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Politique muséale : la location des œuvres d’art

— Par Michel Herland —

La publication dans Le Monde du 13 décembre 2006 d’un point de vue, de Françoise Cachin, Jean Clair et Roland Recht dénonçant la politique de location d’œuvre d’arts menée par le Louvre, a créé une sorte d’effervescence qui déborde désormais le monde des musées puisque la pétition de soutien au point de vue en question a déjà recueilli plus de 3000 signatures émanant des milieux les plus divers.

Les journaux ont largement fait écho à cette polémique, rappelé que deux des auteurs du point de vue, n’ont pas hésité eux-mêmes à monnayer les prêts des œuvres dont ils vaient la charge, la première en tant que responsable de la collection de l’Orangerie, le second comme directeur du musée Picasso. Au-delà de cette polémique, reste une question de fond posée par les trois auteurs qui considèrent que « l’utilisation commerciale des chefs d’œuvre du patrimoine national » serait moralement choquante.

De prime abord, on ne voit pas très bien ce que la morale vient faire là-dedans. La France – qui demeure la première ou la deuxième destination touristique mondiale – ne fait que cela : commercialiser son patrimoine, sans que personne y trouve à redire.

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érotisme et engagement

par Manuel NORVAT

 

L’extase de Sainte-Thérèse, Le Bernin

Quels rapports se tissent dans la littérature caribéenne entre écriture militante et écriture érotique ? Autrement dit, quelles relations s’établissent dans cet espace de création entre désir et engagement ? Lorsque Suzanne Césaire parle de « littérature de pâmoison » dans Tropiques contre les productions littéraires doudouistes à la Daniel Thaly (« Je suis né dans une île amoureuse du vent où l’air à des odeurs de sucre et de vanille…) nous sommes hélas en présence d’un certain manichéisme faisant fit que la dite « littérature de  pâmoison » a participé à sa manière à un inventaire du réel, en l’occurrence antillais. Mais l’on pourrait insister aussi sur cette mise à distance quasi dédaigneuse de la pâmoison (métonymie du désir pour l’occasion) de la part de nombreux écrivains dits engagés — non pas au sens créole du terme lié à un pacte avec l’univers diabolique, mais pleinement dans l’acception politique du terme. La question se pose donc de savoir s’il faut brûler « la littérature de pâmoison » au bénéfice des révolutions ?

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La France vue du Sénégal… par un Sénégalais

—Par Fadel Dia —

, 11 janvier 2007


Introduction
C’est une vérité connue, mais que nous avons souvent tendance à oublier : les rapports du pouvoir s’expriment sur le plan linguistique autant que sur le plan politique, économique ou social. Le dominant est, entre autres choses, celui qui a la parole, tandis que le dominé doit sans cesse la conquérir. Quand le second doit se battre non seulement pour avoir la parole mais aussi et surtout pour être écouté (c’est-à-dire pris au sérieux) et entendu (c’est-à-dire au moins compris, à défaut d’être approuvé), le premier est investi d’une « autorité » symbolique qui lui donne à peu près toute légitimité à dire à peu près tout ce qu’il veut sur à peu près tous les sujets, et sa parole jouit d’une « légitimité », d’un « intérêt » et d’un « crédit » quasi « naturel ». C’est ainsi par exemple que, parallèlement à la domination militaire, politique et économique que la France coloniale a exercé et exerce sur l’Afrique noire, s’est mis en place un ordre symbolique qui répercute la division sociale du travail sur le terrain linguistique, en instituant les Français Blancs dans le rôle de sujet ou d’agent d’énonciation, tandis que les Africains Noirs sont relégués soit au rang d’objet, soit à celui de destinataire des discours [1].

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La grande escroquerie du Palais de Tokyo

— par Michel Herland —

Le débat sur l’art contemporain fait déjà rage et l’on devrait sans doute se retenir d’y intervenir lorsqu’on ne possède pas les patentes et certifications reconnues dans un univers où l’on se retranche d’autant plus volontiers derrière l’élitisme esthétique que l’on est forcément conscient du regard goguenard de la majorité du public. Il y a des moments, néanmoins, où critiquer devient un devoir civique. Et l’exposition actuellement en cours au palais de Tokyo (à Paris, jusqu’au 14 janvier) est une telle caricature de ce que peut produire l’art ( ?) contemporain que l’on ne saurait passer outre au devoir d’indignation.

Pour les lecteurs qui ne seraient pas familiers avec cette forme d’expression artistique, il faut préciser qu’on n’attend pas des artistes contemporains qu’ils proposent du « beau ». Ou bien le beau en question ne peut être que le sous-produit, généralement non désiré, de la démarche de l’artiste. L’art contemporain se doit d’être troublant ; il s’agit de choquer (et bien souvent de choquer « le bourgeois »). Cet art prend le plus souvent la forme d’ « installations » : on confie à l’artiste une pièce ou une partie de pièce dans le musée, espace dans lequel il a la liberté de disposer dans l’ordre ou le désordre qui lui conviennent le mieux une série d’objets, parfois fabriqués pour la circonstance, parfois simplement rassemblés là et c’est alors de leur juxtaposition que doit naître la surprise, le trouble, puisque ce sont là les ressorts principaux de cette sorte d’art.

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Pour faire de l’Un, il faut de l’autre

— par Roland Sabra —

« la prescription première du politique doit être la reconnaissance du particulier de l’altérité comme moment de l’universel de la citoyenneté. »

François Wahl

La Martinique importerait elle outre des marchandises, des conflits européens? Comment se fait-il que le conflit du Proche-Orient structure aujourd’hui la vie politique non seulement en France mais aussi en Martinique? L’émotion soulevée par la guerre du Liban en juillet 2006 débordait largement le cadre habituel de la sphère politique dans laquelle se déploient les protestations convenues de l’Association France-Palestine. N’a-ton pas vu des lycéennes que rien ne prédisposait à l’action militante s’émouvoir au point de demander dans leur établissement l’organisation de débats sur le conflit?

La réponse la plus communément acceptée est celle de la montée du communautarisme comme l’analyse avec brio Michel Feher dans un article de l’ouvrage passionnant écrit sous la direction de Didier et Eric Fassin, publié à la Découverte et qui s’intitule : « De la question sociale à la question raciale ».

Dans un monde marqué par la mondialisation et le risque d’uniformisation des modes de vie qui l’accompagne, on assisterait à un repli identitaire sur des communautés de proximité seuls vecteurs d’une construction identitaire autonome.

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Yves JEAN-FRANÇOIS

— Par Pierre Pinalie —

Dix ans après sa disparition, Yvon Jean-François, le peintre est toujours parmi nous par l’intensité de la vie qui émane de ses œuvres. Par la couleur ou le crayon noir, dans la racine de fougère ou la pierre ponce, et par l’intermédiaire de l’âme du bois, il nous a laissé un merveilleux sens de la vie et du plaisir de vivre. Et comment ne pas le rejoindre quand l’amour de la femme semble avoir guidé sa main dans le dessin et la sculpture faisant de chaque représentation du corps féminin un chant d’allégresse, voire un cantique ? C’est à chaque fois un hommage à celle qui nous met au monde en raison de la beauté que nous admirons et désirons forcément depuis l’aube de l’humanité.

Une forte sensualité, mystérieuse, quant à son origine, enrobe chaque création et renforce l’harmonie des formes sur les silhouettes qui ondulent ou somnolent au cœur des toiles ou des dessins. Soit elles offrent leurs courbes sous de légères étoffes, soit elles sont nues laissant apparaître l’harmonie de poitrines modestes ou de fessiers musclés.

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« L’homme a remplacé Dieu comme facteur d’apocalypse »

— Par Aline Kiner —

Egypte ancienne, Mésopotamie, Proche-Orient, Asie…, la plupart des civilisations ont imaginé la fin des temps. Une vision qui évolue selon les lieux et les époques.
source : Sciences et Avenir le 01/01/2007 auteur :


fin_du_mondeLes Mayas avaient prédit la fin de leur civilisation. Sait-on depuis quand l’homme se pose la question de la fin des temps ?
Il est fort probable, mais pas certain, en l’absence d’écriture, qu’il y a quelques dizaines ou centaines de milliers d’années, l’homme ne devait pas se poser en priorité la question de la fin « des » temps. Il se posait plutôt la question de « son » temps. Le concept de fin des temps exige une réflexion collective sur un phénomène universel. Dans des civilisations où l’homme était mille ou dix mille fois plus rare qu’aujourd’hui (quelques dizaines de milliers en France), on voit mal comment cette réflexion aurait émergé. Seule quasi-certitude : les inhumations intentionnelles ont commencé il y a environ 100 000 ans(lire les Repères p. 54) .Si l’homme enterrait ses proches dans une position particulière, accompagnés d’objets précieux en ivoire puis en métal, de parures de coquillages, de pigments ocrés, etc.

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Quelques réflexions à la suite des articles parus autour des propos de Mr Raphaël Confiant

 

D’UNE PROBLEMATIQUE IDENTITAIRE HAINEUSE


par Marie-José Corentin-Vigon et Lucie Descoueyte Psychanalystes, Membres du G.A.R.E.F.P (Groupe Antillais de recherche d’Etude et Formation Psychanalytique) —


En être ou ne pas en être de… ?

En tant que quoi ? En tant que qui ?…

Poser la problématique identitaire en ces termes nous évoque l’article 1 du code noir1 qui requiert l’expulsion des juifs, leur désignation comme ennemis ? ainsi que les autres articles qui font des nègres des objets.

Entre les hommes il n’y pas d’autre mesure que la parole. Parler est habiter son être.

Que devient chacun de nous quand cette parole nous est refusée au nom d’une appartenance à une identité, pas seulement imaginaire mais unique.

« Innommable » : terme hautement investi puisqu’il apparaît onze fois dans le texte de Mr Confiant et qui viendrait masquer au-delà de l’antisémitisme chez certains, bien réel hélas, le mythe de l’identité unique, celui-ci entraînant immédiatement l’exclusion de ceux qui n’en sont pas, de là… .

C’est une question qui doit être au travail chez chacun de nous à seule fin de pouvoir ouvrir à une identité plurielle, riche de nos différences.

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Hélénon, « lieux de peinture »

— Par Jean Marie-Louise —

 Dans un précédent livre consacré à l’œuvre de Serge Hélénon, Daniel Radford introduit sa contribution en ces termes : « L’œuvre d’art est-elle muette, qu’elle ait besoin d’un texte qui la renforce et qui l’anime ? Souvent le mot l’endort, l’anesthésie, fouille à côté et, par redondance, la tue. Rien n’est plus beau qu’une peinture qui se raconte toute seule car tel est son destin, et le risque du peintre. Le mot accapare son espace et, voulant la dévoiler, lui vole sons sens et invente un discours à partir de sa forme.»

Pourtant ayant constaté cela faut-il se priver de toute analyse ? Doit-on s’interdire de parler d’une œuvre sous prétexte qu’elle est irréductible au discours ? Évidemment non, répond Dominique Berthet, qui se livre dans cet autre et nouvel ouvrage à une investigation toute personnelle du travail d’Hélénon. Évidemment non. D’autant que l’œuvre si elle résiste au discours, paradoxalement l’encourage.

Le langage ne peut s’approprier totalement l’œuvre. Il échoue à vouloir la cerner. Entre le discours et le référent qui le motive et l’occasionne existe une distance.

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Serge Hélénon : une esthétique de l’inesthétique

— par Gerry L’Etang —

 

 Dans le beau livre, Hélénon Lieux de peinture, que nous offre Dominique Berthet, il est donné à voir une tendance essentielle de la démarche artistique de Serge Hélénon : une quête du beau à partir du dérisoire, une esthétique de l’inesthétique.

A partir de matériaux de récupération apparemment hétéroclites et improbables, Serge Hélénon s’attache à produire de l’harmonie, de l’émotion. D’abord en les associant, en les combinant, ensuite en les peignant.

Les éléments a partir desquels sont réalisés les assemblages : bois-caisse, clous, bouts de tissus, couvercles de boîtes de fer-blanc ou d’aluminium, poignées rouillées, etc., ne sont hétéroclites qu’en apparence. Car il y a un trait sémantique commun à tous ces objets : ce sont des éléments périphériques, généralement des contenants.

Ces œuvres trouvent leur modèle, leur référent, dans la construction bidonvillaire, d’où le concept “ d’expression-bidonville ” créé par l’artiste. La construction bidonvillaire est inspirée par la nécessité et par l’urgence, celle de se loger, de se construire un abri afin de résister aux intempéries, et aussi permettre la réunion, la survie de la famille, du foyer.

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Dénoncer les assassins d’enfants, c’est faire partie des «braves gens»

— Par Samuel Lepastier, psychiatre —

Samuel Lepastier psychiatre, explique pourquoi les crimes à caractère sexuel envers les enfants sont devenus les plus intolérables pour l’opinion publique. Et en quoi ils trouvent un écho intime en chacun de nous, même si nous n’en sommes pas directement les victimes.

Par Cécile DAUMAS

Audition des acquittés d’Outreau à la télévision, Natascha Kampusch libérée huit ans après son enlèvement à l’âge de 10 ans, meurtre de Mathias et Madison le week-end du 8 mai, l’affaire Grégory qui devient un téléfilm : en 2006, ces événements ont marqué les esprits, frappé la conscience collective. Au XIXe siècle, le pire des crimes était d’assassiner son père, aujourd’hui, c’est de séquestrer, violer, tuer un enfant. Pourquoi ?

Tous les ans, en France, une dizaine au moins de pères ou mères gravement déprimés se suicident après avoir tué leurs enfants. C’est ce qu’on appelle curieusement le «suicide altruiste». Ces meurtres mobilisent peu l’attention. En revanche, ce qui est intolérable à l’opinion publique, c’est effectivement qu’un enfant soit agressé ou tué pour le plaisir égoïste d’un adulte pervers. Aujourd’hui, la maltraitance physique émeut moins que la maltraitance sexuelle réelle ou supposée.

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Michel Onfray ou les contradictions d’un hédoniste

 

par Michel Herland

La réédition récente en Poche « Biblio essais » de deux ouvrages de Michel Onfray qui traitent directement de morale – en schématisant, d’abord le rapport à soi (La sculpture de soi – la morale esthétique, Grasset 1993 et Le Livre de Poche 2005, ci-après SS), puis le rapport aux autres (Politique du rebelle – traité de résistance et d’insoumission, Grasset 1997 et Le Livre de Poche 2006, PR) – est l’occasion de s’interroger sur la portée d’une œuvre plébiscitée par ce qu’il est convenu d’appeler le grand public cultivé mais souvent décriée par les philosophes patentés (1). De livres en livres, Michel Onfray se consacre à détruire les préjugés de toute sorte qui nous empêchent, selon lui, de vivre bien, et à proposer à la place une éthique hédoniste. Nul ne contestera l’intérêt de l’entreprise, d’autant qu’elle passe par la mise en évidence d’auteurs souvent injustement méconnus de l’histoire de la philosophie, tous ces marginaux en lesquels M.O. se retrouve davantage que dans les grands auteurs du programme. Il récuse en effet tout autant l’idéalisme de Platon ou de Hegel que le matérialisme de Marx et l’existentialisme sartrien.

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Le bèlè, mémoire martiniquaise

 — Par Christian Antourel —

Aux tambours, Félix Casérus et Paul Rastocle. A. CHAULEUR

SAINTE-MARIE (Martinique) ENVOYÉ SPÉCIAL

Des chants accompagnés de percussions à découvrir au festival Africolor, en Seine-Saint-Denis, et aux Transmusicales de Rennes

C’est l’histoire d’une musique qui remonte au temps de l’esclavage, en Martinique. Un chant mêlé de voix, tambours et tibwa (baguettes frappées à l’arrière du tambour), accompagné de danses renvoyant à l’Afrique, mais aussi au quadrille des anciens colons. Une expression rustique, longtemps déconsidérée, réhabilitée depuis une vingtaine d’années.

Désormais fierté de tous les Martiniquais, le bèlè (ou  » bel air « , pour franciser le mot créole) a ses maîtres, ses anciens. Benoît Rastocle, Félix Caserus, Marcel Jupiter, Berthé Grivalliers font partie de ces passeurs de mémoire de l’identité martiniquaise.

A l’occasion de la sortie de l’album Les Maîtres du bèlè de Sainte-Marie (Buda Musique/Socadisc), regroupant cinq chanteurs et quatre tanbouyé (joueurs de tambours) bèlè, ils font une tournée en métropole, passant par le festival Africolor en Seine-Saint-Denis et les Trans Musicales de Rennes.

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« Africa solo » : mise-en-scène à vau-l’eau

— Par Roland Sabra

1999, Ernest Pépin, poète et romancier guadeloupéen effectue un « pèlerinage » selon ses propres termes sur la terre d’Afrique. Rencontre envoûtée par les passions africanistes militantes du père de l’auteur, par les rêves de retour au berceau des origines, par les décombres de la négritude assaillis de créolité, espoir giflé d’une unité qui se brise sur le réel d’une altérité irrémédiable et tout aussitôt déniée. Le retour aux Antilles donnera naissance à un recueil de poèmes Africa Solo que Michel Dural a tenté d’adapter pour une mise-en-scène de José Exélis. Sur scène donc il y a Filosof, Ernest Pépin peut-être, qui s’en est allé là-bas en Afrique et qui «… revenu du pays des ancêtres Les mains mouillées par la rosée des retrouvailles Le pas plus riche des récoltes accueillies » déplore gémit, crie à qui veut l’entendre «  Pey la ka foukan, Nou tou ka foukan… » Pour cet autre cahier d’un autre retour au pays génital , il lui fallait partir là-bas. Là-bas, il le fallait. Ne serait-ce que pour se découvrir étranger au pays matriciel : « Pas facile de se parler avec les Africains.

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Une tête qui ne revient pas

Un entretien de A. Jacquard et J-B Pontalis

 

Albert Jacquard – Pour moi c’était évident, au moment où nous préparions le premier numéro du Genre humain, il fallait le consacrer à La science face au racisme. On y admettait, a priori, que le racisme est une tare. A l’époque, il me semblait clair que, pour lutter contre le racisme, comme contre n’importe quoi, contre le diable en général, la meilleure arme, c’est la science. Pourquoi? Parce que la science est ce merveilleux effort de l’homme pour se mettre en accord avec l’univers, pour voir clair en lui, pour être cohérent, rigoureux, lucide… Et puis, grâce à la biologie, on apportait avec le constat de l’impossibilité d’une définition de races humaines, un argument décisif. C’était sans doute prétentieux. En fait, grâce à la biologie, moi le généticien, je croyais permettre aux gens de voir plus clair en leur disant: «Une race, vous en parlez, mais de quoi s’agit-il?» Et je leur montrais qu’on ne peut pas la définir sans arbitraire ni sans ambiguïté. Cette démarche s’apparente aux théorèmes les plus fondamentaux, ceux qui démontrent qu’une question est mal posée, que telle affirmation est indécidable.

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Wolé Soyinka : « Le Tigre ne proclame pas sa tigritude »

Entretien avec Wole Soyinka

Berlin, juin 2006. L’ambiance est électrique dans les rues de la capitale allemande. Les terrasses des cafés sont emplies de gaillards en shorts qui boivent des bières en vociférant devant les écrans où des footballeurs noirs et blancs s’affrontent. Assis seul à une table en retrait, un vieil Africain au port altier de roi yoruba et à la diction very british dénote. Wole Soyinka médite. Il a l’air de débarquer d’une autre planète. Comme il le dit lui-même: « le vis un tiers du temps aux États-Unis et en Europe, un tiers au Nigeria et un tiers dans les airs. L’endroit que j’appelle la maison, c’est Abeokuta, au Nigeria. Ma ville natale. » Le Nobel de littérature 1986 (premier Africain à obtenir cette distinction) est venu pour recevoir un prix décerné par la jeunesse berlinoise et se fiche pas mal de la Coupe du monde où pourtant les joueurs africains font figure de stars. « Pour moi, dit-il, le fait que l’Afrique soit connue dans le monde grâce au football me rend aussi triste que de la savoir célèbre à cause des guerres civiles.

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Guy Debord père de la décroissance : sortir de « la croissance des forces productives aliénées ».

— Par Clément Homs —

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« Face à la mère » : entretien Jean-René Lemoine

Entretien Jean-René Lemoine

Comédien, auteur, metteur en scène, Jean-René Lemoine est né en 1959 en Haïti. Il se forme au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris et à l’école Mudra de Maurice Béjart à Bruxelles, puis à l’Institut d’Etudes Théâtrales de Censier à Paris. Après un parcours d’acteur, entre autres avec la compagnie de Lindsay Kemp, il a travaillé comme assistant à l’Union des Théâtres de l’Europe, à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, et collaboré régulièrement avec l’Académie Expérimentale des Théâtres. Il a également enseigné l’art dramatique au Cours Florent de 1998 à 2000.

Il commence à écrire en 1985 et met en scène sa première pièce, Les Folies bergères au Théâtre du Porta Romana, à Milan. Il choisit dès lors de se consacrer en priorité à l’écriture et à la mise en scène. C’est ainsi que naîtront un roman, Compte-rendu d’un vertige, et surtout de nombreux textes pour le théâtre

Face à la mère : sublime rendez-vous avec l’absente

Seul sur le plateau, Jean-René Lemoine parle à lui-même et à sa mère, disparue tragiquement en Haïti, le pays de l’enfance.

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Homo homini lupus Ti nonm ka fè gro séléra

« 24 contes des Antilles »

 d’Olivier Larizza

Castor poche – Flammarion. 2004


Par Pierre PINALIE

Voilà encore un ouvrage profondément créole réalisé par un auteur « venant d’ailleurs ». Il y là 24 contes très courts qui sont comme autant de perles formant un joli collier de type « grains d’or ». C’est en effet une farandole où le coq et le ravet, le crapaud et la tortue, Compère Lapin et Compère Tigre, Ti-Jean et le Roi se succèdent et diffusent l’esprit de la culture créole et la traditionnelle morale qui surnage dans les étonnants proverbes si fréquents dans le dialogue des Anciens.

Le mépris des puissants

Tant l’infidélité que la vengeance se voient dénoncés dans ces courtes histoires où apparaît le machisme des maris dominants, le dangereux entêtement des humains et la positive importance de la patience. Et tous les messages retransmis par l’auteur sont présentés dans une langue élégante et légère qui restitue très académiquement la philosophie et la vision du monde de la Créolité. Pour saupoudrer le style harmonieusement structuré, tout un lexique local se glisse une cinquantaine de fois dans les phrases aisément pénétrables, et syntaxiquement construites.

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L’Éthique selon Edgar Morin

 

Edgar Morin, La Méthode 6 – Éthique, Paris : Seuil, 2004.

 par Michel Herland

 

On ne présente pas Edgar Morin, personnalité éminente de l’intelligentsia française, auteur d’une cinquantaine d’ouvrages parmi lesquels quelques essais sociologiques qui ont fait date (Les Stars, 1957, La Rumeur d’Orléans, 1969) et surtout une somme, La Méthode (1981-2004) dont le projet, fort ambitieux, ne vise pas moins qu’à changer notre regard sur le monde, sans rien dissimuler de sa complexité, grâce à une démarche systémique. En passant, malgré tout, peut-être un peu vite sur l’objection d’ordre épistémologique qui se présente d’emblée : Comment une telle méthode considère-t-elle la distinction qui existe inévitablement entre l’objet réel, éminemment complexe en effet, et l’objet de la connaissance, le « modèle », nécessairement simplificateur (1) ?  La reconnaissance de « la différence entre la réalité empirique et la forme théorique » (2) étant le point de départ de la démarche scientifique, toute tentative pour la tirer du côté du concret comporte donc un risque du point de vue de sa pertinence.

 Dans le 6ème et dernier volume de la Méthode (3), Edgar Morin (E.M.)

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« Histoire pour toi » d’Arlette Rosa-Lameynardie

par Pierre PINALIE —

Embarquement pour Cythère


« Histoire pour toi » d’Arlette Rosa-Lameynardie (Hatier – Monde Noir)


Il est très étonnant que ce livre, publié en 2002, n’ait pas vraiment bénéficié d’un accueil très positif dans le monde de la créolité. Et pourtant, l’ouvrage écrit par une judéo-droit-de-l’Hommiste est profondément créole, tant dans l’esprit que dans la forme. L’auteur qui est, en effet, ancrée sur la terre martiniquaise depuis 45 ans, ne semble pas penser à partir d’autres racines, et baigne au contraire dans le monde du conte vers lequel glisse en permanence le scénario qu’elle développe dans un style clair et simple à la manière de Marguerite Duras.

Le réel et le conte

Le héros de l’histoire est un petit garçon qui porte le nom très local de « Ti Boug », et ce n’est qu’une introduction à une belle onomastique traditionnelle, alors qu’on a sombré aujourd’hui dans une anglo-américanisation des prénoms. Il est préférable, par ailleurs, de connaître l’âme et les réactions d’un enfant pour accompagner le petit personnage dans ses actes, ses rêves et ses réactions.

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« Miracle en Alabama », mais pas à Fort-de-France!

— Par Roland Sabra —

Au théâtre foyalais, une ouverture de saison en demi-teinte en attendant

« La Maison du peuple  » de Louis Guilloux



« Miracle en Alabama » mais pas à Fort-de-France! Michèle Césaire nous a habitués à plus d’audace que la reprise d’un succès qui a fait le tour du monde. Encore qu’il y ait quelque risque à re-mettre en scène « L’histoire d’Helen Keller » parue en 1902 et qui fit l’objet d’une adaptation cinématographique par William Gibson d’après sa pièce de théâtre, dans une mise en scène d’Arthur Penn de nombreuses fois « nominée » aux Oscars et doublement récompensée en 1963. Le titre du film The Miracle Worker est plus proche du thème que le titre français. Anne Sullivan, l’institutrice anciennement aveugle tout juste sortie de l’école de Boston est en effet la travailleuse miraculeuse ou plus exactement l’accoucheuse de miracle, qui luttant contre le double sentiment de culpabilité et de honte dans lequel l’entourage familial enferme la jeune fille va lui permettre d’advenir à elle-même. « Là où c’était le Sujet doit advenir ».

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« Entre assimilation et émancipation – L’Outre-Mer français dans l’impasse ? », de Thierry Michalon

une lecture de Selim Lander

Lire aussi la recension du Monde

 Quelques réflexions à propos d’un livre dirigé par Thierry Michalon

L’Outre-Mer français dans le piège.

une lecture de Selim Lander

La problématique de l’Outre-Mer français est probablement unique dans le monde. Ne serait-ce que parce que le processus de décolonisation a laissé dans la République française un certain nombre de territoires, généralement insulaires (mais la Guyane fait exception), qui se trouvent aujourd’hui enfermés dans une dépendance d’autant plus traumatisante qu’elle apparaît à tous comme une fatalité. Il faut donc saluer comme ils le méritent les efforts des vingt-six auteurs réunis par Thierry Michalon pour décrypter cette réalité éminemment complexe et qui résiste souvent à l’analyse (1).

 La dépendance « massive » à l’égard de la « Métropole » demeure la caractéristique commune à tous les territoires considérés qu’il faut étudier. On peut à cet égard regretter que les études transversales (qui couvrent l’ensemble du champ de l’Outre-Mer) restent minoritaires dans le recueil (8 sur 26), à égalité avec celles qui concernent la Martinique. Pour le reste, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Saint-Bartélémy-Saint-Martin ont droit chacune à deux contributions, tandis que la Guadeloupe, la Guyane, la Réunion et Mayotte se voient consacrer chacune un article.

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« Agoulouland » : les limites du théâtre militant

— Par Roland Sabra —

Bérard Bourdon met en scène « Agoulouland »

« La frontière du talent ne recouvre pas  celle qui sépare comédien professionnel et comédien amateur ».

Il a fait ses premières armes en France, puis il est vite rentré au pays , comme assistant de Michel Philippe, chargé de mission du Ministère de la Culture dans le cadre de ce qui allait devenir le CMAC. Il retrouve alors, une bande de copains ayant la même volonté de s’adresser au public martiniquais. L’important étant moins le message que son destinataire, ils vont dans un esprit d’ouverture, monter des textes d’auteurs martiniquais comme Georges Mauvois, Jeff Florentiny, mais aussi européens.
Il présente aujourd’hui une pièce en créole «  Agoulouland » que lui a proposé Daniel Boukman. Le personnage est chaleureux, ouvert, il reçoit facilement, entre deux répétitions.


Roland Sabra : Pourquoi monter « Agoulouland » aujourd’hui en Martinique?
Bérard.Bourdon . : Pour quelles raisons? Et bien ce matin même, fait exceptionnel, j’avais allumé la T.V et on annonçait que l’obésité gagnait en Martinique! « Agoulouland » pose le problème de la surconsommation dans laquelle la majorité des martiniquais est tombée les yeux fermés avec son cortège de maladies somatiques, diabète, maladies cardio-vasculaires etc.

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« Jacques le fataliste » : la rentrée au théâtre foyalais

— Par Roland Sabra —

Rentrée au théâtre foyalais


au théâtre de Fort-de-France

Comment s’étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde. Comment s’appelaient-ils ? Que vous importe? D’où venaient-ils ? Du lieu le plus prochain. Où allaient-ils ? Est-ce que l’on sait où l’on va? Que disaient-ils ? Le maître ne disait rien ; et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit là-haut.

Le Maître est innommable, on ne connaîtra jamais son nom, peu importe il s’agit ici d’une figure de maître. Seul le valet porte un nom il s’appelle Jacques. L’un est paresseux, peu curieux, ayant pour rares centres d’intérêt son tabac, sa lunette et sa montre. Le valet est virevoltant, bavard, têtu, ingénieux. Comment ne pas penser par anticipation à la dialectique du maître et de l’esclave? Comment ne pas lire une leçon de matérialisme, comme dénonciation  du spiritualisme et de l’idéalisme de l’époque, justifications métaphysiques et morales des hiérarchies sociales, quand maître et valet rencontrent une aubergiste qui s’adresse indifféremment et sur le même mode à l’un et à l’autre?

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