces deux-là nourrissent sa passion, son chemin de croix sur la route des hommes.

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« Vénus et Adam » de Alain Foix

Roman inclassable et iconoclaste

 Alain Foix, guadeloupéen, est écrivain, docteur en philosophie, directeur artistique, documentariste et consultant. Journaliste et critique de spectacles, il est également auteur d’un grand nombre d’articles et de courts essais, notamment sur l’art et le spectacle, directeur artistique et d’établissements artistiques et culturels il a notamment dirigé la scène nationale de la Guadeloupe de 1988 à 1991. Il s’est vu décerné le Premier prix Beaumarchais/ Etc_Caraïbe d’écriture théâtrale de la Caraïbe pour Vénus et Adam (2005) et Prix de la meilleure émission créole au Festival Vues d’Afrique de Montréal (1989) etc. Fort-de-France a eu la chance d’être le lieu l’an dernier  d’une création mondiale d’Antoine Bourseiller : la mise en scène de Pas de prison pour le vent une pièce écrite par Alain Foix. Il publie aujourd’hui aux Editions Galaade, Vénus et Adam.

 

 

 

Résumé du livre

21 septembre 2001. Alors que la planète regarde les ruines fumantes des Twin Towers, le corps d’un enfant noir sans tête, ni bras, ni jambes, petit tronc recouvert d’un short orange, est retrouvé dans la Tamise. Dépêchés sur place, l’inspecteur Ling, expérimenté et méthodique, est Jean Windeman, journaliste se rêvant écrivain, tentent de lever l’énigme de l’origine du petit garçon baptisé Adam par Scotland Yard.

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En Guyane, l’or mieux protégé que les Indiens

Environnement. Le parc national, nouvellement créé, privilégie les orpailleurs aux populations.


Par Eliane Patriarca

Après quinze ans de gestation, le Parc de Guyane va voir le jour : le décret de création a été publié au Journal officiel le 28 février. Grand comme la Belgique, avec 3,39 millions d’hectares, le huitième parc national français s’étend sur l’un des derniers massifs tropicaux forestiers encore relativement intacts. Sa création devrait être accueillie avec enthousiasme. Pourtant, c’est une avalanche de réactions négatives ­ de la consternation à la colère ­ qu’elle suscite. Motif : le parc, dont la mission est de protéger l’environnement, mais aussi les populations vivant dans la forêt guyanaise, a «oublié» les Amérindiens du Haut-Maroni. Au profit du lobby des orpailleurs.

Le Parc de Guyane se compose, selon la loi de 2006 qui a réformé le statut des parcs nationaux, de deux types d’espaces : la «zone coeur», très protégée, où ne sont autorisées que les activités de subsistance des populations autochtones (chasse, pêche, cueillette) ; et la zone de «libre adhésion», où sont autorisées les activités industrielles, et donc la recherche d’or.

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L’esprit du terrorisme, par Jean Baudrillard

 

Des événement mondiaux, nous en avions eu, de la mort de Diana au Mondial de football – ou des événements violents et réels, de guerres en génocides. Mais d’événement symbolique d’envergure mondiale, c’est-à-dire non seulement de diffusion mondiale, mais qui mette en échec la mondialisation elle-même, aucun. Tout au long de cette stagnation des années 1990, c’était la  » grève des événements «  (selon le mot de l’écrivain argentin Macedonio Fernandez). Eh bien, la grève est terminée. Les événements ont cessé de faire grève. Nous avons même affaire, avec les attentats de New York et du World Trade Center, à l’événement absolu, la  » mère «  des événements, à l’événement pur qui concentre en lui tous les événements qui n’ont jamais eu lieu.

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« Quadrille » : « Le bonheur à deux, ça dure le temps de compter jusqu’à trois. » Sacha Guitry

— Par Roland Sabra —

Le théâtre aussi connaît des effets de mode. Ainsi Sacha Guitry, mort en 1957 est resté injouable pendant quelques décennies. Injouable parce que lui collaient à la peau les étiquettes de théâtre de boulevard et d’auteur misogyne. La misogynie est avérée comme en témoignent les abondantes citations et autres aphorismes de l’auteur présentant les femmes sous des jours éclairés de condescendance, de rancoeur, si ce n’est de mépris. Quant à la réputation de théâtre de boulevard il faut se souvenir que celui-ci n’existait que par différenciation d’avec le théâtre « officiel » celui de la Comédie française par exemple, ce théâtre qui se réservait les « grands » textes ou tout au moins ceux dont la facture était d’un classicisme de bon aloi. Théâtre des boutiquiers, des tenanciers d’échoppes, officines et autres bazars, au petit capital économique et démunis du capital culturel permettant d’accéder aux oeuvres de renom ce divertissement abordait les thèmes de leurs conversations préférées, l’argent, les bourgeois, les parvenus, les histoires de maris et de femmes emmêlés de maîtresses et amants. Théâtre privé de peu de ressources face au théâtre public subventionné il lui fallu trouver les moyens de survivre en explorant les berges de la facilité, du conservatisme esthétique, moral et politique, en flattant le public.

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Quelle mémoire de l’esclavage ?

esprit

(Table ronde)

MAXIMIN Daniel, POCRAIN Stéphane et TAUBIRA Christiane

Pourquoi faire une loi instituant une commémoration de l’esclavage re­connu comme crime contre l’humanité ? En revenant sur l’origine de ce projet de loi, cette discussion contradictoire permet de comprendre les tenants et les aboutissants des demandes adressées au législateur.

ESPRIT – La loi Taubira, qui définit l’esclavage comme crime contre l’humanité, a été adoptée par l’Assemblée nationale en 2001. Cinq ans après, quel bilan dressez-vous de l’adoption de cette loi ?

Christiane TAUBIRA – La loi est le fruit d’un travail laborieux mené pendant deux années et demie. Le projet de loi fut déposé en 1998 et la première lecture à l’Assemblée eut lieu en février 1999. Le projet a d’abord soulevé l’enthousiasme, surtout chez les responsables socialistes. Mais très vite, la perspective des conséquences possibles de la loi a gelé cet enthousiasme. Certains faiseurs d’opinion au sein du parti socialiste ont souhaité que le texte proposé soit réduit à un article déclaratoire, dans la lignée de ce qui fut fait pour le génocide arménien. L’article sur la réparation, qui visait à faire évaluer le préjudice et proposer des politiques publiques de réparation, a notamment posé problème.

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Angelo, un tyran pas doux pour un moment de pur plaisir !

—Par Roland Sabra—

Un ravissement de Michelle Césaire

Le théâtre est aussi un divertissement, qui donne du plaisir et c’est tant mieux! Philippe Person en fait la démonstration avec un texte pas si facile qu’il y paraît. Le talent de Person, à nulle autre pareil, relève le défi avec Angelo, tyran de Padoue, de Victor Hugo.

Angelo Malipieri, aime La Tisbe, comédienne, une -pas-grand-chose, qui aime un déclassé, le proscrit Rodolfo, lui-même amoureux de la Catarina dévote et femme de ce tyran pas doux pour deux sous. Chez Hugo, les choses sont assez simples : les méchants sont méchants et forcément riches, les gentils sont gentils et forcément pauvres et entre les deux, les pervers, forcément pervers puisque se situant entre les deux.

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Un numéro d’ »Esprit » sur les Antilles

février 2007

Antilles : la République ignorée

Lire le sommaire détaillé de la revue

 

par Selim Lander

Le numéro de la revue Esprit de février 2007 consacre un dossier aux Antillais de France et d’outre-mer. Le titre : « Antilles : la République ignorée » est trompeur. On pourrait croire en effet que le dossier apporte des informations sur la manière dont le droit de la République est trop souvent bafoué aux Antilles, sur le paternalisme gouvernemental, sur les consignes passées aux préfets pour qu’ils ferment les yeux sur les pratiques des édiles locaux, sans parler de ce privilège hérité de l’époque coloniale qui fait que tous les fonctionnaires en poste dans les « DOM-TOM », donc en particulier aux Antilles, sont rémunérés davantage, pour un même travail, que leurs homologues métropolitains. Il n’en est rien. La plupart des contributions insistent plutôt sur les discriminations « négatives » dont les Antillais sont les victimes, à l’origine des revendications mémorielles qui se sont faites jour récemment et auxquelles a voulu rendre justice la loi du 21 mai 2001, dite loi Taubira, qualifiant l’esclavage et la traite négrière comme des crimes contre l’humanité.

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Fragmentations et résistances : Galerie JM’Arts

Venus noire

Créer une œuvre d’art visuel est un acte éminemment politique. Dans les enjeux de pouvoir, les images jouent aujourd’hui un rôle prépondérant. Pourtant elles se réduisent la plupart du temps à des écrans vides voilant le réel et représentant des visions appauvries, ponctuelles et limitées. Elles sont diffusées de telle manière qu’elles s’imposent, hypnotiques, paralysantes, dans l’intimité de chacun. Pour la première fois peut-être dans l’histoire humaine, elles envahissent le champ de vision, pléthoriques et aveuglantes illusions. Les outils permettant de les réaliser comme les logiciels informatiques et les appareils de toutes sortes, sont eux-mêmes conçus à partir de points de vue restreints sur le monde. Les images pourraient-elles remplacer le réel ? Il semble parfois que les experts en communication tentent de nous faire croire qu’elles en sont des représentations fidèles qui peuvent, elles, être consommées en toute sécurité. N’est-il pas étrange de constater que de nombreux individus semblent préférer la relation à l’image, à l’expérience sensible du réel ? Une véritable dictature de l’image asservit de plus en plus efficacement les imaginaires. Limitée et cadrée dans le rectangle de l’écran, elle s’impose au centre des champs de vision.

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« Africa solo », mise-en-scène à vau-l’eau de José Exélis

— Par Roland Sabra —

1999, Ernest Pépin, poète et romancier guadeloupéen effectue un « pèlerinage » selon ses propres termes sur la terre d’Afrique. Rencontre envoûtée par les passions africanistes militantes du père de l’auteur, par les rêves de retour au berceau des origines, par les décombres de la négritude assaillis de créolité, espoir giflé d’une unité qui se brise sur le réel d’une altérité irrémédiable et tout aussitôt déniée. Le retour aux Antilles donnera naissance à un recueil de poèmes Africa Solo que Michel Dural a tenté d’adapter pour une mise-en-scène de José Exélis. Sur scène donc il y a Filosof, Ernest Pépin peut-être, qui s’en est allé là-bas en Afrique et qui «… revenu du pays des ancêtres Les mains mouillées par la rosée des retrouvailles Le pas plus riche des récoltes accueillies » déplore gémit, crie à qui veut l’entendre «  Pey la ka foukan, Nou tou ka foukan… » Pour cet autre cahier d’un autre retour au pays génital , il lui fallait partir là-bas. Là-bas, il le fallait. Ne serait-ce que pour se découvrir étranger au pays matriciel : « Pas facile de se parler avec les Africains.

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Ils ont empoisonné notre terre, nos eaux, nos rivages… notre peuple

— Par Raphaël Confiant —


Je veux parler d’un crime commis à l’encontre d’un million de personnes censées être des citoyens français. Personnes qui n’ont qu’un seul tort : être nés, vivre et travailler dans leur terre natale, la Martinique et la Guadeloupe. Je veux parler du déversement de dizaines de milliers de tonnes de pesticides pendant près de trente années sur les terres plantées en banane de nos deux îles. Pesticides qui ont pour noms : DDT, HCH (Hexaclorocyclohexane), Mirex (ou Perchlordécone), Dieldrine et surtout Chlordécone. Tout particulièrement ce dernier puisque son taux de rémanence est évalué à 60 ans.

Aujourd’hui, malgré le tam-tam de la Star Académie, du carnaval, des élections présidentielles et législatives, sans compter les éternels matches de l’équipe de France, il nous faut regarder la vérité en face : nous avons été bel et bien empoisonnés. Pourquoi le nombre de cancers en Martinique est-il passé en 10 ans de 250 cas par an (19997) à plus de 1.000 en 2007 ? Quel est le pays du monde qui a le taux de cancer de la prostate le plus élevé après les Etats-Unis ?

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« Tête haute » de Memona Hinterman

— par Carole Condat —

À l’occasion de la sortie en librairie de Tête haute (Jean-Claude Lattès, 280 pages, 17 euros) qui retrace son parcours professionnel et personnel, nous avons rencontré Memona Hintermann. Journaliste singulière, femme spontanée, elle a accepté de s’exprimer sur des sujets de société comme l’école, l’intégration, la discrimination positive et de revenir sur son métier de journaliste.

Memona Hintermann est née à l’île de la Réunion d’un père indien musulman et d’une mère créole catholique. Issue d’un milieu très modeste, elle est la première bachelière de sa famille. Alors qu’elle poursuit des études de droit, elle remporte un concours organisé par l’ORTF de Saint-Denis de la Réunion et s’engage dans la voie du journa- lisme.

En 1974, âgée de 24 ans, elle arrive pour la première fois en France et travaille comme journaliste à FR3 Orléans. Depuis 25 ans, elle est grand reporter à France 3. De la chute du mur de Berlin en passant par les Bal- kans, l’Irak et l’Afghanistan, elle a couvert tous les temps forts de l’histoire immédiate. Aujour- d’hui, elle couvre principalement le Moyen-Orient.

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L’aventure ambiguë d’une certaine Créolité

— par  Rafael Lucas —

« La boulimie de reconnaissance littéraire a transformé les majors créoles en apprentis sorciers, ou en apprentis quimboiseurs. Et c’est dommage. On peut regretter que les réels talents littéraires des écrivains créolistes aient été pervertis par les liaisons dangereuses avec l’idéologie. »


Le mouvement de la Créolité, popularisé en France métropolitaine par un manifeste de trois auteurs martiniquais publié en 1989 (Éloge de la Créolité) (1) et par un large succès éditorial, prétend redéfinir l’identité créole et codifier une nouvelle démarche littéraire. Or, qu’il s’agisse du contenu du manifeste ou de la stratégie pratiquée, il est facile d’observer chez les défenseurs de ce courant un ensemble confus de contradictions et de simplifications, qui est dû à au moins trois facteurs : l’obsession de la reconnaissance littéraire de la métropole française dont ils dénoncent la politique d’assimilation coloniale, l’attitude totalitaire parfaitement visible derrière le discours culturel, et une manipulation hâtive du concept de métissage, phénomène dont les Antilles représenteraient le modèle idéal… Notre propos ici n’est pas de mettre en question l’énorme travail de création et de novation de ce mouvement, mais de montrer comment la créativité des écrivains et l’élaboration de leurs œuvres ont été perverties par les diktats idéologiques et par un certain galimatias, ou « manger-cochon », théorique.

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Que disent les mondialisations? Un entretien de Roland Sabra avec André Lucrèce.

 Sociologue, essayiste et romancier, homme de théâtre il donne ses rendez-vous dans des endroits impossibles, le hall bruyant d’une galerie marchande. C’est là qu’il nous a accordé cet entretien, qu’il a pris soin de relire avant publication.

 Roland Sabra : Puisque nous sommes dans un centre commercial, tout de suite une question inspirée par « Souffrance et jouissance ». Il y a une certaine vulgate marxiste qui résumerait la consommation à une « aliénation » et à un moyen pour le pouvoir colonial de « tenir par le ventre» la population martiniquaise. Vous semblez prendre quelques distances en évoquant Veblen?

 André Lucrèce : D’abord je voudrais dire que cela ne peut être analysé comme dans n’importe quelle société. Pour une raison très simple : les données du passé font qu’existe une mémoire. Je travaille toujours sur une mémoire longue parce que les éléments qui permettent de comprendre une situation sont à la fois des éléments contemporains mais aussi des éléments transcrits depuis d’une mémoire longue et récupérés par les acteurs. Les choses sont infiniment complexes dans un pays comme le nôtre.

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Politique muséale : la location des œuvres d’art

— Par Michel Herland —

La publication dans Le Monde du 13 décembre 2006 d’un point de vue, de Françoise Cachin, Jean Clair et Roland Recht dénonçant la politique de location d’œuvre d’arts menée par le Louvre, a créé une sorte d’effervescence qui déborde désormais le monde des musées puisque la pétition de soutien au point de vue en question a déjà recueilli plus de 3000 signatures émanant des milieux les plus divers.

Les journaux ont largement fait écho à cette polémique, rappelé que deux des auteurs du point de vue, n’ont pas hésité eux-mêmes à monnayer les prêts des œuvres dont ils vaient la charge, la première en tant que responsable de la collection de l’Orangerie, le second comme directeur du musée Picasso. Au-delà de cette polémique, reste une question de fond posée par les trois auteurs qui considèrent que « l’utilisation commerciale des chefs d’œuvre du patrimoine national » serait moralement choquante.

De prime abord, on ne voit pas très bien ce que la morale vient faire là-dedans. La France – qui demeure la première ou la deuxième destination touristique mondiale – ne fait que cela : commercialiser son patrimoine, sans que personne y trouve à redire.

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érotisme et engagement

par Manuel NORVAT

 

L’extase de Sainte-Thérèse, Le Bernin

Quels rapports se tissent dans la littérature caribéenne entre écriture militante et écriture érotique ? Autrement dit, quelles relations s’établissent dans cet espace de création entre désir et engagement ? Lorsque Suzanne Césaire parle de « littérature de pâmoison » dans Tropiques contre les productions littéraires doudouistes à la Daniel Thaly (« Je suis né dans une île amoureuse du vent où l’air à des odeurs de sucre et de vanille…) nous sommes hélas en présence d’un certain manichéisme faisant fit que la dite « littérature de  pâmoison » a participé à sa manière à un inventaire du réel, en l’occurrence antillais. Mais l’on pourrait insister aussi sur cette mise à distance quasi dédaigneuse de la pâmoison (métonymie du désir pour l’occasion) de la part de nombreux écrivains dits engagés — non pas au sens créole du terme lié à un pacte avec l’univers diabolique, mais pleinement dans l’acception politique du terme. La question se pose donc de savoir s’il faut brûler « la littérature de pâmoison » au bénéfice des révolutions ?

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La France vue du Sénégal… par un Sénégalais

—Par Fadel Dia —

, 11 janvier 2007


Introduction
C’est une vérité connue, mais que nous avons souvent tendance à oublier : les rapports du pouvoir s’expriment sur le plan linguistique autant que sur le plan politique, économique ou social. Le dominant est, entre autres choses, celui qui a la parole, tandis que le dominé doit sans cesse la conquérir. Quand le second doit se battre non seulement pour avoir la parole mais aussi et surtout pour être écouté (c’est-à-dire pris au sérieux) et entendu (c’est-à-dire au moins compris, à défaut d’être approuvé), le premier est investi d’une « autorité » symbolique qui lui donne à peu près toute légitimité à dire à peu près tout ce qu’il veut sur à peu près tous les sujets, et sa parole jouit d’une « légitimité », d’un « intérêt » et d’un « crédit » quasi « naturel ». C’est ainsi par exemple que, parallèlement à la domination militaire, politique et économique que la France coloniale a exercé et exerce sur l’Afrique noire, s’est mis en place un ordre symbolique qui répercute la division sociale du travail sur le terrain linguistique, en instituant les Français Blancs dans le rôle de sujet ou d’agent d’énonciation, tandis que les Africains Noirs sont relégués soit au rang d’objet, soit à celui de destinataire des discours [1].

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La grande escroquerie du Palais de Tokyo

— par Michel Herland —

Le débat sur l’art contemporain fait déjà rage et l’on devrait sans doute se retenir d’y intervenir lorsqu’on ne possède pas les patentes et certifications reconnues dans un univers où l’on se retranche d’autant plus volontiers derrière l’élitisme esthétique que l’on est forcément conscient du regard goguenard de la majorité du public. Il y a des moments, néanmoins, où critiquer devient un devoir civique. Et l’exposition actuellement en cours au palais de Tokyo (à Paris, jusqu’au 14 janvier) est une telle caricature de ce que peut produire l’art ( ?) contemporain que l’on ne saurait passer outre au devoir d’indignation.

Pour les lecteurs qui ne seraient pas familiers avec cette forme d’expression artistique, il faut préciser qu’on n’attend pas des artistes contemporains qu’ils proposent du « beau ». Ou bien le beau en question ne peut être que le sous-produit, généralement non désiré, de la démarche de l’artiste. L’art contemporain se doit d’être troublant ; il s’agit de choquer (et bien souvent de choquer « le bourgeois »). Cet art prend le plus souvent la forme d’ « installations » : on confie à l’artiste une pièce ou une partie de pièce dans le musée, espace dans lequel il a la liberté de disposer dans l’ordre ou le désordre qui lui conviennent le mieux une série d’objets, parfois fabriqués pour la circonstance, parfois simplement rassemblés là et c’est alors de leur juxtaposition que doit naître la surprise, le trouble, puisque ce sont là les ressorts principaux de cette sorte d’art.

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